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"C'était comme dans Gomorra" : Entre violences et menaces, bienvenue dans l'enfer de Seregno

Guillaume Maillard-Pacini

Mis à jour 30/12/2021 à 15:54 GMT+1

ITALIE - Située dans la province de Monza et de la Brianza, à une vingtaine de kilomètres de Milan, la ville de Seregno est secouée depuis quelques semaines par une affaire surréaliste concernant son club de football, qui évolue en troisième division italienne. Entre menaces, violences et intimidations, le Seregno Calcio a vécu l'enfer. Au point que le parquet de Monza a ouvert une enquête.

L'équipe du Seregno Calcio

Crédit: Imago

"Oui, c'était comme Gomorra". Interrogé le 10 décembre dernier dans les colonnes de La Gazzetta dello Sport, Ermanno Fumagalli a accepté de raconter son calvaire. Mais aussi celui d'une grande partie de ses coéquipiers. Pendant plusieurs mois, et plus particulièrement depuis la montée en Serie C (troisième division italienne), le gardien du Seregno Calcio a vécu un vrai cauchemar. "Le climat était pesant, ce n'était pas du football, racontait-il au quotidien transalpin. On s'entraînait comme si c'était du handball, c'était une sorte de calcio florentin où tout était accepté pour gagner. Et quand je dis tout, c'est tout (...) Une fois, après une défaite contre la Juventus U23, nous avons été réunis le matin à 7h pour revoir le match. Une autre, entraînement à 6h pour courir pendant une heure. Ce n'était pas une équipe de foot, c'était une caserne. "
Mais un jour, la limite est dépassée. "Avant l'entraînement, plusieurs personnes se rapprochent de moi, confiait-il. Je les connaissais, puisqu'elles gravitaient autour de l'équipe. 'On va venir te chercher chez toi, tu n'as pas compris'. 'Tu ne reverras jamais ta famille, quand tu rentres ce soir, tu dois saluer Jacopo'. Quand ils ont cité le nom de mon fils, je n'ai plus rien compris."
Mais qui sont donc ces "ils" ? Quelques semaines plus tard, le gardien de 39 ans, ainsi que deux de ses coéquipiers, décident de parler à Davide Erba, leur président. Ils révèlent alors les coulisses de leur enfer. Ce dernier décide de porter plainte contre Ninni Corda, son directeur général, pour "intimidations" et "actes de violence" contre certains joueurs. Le 12 novembre, un mail lui signifiant sa suspension est envoyé. Mais le 12 novembre, c'est également le jour où une violente bagarre éclate en plein entraînement. Selon la plainte déposée, deux joueurs auraient alors agressé deux de leurs coéquipiers. Six jours plus tard, Corda, dont le contrat expirait en 2024, reçoit sa lettre de licenciement pour faute grave.
Ils ont envoyé un boxeur pour les menacer
"Le parquet va enquêter sur les raisons des agressions et des menaces, expliquait le président Erba à La Gazzetta dello Sport. Tout a commencé lorsque j'ai annoncé mon intention de vendre le club. Il y a eu des menaces de mort envers notre gardien, notre vice-président (qui a également porté plainte, ndlr), deux autres joueurs ont été frappés par deux autres et un boxeur professionnel (plus particulièrement un ex-kickboxer professionnel, ndlr) a été mandaté pour des menaces."
Pour lui, donc, son ancien directeur général est derrière toute cette sombre affaire. Le défenseur Christian Anelli, et le milieu de terrain Federico Gentile, tous deux arrivés dans les valises de Ninni Corda après la promotion en Serie C, seraient également dans le coup. "Ils voulaient montrer qu'ils avaient le contrôle, estime Davide Erba. C'était une erreur d'enrôler Monsieur Corda. Je ne voulais pas me baser sur des étiquettes car une personne peut faire des erreurs dans la vie. Mais je ne la referai pas, j'assume ma responsabilité." En 2015, Ninno Corda, alors dirigeant de l'équipe de Côme, s'était retrouvé dans une histoire de paris truqués.
Accusé, il a rapidement répondu à son ancien président. "J'apprends avec stupeur que l'œuvre d'auto-destruction de M.Erba concerne également ma personne, déplorait-il dans la presse italienne. Ces accusations sont fausses et n'ont aucun fondement. En 25 ans de carrière comme entraîneur et dirigeant, je n'ai jamais menacé quelqu'un, même en étant entré en contact avec au moins 2000 joueurs. J'ai demandé à mes avocats d'attaquer M.Erba pour diffamation (...) Il devrait plutôt se préoccuper de la grave situation qui découle de ses sms, messages WhatsApp et mails des dernières semaines." En cause, notamment, un message vocal du président envoyé sur le groupe de l'équipe peu avant le déplacement sur la pelouse de Padova, le 3 octobre dernier. Son contenu a rapidement fuité.

