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Jeu, ambiance, exposition, évolution de la société : En Angleterre, le football féminin a l'exposition qu'il mérite

Philippe Auclair

Publié 09/03/2024 à 00:14 GMT+1

Dans le sillage d'une sélection titrée à l'Euro 2022 (et finaliste de la Coupe du monde 2023), l'Angleterre est parvenue à offrir au football féminin l'exposition qu'il mérite. Sur le terrain, le jeu y est de qualité. Dans les stades, les tribunes sont bien garnies d'un public bien moins violent et à la télévision, les chaînes jouent le jeu. Outre-Manche, c'est la société toute entière qui évolue.

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Que l'Emirates affiche complet lorsque Arsenal y joue, rien de plus normal ; mais c'est peut-être plus étonnant que ce soit aussi le cas lorsque ce sont les féminines du club qui sont impliquées, comme ce fut le cas dans le derby du nord de Londres au début de ce mois, et comme ce l'avait été en février, lorsque le visiteur s'appellait Manchester United. Et alors qu'Arsenal Women est obligé de disputer une partie de ses rencontres de WSL (Women's Super League) à Meadow Park (capacité : 4500 spectateurs), l'affluence moyenne à leurs matches cette saison est de 35 006 spectateurs - davantage que ce qu'attirent dix des vingt clubs de Premier League dans leurs stades (*).
Le succès de l'équipe entraînée par Jonas Eidevall depuis 2021, toujours en course pour le titre, à trois points seulement des co-leaders Chelsea et Manchester City, y est pour quelque chose ; son jeu dynamique et agressif aussi, ainsi que la présence dans ses rangs de deux authentiques stars, Vivianne Miedema (95 buts en 118 sélections avec les Pays-Bas) et l'internationale anglaise Beth Mead, partenaires dans la vie comme sur le terrain, quelque chose qui, au passage, n'est jamais mentionné qu'en passant dans les médias britanniques, et un domaine dans lequel le football masculin a au moins une génération de retard. Ce n'est peut-être pas le seul.
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Vivianne Miedema (Arsenal)

Crédit: Getty Images

La compétitivité d'Arsenal Women, aussi victorieuses dans la Coupe de la Ligue 2023, n'explique pas tout, leur glorieuse histoire (*) non plus. L'engouement autour de leur équipe participe d'un phénomène qui est en passe de transformer le visage de ce qu'on appelle 'football' en Angleterre, et dont la locomotive la plus puissante a été le succès de la sélection, demi-finaliste de la Coupe du monde en 2015 et 2019, finaliste malheureuse en 2023, et championne d'Europe en 2022, quand 17,5 millions de télespectateurs avaient vécu son sacre en direct sur la BBC.

Des tribunes plus saines

Les Lionnesses sont à ce point populaires que leur gardienne Mary Earps a succédé à sa coéquipière Beth Mead au palmarès de la "Personnalité sportive de l'année" en 2023, et qu'une ligne du London Overground, équivalent du RER parisien, vient d'être rebaptisée The Lionness Line en leur hommage. Il est vrai que cette ligne décerne Wembley, là même où l'Angleterre de Sarina Wiegman avait accompli ce que n'avait pu accomplir celle de Gareth Southgate un an plus tôt, en battant l'Allemagne 2-1 dans le temps additionnel le 31 juillet 2022. "L'héritage de ce tournoi est un changement dans notre société", avait alors déclaré l'une des héroïnes du tournoi, Leah Williamson, elle aussi une joueuse d'Arsenal. "Nous avons rassemblé tout le monde".
Ce n'est pas l'ivresse de la victoire qui avait poussé Williamson à l'exagération. Ce qu'elle affirmait, quiconque aura assisté à une des rencontres de son club ou de sa sélection pourra s'en porter garant. Les foules qui y assistent sont différentes, même à Arsenal, qui est pourtant le plus 'inclusif' des clubs anglais en termes de support, tant en termes de représentation par genre ou par appartenance à une minorité ethnique. Les nouveaux-venus seront sans doute surpris par la présence de très nombreux hommes qui ne seront pas seulement venus pour accompagner parents et parentes, compagnes et enfants.
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Je puis parler de ceci à titre personnel : la moitié des membres du groupe d'abonnés dont je fais partie, qui est exclusivement masculin, assiste désormais aussi aux matches de 'nos' féminines quand celles-ci sont à l'affiche à l'Emirates. Ce que ces hommes recherchent souvent, outre du jeu de qualité, d'ailleurs en constante progression, est un football qui soit délivré de ce que le supportérisme traditionnel, presque exclusivement masculin, peut avoir de toxique et charrier d'agressivité gratuite, de violence verbale et de violence tout court aussi. Ce qui n'empéche pas ce public plus pacifique de reprendre en choeur "Tottenham, c'est de la m...." sans qu'il manque beaucoup de voix au refrain.

