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La force du nombre

Benoît Vittek

Mis à jour 25/04/2018 à 13:17 GMT+2

La première partie de la saison, avec sept coureurs par équipe contre huit auparavant, a vu quelques champions briller en solistes (Nibali, Sagan...) mais a surtout été dominée par l'équipe Quick-Step Floors, toujours capable d'imposer une domination collective implacable. Même avec un groupe réduit d'un membre, le collectif reste le socle du succès.

Peter Sagan trails in the wake of Quick-Step

Crédit: Imago

Le sport cycliste n’est plus à un paradoxe près, cela participe même de ses charmes infinis. En voilà un qui m’intrigue cette semaine, maintenant que la Doyenne a majestueusement bouclé la campagne des classiques 2018 : ce printemps magnifié par des courses très ouvertes dans leur physionomie n’en a pas moins été dominé par un inébranlable bloc, celui de la Quick-Step. Et, si Sagan fait toujours ce que bon lui semble, d’autres formations comme Astana n’ont pas manqué de nous rappeler que, même avec un coureur en moins, le collectif reste le socle du succès… Pour peu qu’on sache l’exploiter et l’adapter.
Qu’importent les évolutions, le printemps appartient ainsi aux hommes de Pat Lefevere. Cela valait déjà du temps de la Mapei, et c’était plus vrai que jamais en 2018. Avec le numéro de Bob Jungels dimanche, la Quick-Step Floors s’est adjugé un 2e Monument, un 11e bouquet sur 15 courses d’un jour disputées en Belgique, et un 27e succès toutes courses confondues cette saison… Mais avis à ceux qui se réveillent en juillet : ce one-team-show au moment de glaner les succès ne veut pas dire qu’on a vu une seule formation contrôler la course comme les Sky sur le Tour. Ce printemps, il y avait d’autres options tactiques à faire valoir.
"On commence la course avec trois, quatre, cinq coureurs qui peuvent gagner, et on va jouer avec toutes les cartes”, expliquait ainsi Jungels dimanche, après avoir confirmé qu’il roulait avant tout pour Julian Alaphilippe. Son attaque au sommet de la Roche-aux-Faucons (qu’il faudra peut-être un jour rebaptiser côte des Luxembourgeois) devait lancer vers le succès le prince français, premier favori derrière le roi espagnol des Ardennes. Alaf’ n’a finalement pas eu l’occasion de détrôner une deuxième fois Valverde, son frère de la meute des loups Quick-Step était trop fort.

Quick-Step, Lotto, BMC… Pas le même maillot, pas la même culture de la gagne

Alaphilippe n’en a pas moins levé les bras sur la ligne d’arrivée, avant de tomber dans ceux de Jungels. La veille au soir, les deux compagnons de chambrée regardaient des vidéos des dernières éditions de la Doyenne. Ils ont revu le triomphe d’Andy Schleck, favorisé par l’introduction de la Roche-aux-Faucons et l’emprise de sa formation CSC qui avait décidé de durcir la course au maximum pour son leader.
Ils ont aussi revu la victoire de leur équipier Philippe Gilbert, champion émérite mais l’un des quelques coureurs Quick-Step à ne pas avoir encore gagné cette année… Ça ne l’a pas empêché de franchir lui aussi la ligne bras levés, il y a trois semaines, pour célébrer la victoire de Niki Terpstra. On pourrait finir par croire les Quick-Step quand ils mettent en avant leur osmose collective pour expliquer leurs innombrables succès.
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Julian Alaphilippe (Quick-Step Floors) s'envole dans le Mur de Huy pour distancer Alejandro Valverde (Movistar) et s'offrir la Flèche Wallonne 2018

Crédit: Getty Images

On pourrait même finir par croire que c’est facile. Avec autant de champions dans l’effectif, évidemment qu’ils vont rafler les bouquets. Et puis on voit le spectacle des Lotto Soudal sur cette semaine ardennaise : trois coureurs parmi les plus forts du peloton (Vanendert, Wellens et Benoot), une belle prise de bec après la Flèche, de nouvelles incompréhensions en course sur la Doyenne et aucun succès à l’arrivée. La culture de la gagne, ça ne s’invente pas. Et peut-être a-t-elle déjà fui Greg van Avermaet et la BMC, structure en sursis depuis qu’elle est orpheline de son fondateur Andy Rihs.