"On doit les manger ces m*****"

"On doit les déchirer, les tuer, y lâchait-il. Il faut gagner sinon je vais m'énerver comme une hyène. On doit les manger ces m***** (...) Moi je veux gagner car le directeur et moi, nous ne perdons jamais !". "Je ne referai pas ce message vocal, regrettait Davide Erba. Le sens était bien évidemment métaphorique. Je voulais motiver mon équipe de manière un peu rude." Mais son désormais ex-directeur général, devenu son ennemi en l'espace de quelques semaines, l'accuse également de n'avoir "payé personne" ces derniers mois. "Je vais l'attaquer partout où c'est possible, même devant le Parquet Fédéral. Il s'est liquéfié après trois mois en changeant les programmes et en ne voulant plus payer personne, en plus d'avoir souillé pendant des mois les institutions fédérales."
Au milieu de tout ça, les joueurs. "Quel genre de rapport nous avions avec notre directeur général et les deux joueurs concernés ? De tolérance, se souvient Fumaggali. On pensait tous : "espérons gagner dimanche, sinon..." (...) Il y avait une tension continue. Lors de la mi-temps d'un match, j'ai vu une personne frapper deux jeunes. Je ne sais pas pourquoi. Le message vocal ? On utilise un message privé pour des intérêts personnels. Le président voulait simplement nous motiver. Il est l'inverse de ce qu'on peut entendre dans ce vocal, c'est une personne avec un grand cœur. Il ne mérite pas certaines attaques. C'est grâce à lui que nous sommes sortis de ce cauchemar. Quand je rentrais chez moi, le soir, j'avais peur..."
Les joueurs du Seregno Calcio
Ermano Fumagalli, qui a connu bien des clubs tout au long de sa carrière (Fiorenzuola, Fanfulla, Juve Stabia, Avellino, Foggia, Piacenza, etc.), continue de se reconstruire. Toujours au Seregno Calcio, mais libéré "du mal". "J'ai retrouvé mon football. Avant, c'était Gomorra ici, soulignait-il dans son entretien à La Gazzetta dello Sport. Je ne sais pas pourquoi ils m'ont menacé, probablement parce que je me comporte comme un professionnel. Personne n'a jamais pu parler en mal de ma personne (...) J'ai eu peur pour moi. Ma femme, avec mes deux enfants à la maison, n'était plus sereine (...) Quel rôle avait notre entraîneur ? Il n'arrivait pas à s'exprimer en raison du fort conditionnement de cette personne (Corda, ndlr). Il n'était pas libre comme maintenant."
L'enquête, coordonnée par le Procureur Général Claudio Gittardi, est toujours en cours. "Plusieurs zones d'ombre persistent, nous confie une source proche du dossier. Et des personnes doivent encore être interrogées. Pour l'instant, les chefs d'accusations restent menaces et violence dans la sphère privée. Mais nous ne sommes pas au bout de toute cette affaire. La lumière doit encore être faite."

19 matches, 10 cartons rouges

Sur le terrain, l'équipe de Seregno n'est toutefois pas vraiment du genre irréprochable. S'il faut bien évidemment différencier jeu "rugueux" et possibles délits, on comptabilise pour l'instant 10 cartons rouges et plus de soixante cartons jaunes en une vingtaine de matches toutes compétitions confondues. Pour un total de 36 matches de suspension, partagés entre 13 joueurs et 4 membres du staff.
L'an dernier, par exemple, le défenseur Martino Borghese avait été suspendu deux journées après un match face à la Virtus CiseranoBergamo pour "être entré dans le vestiaire de l'équipe adverse, avec une conduite violente", souhaitant notamment "en venir aux mains et cracher" sur les adversaires selon le rapport des officiels. "Et pour avoir également consenti à deux personnes, non identifiées, à frapper le footballeur Matteo Pellegrini d'un coup de poing au nez et le magasinier Nespoli d'une baffe et d'un coup de pied." A l'époque, Ninni Corda n'était pas encore aux commandes de la direction. Mais Federico Gentile, l'un des joueurs arrivés l'été dernier et accusés de violences et menaces, traînait quant à lui encore quatre de ses huit matches de suspension. La raison ? Des insultes racistes prononcées envers Rayyan Baniya (Mantova) la saison dernière lorsqu'il évoluait à Fano…
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