La parole féminine s'est normalisée

Cette féminisation du football est aussi sensible dans la façon dont on parle dans les grands médias. Tous les quotidiens britanniques ont au moins un reporter présent sur les grands rendez-vous de WSL. Trois rencontres de cette compétition sont diffusées en direct chaque semaine, deux sur le réseau Sky, une, en clair, sur la seconde chaîne de la BBC ; toutes les autres - vous avez bien lu : toutes - sont diffusées sur le site de la FA, qui propose aussi les images du Championship (D2) à la demande.
Mais le plus frappant est que c'est aussi du sport de ces messieurs dont on parle au féminin. Charlotte Nicol avait été la pionnière, dès le tout début des années 1990, couvrant la Premier League et la Ligue des champions, plus quatre Euros et cinq Coupes du monde pour la radio Radio Five Live. Elle était alors la seul femme dans le press pack des grandes radios. Elle ne l'est plus.
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La parole féminine sur le football s'est normalisée. Robyn Cowan est devenue l'une des voix les plus reconnaissables de Match of the Day, et si Ian Wright peut commenter des matches de football féminin à la BBC, ce qu'il fit pendant l'Euro 2022, d'anciennes joueuses comme Karen Carney, Alex Scott, Eni Aluko et Lucy Ward ou la manager de Chelsea Emma Hayes seront quant à elles présentes pour prodiguer leurs analyses sur des matches de Premier League, de Ligue des champions ou de Coupe du monde.

Barton est devenu paria

Pas pour tendre un micro et poser trois questions bateau au Player of the Match avant de rendre l'antenne au studio. Pour expliquer ce qu'il se passe sur la pelouse. Hayes (*), en particulier, serait un choix automatique s'il fallait dresser une shortlist pour le titre de 'meilleur consultant de football de l'année' au Royaume-Uni.
Ces femmes ont dû faire face aux réticences qu'on imagine, et continuent d'avoir droit à leur lot d'insultes, voire de menaces sur les réseaux sociaux. Joey Barton a tenu des propos odieux sur leur compte. L'ancien pseudo-intellectuel de Manchester City, dont plus personne ne veut comme entraîneur, espérait peut-être se refaire une crédibilité auprès d'une partie des supporters en les prenant pour cibles. C'est loupé. Il n'est plus qu'un paria pitoyable, la caricature de 'valeurs' dont le football féminin anglais est aujourd'hui l'antithèse - et le pionnier, on peut l'espérer, pour le football tout court.
(*) Arsenal Ladies, comme elles s'appellaient alors, remportèrent onze titres de champion d'Angleterre (en finissant sept saisons invaincues), neuf coupes d'Angleterre et une Coupe de l'UEFA entre 1992 et 2009 sous la direction du fondateur de la section féminine des Gunners, Vic Akers, qui fut aussi l'adjoint d'Arsène Wenger pendant la plus grande partie de cette période.
(*) Hayes fut aussi la récipiendaire du 'Tribute Award' de la FWA, l'association des journalistes de football anglais, en 2023, dont le président de 2020 à 2023 fut d'ailleurs une présidente, la journaliste TV de beIN Sports Carrie Brown.
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