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Peter Sagan, l'anti-robot

Béatrice Houchard

Mis à jour 22/03/2019 à 11:42 GMT+1

Au delà de sa personnalité réjouissante et ses pitreries offertes à un public conquis, Peter Sagan est bien plus qu'un champion d'aujourd'hui. Il est un sportif qui nous ramène à la nostalgie du cyclisme d'antan et nous montre le bien fou qu'il peut faire au cyclisme moderne avec un minimum de naturel et de spontanéité.

Peter Sagan, vainqueur de la 13e étape du Tour de France 2018

Crédit: Getty Images

On peut adorer le Tour de France, c'est moi qui vous le dis, et avoir le frisson lors du dernier virage avant l'entrée sur le vélodrome de Roubaix. Admirer Anquetil, Merckx et Hinault tout en ayant un petit faible pour les coureurs de classiques. Être davantage bluffé par Vincenzo Nibali quand il s'envole dans le Poggio et va gagner Milan-San Remo, en 2018, que lors de ses victoires en montagne dans son Tour victorieux en 2014.
C'est ainsi que j'ai admiré Rik Van Looy et son maillot rouge de Solo Supéria mais aussi Tom Simpson, Jan Janssen, Rudi Altig, et plus tard Tom Boonen et Fabien Cancellara. Lors des duels entre Eddy Merckx et Roger de Vlaeminck dans les classiques, j'étais systématiquement pour Roger, l'homme aux rouflaquettes, très à la mode à l'époque. "Le Gitan", qu'on l'appelait.
Voici comment, tout naturellement, je suis devenue supportrice de Peter Sagan. Sagan, pour moi, c'est l'anti-robot parfait. Dans un cyclisme cadenassé où tout le monde se ressemble, il ne ressemble à personne. Dans une société où tout semble calculé, prévisible, mesuré au cordeau et politiquement correct, il détonne et dégage un bon vent de fraîcheur dans le peloton. Quand il gagne, mais aussi quand il perd. Quand il s'envole sur les pavés de l'enfer du Nord et quand il multiplie les acrobaties sur sa roue arrière parce que le public aime ça. Comment ne pas être attirée par un champion qui affirme que "ce que l'on programme ne se produit pas" et s'interroge : "Où serai-je dans dix ans ? Demain, je dois courir mais peut-être que je serai sous terre" ? (Vélo Magazine octobre 2018).
Non pas que les interviewes de Sagan soient passionnantes, mais on ne lui demande pas de faire une conférence sur l'avenir de la planète. De sa voix nasillarde, le Slovaque qui s'est mis à l'anglais ne se livre pas, répétant simplement : "Chaque année est différente", "J'ai des bons souvenirs et des mauvais souvenirs", "C'est la course", "Le cyclisme est ainsi" ou "Je fais de mon mieux".
Peter Sagan, Paris-Roubaix 2018

Peter en John, Katarina en Olivia

En juillet 2018, la rubrique "Ask Sagan" sur Eurosport lui avait surtout permis de faire des plaisanteries parfois un peu lourdingues, des grimaces (sourcil soulevé, œil gauche fermé) tout en prenant chaque matin le temps de répondre depuis le bus de son équipe Bora-Hansgrohe avant de revêtir un maillot vert assorti à des yeux qu'il a fort beaux, si je puis me permettre. Mais il dégageait de lui un je ne sais quoi de gentillesse et de spontanéité qu'on ne croise pas tous les matins. De même qu'on le voit prendre le temps de signer des autographes, de faire des risettes et des selfies quand d'autres (on ne citera personne) restent enfermés le plus longtemps possible dans le bus de leur équipe. Le tout sous l'œil (au moins pendant le Tour de France) de son fan-club venu de sa ville natale, Zilina, à 200 kilomètres de Bratislava, cette petite capitale charmante et tranquille où l'on irait bien siroter une bière en terrasse en compagnie du champion.
Peter Sagan est une star. Un peu trop, peut-être. Bien sûr qu'il y a de la "com" derrière tout cela, il suffit d'aller voir son site internet personnel pour s'en convaincre. Mais il vit avec son temps, il aurait bien tort de ne pas user des outils de l'époque, d'Instagram à YouTube. On l'avait d'ailleurs, en 2016, beaucoup remarqué pour son remake-lipdub de Grease, avec la coiffure et la chorégraphie de John Travolta, avec son épouse Katarina en Olivia Newton-John. Il paraît que son sponsor l'avait payé pour cela. Il paraît que Sagan gagne beaucoup d'argent. Oui, et alors ? Roger Federer fait bien de la pub pour les spaghettis ! L'un et l'autre gagnent surtout des compétitions et de belle manière, c'est tout ce qu'on leur demande.
En revanche, je signale au champion que vendre sur son site des douches de son sponsor Hansgrohe, avec la griffe "Peter Sagan", c'est quand même too much. Mon aveuglement de supportrice ne m'entrainera pas à faire cet achat incongru (121, 99 euros taxes comprises, pour les amateurs en train de refaire leur salle de bain).

La médaille à Valverde

Ce que j'aime, chez Peter Sagan, même s'il répète (un peu trop d'ailleurs) qu'il commence à s'ennuyer pendant les courses, c'est son bonheur de pédaler, son faux dilettantisme, sa générosité dans l'effort. Tout lui semble facile et s'il perd, il dit que ce n'est pas grave. S'il tombe, comme à la fin du Tour 2018, il dit qu'il a mal mais n'en rajoute pas. Si la course (ou la vie ?) est trop dure, il a l'élégance de ne pas le montrer. Il ne nous bassine pas avec des calculs d'apothicaire sur le nombre de watts qu'il développe dans un sprint ou le calendrier de ses entraînements à venir. Il prend la vie comme elle vient ou du moins donne cette impression. Comment dit-on "Carpe diem" en slovaque ?
Les ligues bien-pensantes du féminisme vont me rappeler qu'un jour, sur le podium du Tour des Flandres, il a pincé les fesses d'une hôtesse. Erreur de jeunesse, bêtise d'ado attardé, il y a prescription. Et quand il vient lors du dernier championnat du monde, à Innsbruck, féliciter Alejandro Valverde et lui remettre sa médaille d'or, il nous offre, comme on dit à la télé, "une belle image". C'était peut-être juste pour monter sur le podium alors qu'il n'avait pas terminé la course. Qu'importe : ses trois titres successifs de champion du monde, exploit qui n'appartient qu'à lui, autorisaient bien ce geste inédit.
Cela dit, Sagan m'inquiète un peu. Dans Tirreno-Adriatico, il n'était pas au mieux de sa forme et a seulement gagné cette année une étape sur le Tour Down Under en 2019. Il risque de passer une nouvelle fois à côté de Milan-San Remo. Si je devais lui donner un conseil, comme ça, de loin, je lui dirais donc de se réserver pour les Flandres et de viser un deuxième succès consécutif dans Paris-Roubaix. Mais de laisser libre, samedi, la Via Roma pour une victoire de Julian Alaphilippe.
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