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Tour de France - Maillot jaune - Portrait : Jonas Vingegaard, l'enfant du nord et du vent

Mis à jour 23/07/2022 à 15:52 GMT+2

TOUR DE FRANCE 2022 - Inconnu du plus grand nombre il y a à peine plus d'un an, Jonas Vingegaard va sauf catastrophe remporter ce week-end le Tour pour la première fois à 25 ans. Personnage ombrageux qui se dévoile peu, le Danois a forgé son ambition sur les routes venteuses du nord-ouest du Danemark, là où est née sa passion pour le vélo. Après un drôle de parcours, elle va le mener au sommet.

Et pourtant, Pogacar a harcelé Vingegaard : la compilation de ses attaques

Qui est vraiment Jonas Vingegaard ? A l'heure où il s'apprête à inscrire son nom au palmarès de la plus grande course du monde, le Danois reste encore une figure largement méconnue, presque insondable. Le Tour de France 2021 l'avait révélé, 2022 va le consacrer. Mais en dehors du Danemark, où il jouit déjà d'une forte notoriété qui devrait encore croître avec sa victoire à Paris, le grand public le méconnaît. Dimanche soir, une fois retiré son maillot jaune, principal signe distinctif du jeune homme ces temps-ci, il pourrait sans doute se promener incognito sur les Champs-Elysées une fois les cérémonies bouclées.
Il y a un côté antistar chez ce garçon de 25 ans qui tient sans doute tout à la fois à son parcours et à sa personnalité. Trine, sa compagne, avec laquelle il a eu une petite fille en 2020, parle de lui comme de "quelqu'un de très timide, secret même". Dans tout ce qui lui tombe sur la tête, la partie notoriété n'est probablement pas celle que goûte le plus Jonas Vingegaard. Une sorte de dommage collatéral de son succès.
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Jonas Vingegaard

Crédit: Getty Images

Il y a quinze ans, aurait-il imaginé qu'il se retrouverait sur le point de triompher sur le Tour de France ? De vaincre un Tadej Pogacar que l'on pensait indéboulonnable pour des années et dont il va stopper, au moins momentanément le règne ? Peut-être pas. Cette histoire a commencé quand le petit Jonas avait 10 ans. La première étape du Tour du Danemark s'élance alors de Thisted, petit port du Jutland, au nord-ouest du Danemark, où la terre est cerclée de toutes parts par les eaux et le vent. La famille Vingegaard habite à moins de dix kilomètres de là, à Hillerslev.

Un Danemark sauvage, presque inexploré

A l'époque, Jonas, 10 ans, joue au football. Mal. Trop petit, trop gringalet. Trop renfermé aussi, peut-être, pour s'épanouir dans ce sport collectif. Un jour de match, face à son absence de motivation, ses parents décident de l'emmener voir le "grand" départ du Tour du Danemark. Le club de cyclisme local en profite pour faire sa promo. "Il y avait un vélo, et un home training, nous raconte Vingegaard. Je l'ai essayé et ils ont dit que j'étais vraiment bon. Je suppose qu'ils disaient ça à tout le monde parce qu'ils voulaient de nouveaux membres. Mais ça a au moins marché pour moi. Depuis, je ne suis jamais redescendu de mon vélo."
Il intègre le club local, "Thy Cycle Ring", où il n'y avait "pas plus de15 ou 20 membres, quelque chose comme ça". C'est là qu'il fait ses premières armes, face au vent du nord. "C'était un tout petit club, mais je prenais beaucoup de plaisir et on s'occupait bien de moi, nous dit-il. C'est une partie un peu différente du reste du Danemark, sur la côte ouest. Un peu plus sauvage, presque inexploré. Il n'y a que du vert et du sable. Ce sont de beaux paysages. J'aime beaucoup cet endroit. Bien sûr, il n'y a pas de montagne, mais c'est un peu vallonné, et venteux, aussi. J'ai roulé tant de fois le long de la côte avec mon club et il y avait toujours du vent."
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Le Jutland, au nord-ouest du Danemark. De l'eau, du vert, du sable. Et du vent.

