La folle ascension de Brock Purdy, de "Mr. Irrelevant" aux playoffs NFL

Paul Salata a laissé une trace dans l'histoire de la NFL. En 1976, cet ancien receveur du début des années 50 décide de mettre à l'honneur le tout dernier joueur sélectionné lors de la draft. Il lui trouve même un surnom teinté d'ironie : Mister Irrelevant. "Monsieur sans importance", pourrait-on traduire. Depuis bientôt un demi-siècle, la tradition perdure. Jusqu'en 2013, c'est Salata en personne qui annonçait le nom du dernier appelé lors de la draft. Depuis, sa fille, Melanie, a pris le relais. C'est elle qui, le 30 avril dernier, a dévoilé le nom de Brock Purdy, choisi par les San Francisco 49ers avec le 262e et dernier choix de la draft 2022.

Une façon comme une autre de marquer son entrée dans la carrière. Après tout, un peu comme pour la lanterne rouge du Tour de France, mieux vaut être le tout dernier que l'avant-dernier qui, lui, n'a droit à aucune marque de reconnaissance particulière. Après avoir quelque peu rechigné, Purdy s'est soumis aux diverses activités qu'accompagne ce statut pourtant assez peu enviable, y compris la "Irrelevant week", organisée chaque année à Newport Beach après la draft. Dans son cas, la vexation avait quelque chose de particulier. Purdy est un quarterback, un leader, habitué à la lumière plutôt qu'à une ombre moqueuse, même si tout ceci se veut bien intentionné.

Huit mois plus tard, l'ancien passeur de Iowa State n'est plus du tout "irrelevant". Début décembre, après la blessure du quarterback des 49ers, Jimmy Garoppolo, il a été propulsé au poste de titulaire. Il avait pourtant débuté la saison en troisième position dans la hiérarchie de ce poste clé. C'était avant que Trey Lance, le numéro 3 de la draft 2021, ne parte à l'infirmerie jusqu'à la fin de la campagne en cours. Depuis six matches, Brock Purdy est donc aux manettes de l'attaque californienne, avec un succès certain : les Niners ont remporté ces cinq matches, se sont assuré le titre de la division NFC West et ils entameront les playoffs ce week-end avec des rêves de Super Bowl en tête.

En l'espace de quelques semaines, Purdy est devenu la belle histoire de la saison. Ses statistiques ne sont pas forcément affriolantes (10 touchdowns en cinq titularisations) mais il s'avère un formidable gestionnaire. Avec une défense dominatrice et des armes de pointe en attaque, comme le receveur Deebo Samuel ou le running back Christian McCaffrey, dont l'arrivée en cours de saison a dynamisé l'escouade offensive, le débutant est très bien entouré.

A un rookie quarterback, on demande généralement, plus que de gagner les matches, de ne surtout pas les perdre. Mission plus qu'accomplie pour Brock Purdy qui, sans avoir besoin de porter son équipe constamment sur ses épaules, joue un rôle déterminant dans les succès récents des 49ers. Depuis qu'il a pris les rênes de l'attaque, il affiche ainsi le meilleur rating de toute la NFL. Le jeu ne semble pas aller trop vite, sa lecture des défenses adverses parle pour lui et il fait preuve du sang-froid indispensable à son poste.

A le voir évoluer depuis un mois, beaucoup se demandent comment 261 joueurs ont pu être pris avant lui lors de la draft 2022. Parce que le "scouting" des candidats à la NFL, en dépit de toute l'attention et des moyens mis par les franchises dans ce domaine, n'est pas une science exacte. Dans une cuvée de quarterbacks déjà jugée faiblarde (seuls neufs ont d'ailleurs été choisis, le plus faible total depuis 2015, et un seul au premier tour), Brock Purdy ne comptait pas parmi les plus excitants, avant tout parce que ses capacités physiques ne sautaient pas aux yeux : une taille suspecte (1,85 m), une puissance de bras trop juste et une mobilité certes correcte mais pas dévastatrice.

Pourtant, les 49ers, eux, ont fini par lui donner sa chance alors qu'ils étaient largement outillés à ce poste. Pour Steve Young, l'ancien quarterback légendaire de San Francisco, Brock Purdy a ce petit truc en plus qui change tout et qu'il compare au pouvoir de la "Force" dans Star Wars.

"C'est la chose la plus difficile à voir et c'est pour cela que les 49ers ont pu le prendre au 7e tour, explique-t-il. Comment savoir si un joueur a ça en lui, s'il a la Force, comme Yoda ou Obi-Wan Kenobi ? Les scouts ne savent pas détecter ça. Tout ce qu'ils font, c'est prendre des mesures. C'est pour ça qu'il y a autant de mauvais choix, particulièrement au premier tour. Souvent, on ne comprend qu'après coup et c'est le cas avec le jeune Brock."

Il y a dans tout cela une part d'instinct car, encore une fois, San Francisco n'était pas spécialement en quête d'un quarterback, et... de chance. Mais il ne pouvait mieux tomber que chez les 49ers, dont le style lui sied. "L'intelligence et la compréhension du jeu sont déterminantes dans l'attaque de Kyle Shanahan et cela convient parfaitement à Brock", dit encore Steve Young.

Le jeune homme possède aussi un leadership inné et une confiance en lui indispensable pour réussir en NFL. Surtout pour un quarterback. "Sans le moindre doute, oui", a-t-il répondu à la presse qui lui demandait la semaine dernière s'il se sentait réellement capable de guider son équipe jusqu'au Super Bowl. "En dehors du terrain, je suis plutôt du genre à rester en retrait, a-t-il précisé. Je parle peu de moi et je ne suis pas l'image que vous pouvez avoir du quarterback. Mais une fois sur le terrain, je suis un compétiteur. C'est mon boulot. Je dois être le leader, entraîner ces gars, mettre des points au tableau d'affichage. Cela implique de me comporter différemment."

Christian McCaffrey, avec lequel il a étroitement travaillé ces dernières semaines, a raconté de son côté deux anecdotes révélatrices. "Lors du huddle (le regroupement des joueurs en attaque entre deux actions), alors que c'était je crois sa première titularisation, il a demandé à un des gars de fermer sa gueule pendant qu'il annonçait le jeu. Il fallait oser", rigole le running back, dont l'autre confidence est plus éloignée du terrain sans en dire beaucoup moins long : un soir, à l'hôtel, lors d'un déplacement, le rookie a été invité à prendre part à une partie de poker avec certains de ses coéquipiers. Il joue peu mais s'est laisser tenter. Là, il a sidéré tout le monde en se montrant ultra-agressif, loin du jeu souvent plus conservateur d'un débutant. La confiance, encore.

C'est lors de sa deuxième titularisation que Purdy avait le plus impressionné au moins de décembre, en menant les Niners à la victoire contre le Tampa d'un certain Tom Brady, éclipsé par le rookie ce soir-là. Il est bien sûr à des années-lumière d'un destin à la Brady, mais ce dernier, lui aussi, avait été boudé lors de la draft 2000, attendant jusqu'au 6e tour avant d'être appelé.

"Tom Terrific" avait attendu sa deuxième saison en NFL pour avoir sa chance et remporter son premier Super Bowl. Brock Purdy n'en est pas encore là, d'autant qu'un retour de Jimmy Garoppolo en playoffs n'est pas totalement exclu. Mais s'il parvenait à soulever le trophée Vince Lombardi le 12 février prochain, ce serait le conte de fées du siècle. Et l'histoire la plus dingue jamais vue pour un "Mr Irrelevant", surnom qui lui va de moins en moins bien.