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Milan-Sanremo | "Tadej Pogačar serait 2km/h plus rapide" : La Primavera se gagne-t-elle sur des "gains marginaux" ?

Benoît Vittek

Mis à jour 17/03/2023 à 11:35 GMT+1

MILAN-SANREMO - Tadej Pogačar serait-il 2km/h plus rapide avec un autre équipementier ? La Primavera se gagnera-t-elle sur des "gains marginaux" matériels ? Entre fantasmes et réalités, l'impact de la technologie sur la performance emballe à nouveau le peloton. Même si tout ce petit monde a bien conscience que le talent intrinsèque des coureurs fera toujours la différence.

Tadej Pogacar (UAE Team Emirates) lors de Paris-Nice 2023

Crédit: Getty Images

Tais-toi et pédale. Mais avec quel rendement ? Les questions liées au matériel et à son impact sur la performance cycliste ont toujours secoué le peloton mais elles semblent particulièrement d’actualité en ce début de printemps cycliste. Surtout dans le Nord de l’Italie, épicentre du cyclisme mondial ces jours-ci.
Samedi, le peloton se jettera à corps perdu dans la descente du Poggio, dans l’espoir de remporter la Primavera où Matej Mohoric avait fait sensation l’an dernier en inaugurant une tige de selle à la hauteur ajustable. Au moment de célébrer son triomphe sur la via Roma de Sanremo, le Slovène avait pointé ce nouveau dispositif, bien plus qu’un gadget pour ce casse-cou prêt à toutes les innovations techniques pour tirer le meilleur parti de son sens des trajectoires.
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À environ 300km au nord de Sanremo, tout près de Milan, Tom Boonen était pour sa part invité cette semaine à visiter les installations de Colnago, dans la ville de Cambiago. L’invitation, semi-cordiale, faisait suite à la participation de la grande star flamande des années 2000 et 2010 dans un podcast, le Wielerclub Wattage. Son compatriote Dirk De Wolf (vainqueur de Liège-Bastogne-Liège en 1992) y assurait que "Pogačar serait 2km/h plus rapide" s’il quittait UAE Team Emirates (équipée par Colnago) pour rejoindre Jumbo-Visma (Cervélo), Ineos Grenadiers (Pinarello) ou Soudal Quick-Step (Specialized). Boonen a modérément abondé. Colnago a regimbé.
En cause, notamment : "l’aéro", cet objet de tous les fantasmes. "Le vélo, c’est de la voile", a coutume de dire Cyrille Guimard depuis plusieurs décennies. Avant de devenir un directeur sportif à grands succès, il était passé coureur professionnel sous les ordres du tutélaire Antonin Magne, qui se plaisait également aux comparaisons nautiques : "Rangez-vous, Raymond, la Caravelle va passer", avait-il lancé à Poulidor lors d’un contre-la-montre survolé par Jacques Anquetil. Pogačar, lui, s'amuse avec sa mèche rebelle dans le vent.