Crédit: Getty Images

Ce Tour du Danemark 2007, c'est le début d'un coup de foudre. Le vélo entre dans la vie du gamin du Jutland. Il se cherche ses premières idoles, jette son dévolu sur Riccardo Ricco, le grimpeur italien qui monte, à tous les sens du terme. Mauvaise pioche. Ricco tombe pour dopage, comme tant d'autres. Mais il devient accroc, en dépit des turpitudes du milieu. Il grandit en même temps que le lien entre son pays et le cyclisme. "Je me souviens très bien des Championnats du monde sur route au Danemark en 2011, avoue-t-il. J'étais là et j'ai regardé toutes les courses. C'était une sacrée expérience pour moi de voir tous les pros. Puis il y a eu le départ du Tour d'Italie (en 2012, NDLR), un autre grand moment."

ColoQuick, le déclic

Pas sûr que Jonas Vingegaard ait beaucoup changé depuis les prémices de l'adolescence. A 25 ans, il n'est pas beaucoup plus expansif aujourd'hui qu'hier. Il est aussi resté attaché à sa terre. Son point d'ancrage, quand il n'est pas en compétition ou en stage : "Aujourd'hui, je vis à 30-40 minutes de là, donc je suis toujours resté tout près. Parfois, il m'arrive de reprendre mon vélo pour rouler là-bas."
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Jonas Vingegaard.

Crédit: Quentin Guichard

Le coureur, lui, a bien changé, jusqu'à devenir le maître du Tour de France. Une trajectoire qui a mis du temps à se dessiner même si lui s'est assez rapidement imaginé en cycliste professionnel. "Dans mon club au Danemark, ça se passait bien, et je commençais à grimper plutôt bien quand j'allais en montagne donc j'ai commencé à y croire", explique-t-il. Mais le tournant, pour lui, survient tardivement. Au printemps 2016, alors qu'il a déjà 19 ans. L'âge auquel Tadej Pogacar remportait le Tour de Californie pour devenir le plus jeune vainqueur d'une épreuve World Tour. Chacun sa trajectoire.
Celle du Scandinave va passer par l'équipe ColoQuick, pensionnaire de la Continental Pro, la deuxième division de l'UCI. "J'avais participé à une course locale au Danemark, détaille le maillot jaune. Certains pros participaient. A la fin, je me sentais fort et j'ai gagné la course. Le propriétaire de ColoQuick était là, il m'a vu et il a tout de suite été intéressé. Il me voulait dans son équipe. Je crois qu'une ou deux semaines après, je commençais chez eux." Jumbo Visma et l'élite sont encore loin, le Tour de France plus encore, le maillot jaune n'en parlons pas, mais ce fut sa porte d'entrée vers le monde du professionnalisme.
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L'équipe ColoQuick en 2016 lors du Tour de Chine; Jonas Vingegaard est le troisième en partant de la gauche.

Crédit: Getty Images

De son propre aveu, Vingegaard doit à peu près tout à ColoQuick. "La fédération danoise donne sa chance aux jeunes dans des grosses épreuves comme le Tour de l'Avenir ou la Course de la Paix, mais il faut déjà un certain niveau pour y participer, juge-t-il. Je crois vraiment que chez nous, le travail le plus important est fait par les équipes Continental Pro. Elles nous permettent de nous développer, de progresser."
Ce fut son cas chez ColoQuick : "Là-bas, j'ai évolué, énormément. Ils ont rendu possible la suite pour moi." Il estime devoir ainsi une fière chandelle à "tous leurs directeurs sportifs, notamment Christian Andersen, qui est maintenant chez Uno-X. J'ai beaucoup travaillé avec lui. Un mec bien. Mais là-bas, tout le monde m'a aidé. J'ai reçu beaucoup de conseils, on m'a permis de grandir. Sans eux, jamais je ne serais passé pro."