Un impact psychologique ?

La gagne, chez Astana, on connaît. Pendant qu’Alexander Vinokourov s’offrait un répit judiciaire (report de son procès pour corruption autour de l’édition 2010 de la Doyenne) et mettait la pression sur ses bailleurs de fonds kazakhs, ses hommes en bleu ciel ont aussi fait parler la force du nombre. Mais dans des registres totalement différents : outsiders sur les courses d’un jour, ils ont vu Michael Valgren tirer parfaitement son épingle du jeu tactiquement sur le Het Nieuwsblad et l’Amstel. Sur une épreuve par étapes comme le Tour d’Oman, le collectif Astana s’exprimait à nouveau façon rouleau compresseur, en suivant la formule US Postal/Sky.
Il n’est pas encore dit que la réduction du nombre de coureurs par équipe change véritablement les rapports de force en course, les directeurs sportifs avec qui j’ai touché le sujet sont en tout cas encore loin d’être convaincus. Mais peut-être cette nouvelle règle a déjà eu un impact au moins psychologique. “Il nous a fallu cinq ans pour comprendre qu’il ne fallait pas laisser Movistar contrôler le rythme pour Valverde”, ironisait-on dans le peloton après la 2e place de l’Espagnol à Huy. Les rivaux de Valverde auraient-ils osé s’en prendre ainsi à la Movistar, laissant rapidement Valverde avec le seul Landa, en d’autres circonstances ? Le passé ne plaide pas dans ce sens.
Vous ne pouvez plus limiter les dégâts quand des équipes fainéantes ne roulent pas.
Ce printemps, on a vu beaucoup de courses ouvertes, Romain Bardet s’en réjouissait encore dimanche. On a vu des courses se décanter de plus loin que prévu, Vincenzo Nibali a pu s’en féliciter. Mais même les grands numéros de solistes se sont fait sous le patronage d’équipes concentrant les talents. Je pense évidemment à Terpstra dans les Flandres, avec un Gilbert impeccable au marquage, mais pas uniquement.
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Niki Terpstra lors du Tour des Flandres

Crédit: Getty Images

Souvent seul contre tous, Peter Sagan a pu s’appuyer sur une Bora-Hansgrohe renforcée avant de décider à quel moment il se lançait lui-même dans la bagarre vers Roubaix. Auparavant, il y avait eu Nibali sur une Primavera qui voyait Bahrain-Merida jouer de multiples cartes. Derrière le Requin, les cadors se sont marqués autour d’un Sagan pas spécialement mécontent de laisser son ami filer vers le succès. Les poursuivants avaient peut-être les moyens de revenir sur Nibali, encore fallait-il s’entendre pour cela.
Les mêmes questions vont à nouveau se poser, à une autre échelle, pour la suite de la saison. L’acmé du cyclisme sous contrôle, ce sont bien ces étapes de plaine dont l’essentiel du scénario est connu à peine le parcours dévoilé. Quand je l’ai rencontré en début d’année, Mark Cavendish (Dimension Data) avait un message à faire passer en vue de ces rendez-vous : “Il pourrait y avoir plus d’échappées qui réussissent. Parce que vous avez des équipes comme Orica qui ne participent jamais à la poursuite. Maintenant, vous ne pouvez plus mettre un coureur en plus pour limiter les dégâts quand des équipes fainéantes ne roulent pas. Si toutes les équipes mettent un coureur comme ça se faisait avant, on ne devrait pas avoir de problème, mais ça ne se fait plus dans le cyclisme moderne.”
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