De la voile à la Formule 1

Pour le fabricant de cycles italien, fondée par l’emblématique Ernesto Colnago dans les années 1950 et rachetée en 2020 par un fonds d’investissement d’Abou Dhabi, pas question de laisser passer une remise en cause directe de ses performances. D’autant plus que les dirigeants de Colnago n’ont pas manqué de relever que leur concurrent Specialized vendait toujours le cadre "S-Works Roubaix Boonen" qui célèbre les exploits sur les pavés du champion belge et pourrait l’exposer à des poursuites pour concurrence déloyale.
Sans répondre à l’invitation, Boonen a préféré s’excuser sur Instagram. "Quand j’étais un jeune coureur, je rêvais de gagner Paris-Roubaix sur un Colnago", a-t-il notamment écrit tout en partageant une image du fameux (et douteux) triplé de la Mapei en 1996 dans le vélodrome nordiste. "Je n’ai que du respect pour la famille Colnago et leur marque."
L’affaire est réglée, au moins sur la forme. Mais dans le fond ? De Wolf, Boonen et leurs compagnons de podcast ne sont pas les premiers (et certainement pas les derniers) à gloser sur les performances contrastées offertes par différents équipementiers. Hyper-vigilants devant les (dé)réglages de leurs montures, les coureurs peuvent être particulièrement virulents. La comparaison avec la Formule 1 est la plus commune, pour expliquer que l’équipe et le matériel seraient au moins aussi déterminants que les jambes (sans oublier la tête) : "Dans certaines équipes, tu n’as même pas la moindre chance de gagner."
UAE et Colnago connaissent bien la rengaine. "Bici di merda !" ("vélo de m****"), s’était exclamé Fernando Gaviria après un sprint manqué sur le Giro 2022. En cause, selon son fournisseur de vélo : des problèmes à répétition avec le dérailleur. Dans ce domaine, UAE et Colnago ont fini par quitter Campagnolo pour Shimano. Une autre fois, c’était la tige de selle qui avait cédé : un fournisseur s’était appuyé sur les mensurations de Pogačar (65kg) pour tous les coureurs…
Vous pouvez mettre tout l'argent que vous voulez...
Les intérêts communs de Colnago et UAE garantissent à l’équipe un développement sur mesure et, fort de ses propres tests, le fabricant italien se considère largement à la hauteur de ses concurrents, et même supérieur dans un certain nombre de domaines. À la tête du pôle performance de Groupama-FDJ, Frédéric Grappe vise la même synergie avec les différents partenaires de l’équipe : "On les pousse tous sur la recherche et le développement. Il y a notamment le travail qu’on réalise avec Lapierre depuis une dizaine d’années. On maîtrise le développement du vélo de A à Z. L’équipe veut comprendre tout ce qui se passe au niveau du matériel, que ce soit l’aéro, la rigidité… Ça nous permet de donner des éléments précis au coureur sur sa performance et ça lui permet aussi d’être plus rapide, tout simplement."
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Avec son approche exhaustive ("tout le monde dit que la soufflerie, c’est le ‘gold standard’ mais ça ne suffit pas, il faut compléter avec d’autres tests"), Grappe a notamment accompagné Stefan Küng dans l’amélioration des performances contre-la-montre. "Rien que sur la combinaison, vous pouvez avoir des différences significatives", explique celui qui effectuera la semaine prochaine des tests en soufflerie sur le nouveau vélo que les coureurs de Groupama-FDJ utiliseront en 2024. Mais il pondère : "Aujourd'hui, tout est tellement optimisé qu'il est difficile d'aller chercher des gains."
Ingénieur de formation, Jean-Christophe Péraud est engagé dans la même démarche, à la tête du projet "Très Haute Performance Sportive en Cyclisme et en Aviron 2024". "L’objectif est d’optimiser la performance de nos athlètes à Paris, en particulier sur les aspects matériels", explique l’ancien coureur, médaillé olympique en VTT à Pékin (2008) et 2e du Tour de France 2014. "Le but est d’être un peu en avance sur la concurrence."
"La démarche scientifique" l’a notamment aidé à devenir champion d’Europe de VTT en 2005 : "Sur un parcours de type cyclo-cross, j’étais venu avec un double-plateau, des pneus super roulants, une fourche super rigide, et ça m’avait très certainement permis de gagner." Autre souvenir, sur la route : "J’étais allé faire des essais sur le col d’Èze et j’avais vaguement reproduit l’équation du mouvement pour la mettre en parallèle des puissances produites et essayer de trouver la roue la plus efficace sur cette montée sèche." Il avait ensuite pris la 3e place du chrono final de Paris-Nice 2012 sur ces pentes, la meilleure performance de sa carrière dans un contre-la-montre au niveau WorldTour.
Pour autant, Péraud, qui a également été responsable du matériel auprès de l’Union Cycliste Internationale, et Grappe se veulent mesurés sur les différences technologiques. "D’un âne, on ne fera pas un cheval de course", explique Péraud. "Mais entre deux chevaux de course, le vélo peut faire la différence." Grappe appelle même à l’humilité : "Si vous n’avez pas de pépites, vous pouvez mettre tout l’argent que vous voulez, vous ne gagnerez pas de courses. Nous sommes là pour accompagner les coureurs. Mais la performance leur appartient."
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