Mi-coureur, mi-poissonnier

Mais en 2017, à 20 ans, il est encore loin du top niveau quand une fracture du fémur le met à l'arrêt pour plusieurs mois. Face à un avenir incertain, il décide alors de chercher du boulot. Jonas vend du poisson chez un grossiste, puis travaille dans l'usine de Karsten Kongen, un coureur amateur du coin. "J'avais arrêté mes études en 2016, précise-t-il. Alors je devais travailler. Après ma blessure, j'ai travaillé dans une usine de poissons, c'est probablement le reportage que vous avez vu (en 2017, un sujet à la télévision danoise le montre effectivement au travail dans son usine, NDLR)."
Comment s'est-il retrouvé là-bas ? C'est Michael Valgren, le vainqueur de l'Amstel Gold Race 2018, qui lui a filé le tuyau. "C'est lui qui m'a donné le contact, sourit Vingegaard. On vient de la même région et il connaissait un ancien coureur qui travaillait dans le poisson. Il a bossé dans l'usine. Il avait le contact, il m'a donné le numéro et j'ai appelé pour voir ce qu'il était possible de faire." Dès lors, il scinde ses journées en deux : boulot le matin, entraînement l'après-midi. "J'ai travaillé là-bas jusqu'à l'été 2018. Et j'ai signé chez Jumbo Visma en 2019. Donc six mois avant de rejoindre l'équipe, je travaillais encore dans le poisson."
Chez ColoQuick, on se souvient d'un jeune avec certaines aptitudes quand la route s'élevait, mais on ne l'imaginait pas forcément en vainqueur du Tour quelques années plus tard. "Jonas nous a rejoint en 2016-2017. Il était facile à vivre mais déjà très ambitieux, nous avait confié l'an passé son ancien coéquipier Christian Moberg Jörgensen, devenu depuis directeur sportif de l'équipe. Il restait cependant beaucoup de chemin à parcourir pour lui. A ce moment-là, il manquait énormément de puissance, explique-t-il. Mais quand nous sommes allés en stage à Calpe, son talent a explosé aux yeux de tous. Il grimpait si bien !"
Le stage à Calpe, en Espagne, qu'évoque Jörgensen, s'est tenu en janvier 2018. Jonas Vingegaard se relance tout juste après sa fracture du fémur. Là, il bat le record de la montée du coll de Rates, une ascension réputée dans la région d'Alicante. Près de 10 bornes de montée, les quatre dernières à plus de 10% de moyenne avec un pic à 16%. "Il grimpait si bien !", comme dit Jörgensen.

Trine et les poils sur le torse

Au-delà des ficelles du métier, de ces années, Vingegaard va surtout apprendre la rigueur. Lui, le lève-tard, se voit infliger une discipline qui lui était étrangère jusqu'alors grâce à son travail à l'usine. Sur la route, il ne rechigne pas sur les charges de travail à l'entraînement et, une fois remis de sa jambe cassée, il signe ses premiers résultats et ses premiers succès chez les pros, comme le prologue du Tour de la Vallée d'Aoste.
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Jonas Vingegaard à 21 ans. Il vient de signer chez Jumbo Visma.

Crédit: Imago

Quelques semaines plus tard, la Jumbo Visma, intriguée par les qualités de grimpeur mais aussi de rouleur, bref, par le profil assez complet du jeune homme, décide de le recruter à l'été 2018 pour les deux saisons suivantes. C'est Brian Petersen, l'autre directeur sportif de ColoQuick avec Christian Andersen, qui convainc Grischa Niermann de l'emmener aux Pays-Bas. Initialement, les dirigeants de Jumbo visaient un autre coureur de la petite équipe danoise. A priori, ils n'ont pas regretté leur choix.
Le reste appartient à l'histoire. Mais si Jumbo Visma l'a transformé en champion, ColoQuick avait créé le coureur. Une base indispensable. De dix ans son aîné, Trine, elle, l'a changé en homme. C'est elle qu'il a appelée quelques secondes après sa victoire au Granon, le jour de sa prise de pouvoir. "En dehors des directeurs sportifs de ColoQuick, elle est la personne qui a le plus compté, nous glisse Jonas Vingegaard. Trine a eu un impact énorme sur mon développement et je ne pense pas que j'aurais pu accomplir tout ce que j'ai fait sans elle. Quand vous devenez professionnel, vous devez grandir vite en tant que personne, et elle m'a vraiment aidé sur ce plan. A devenir plus fort mentalement. A avoir du poil sur le torse, si vous voulez."
Avec son poil au poitrail et son maillot jaune sur le dos, Jonas Vingegaard n'est plus le même. Il découvre depuis un an, et n'a pas fini de le découvrir, qu'avec le succès, la gloire et la célébrité, viennent tout un tas d'obligations. Il ne les aimera pas toutes. Les routes sauvages du Jutland paraissent loin. Même si c'est bien le vent du nord qui a porté une passion d'enfance jusqu'au sommet du cyclisme mondial.
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A Foix, avant le départ de la 16e étape, Jonas Vingegaard avec sa compagne, Trine Hansen et leur fille, Frida.

Crédit: Getty Images

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