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Real Madrid : Karim Benzema, la légende de l'ombre

Philippe Auclair

Mis à jour 06/02/2019 à 15:19 GMT+1

COUPE DU ROI - Alors que Karim Benzema est devenu le sixième meilleur buteur de l'histoire du Real Madrid, notre chroniqueur Philippe Auclair se penche sur la trajectoire finalement rectiligne de l'attaquant français. Ni porte-parole ni premier rôle, le Français s'est aussi construit dans l'ombre et suscite une admiration ou un rejet pas forcément en phase avec sa personnalité.

Karim Benzema

Crédit: Getty Images

Le 9 juillet prochain, Karim Benzema aura été un joueur du Real Madrid depuis dix ans, dix ans pendant lesquels il aura bâti le plus beau palmarès en club de l'histoire du football français, avec quatre titres de champion d'Europe et deux de champion d'Espagne à son CV, à ajouter aux quatre de champion de France qu'il avait remportés avec Lyon; plus trois coupes nationales, et quatre Coupes du monde des clubs, en oubliant les Supercoupes ramassées presque sans y prêter attention. Cela, c'est indiscutable.
Ce 31 janvier, en inscrivant un doublé contre Girona (3-1), Karim Benzema passait devant Hugo Sanchez dans la liste des plus grands buteurs de l'histoire du plus grand club du monde, avec 209 buts en 446 rencontres (et 119 passes décisives). Quelques jours plus tard, il en ajoutait un 210e dans une victoire 3-0 sur Alavés. Ferenc Puskas n'est plus qu'à trente-deux unités devant lui.
Or, Benzema a eu trente-et-un ans au mois de décembre et est encore sous contrat pour deux ans et demi avec le Real, en attendant, à moins que Florentino Perez n'ait un moment d'absence, une rallonge qu'il n'aura pas volée. Au rythme qui est le sien depuis qu'il s'installa à Madrid, et vu le soin avec lequel il veille désormais sur sa condition physique, l'enfant de Lyon devrait dépasser le génie de Budapest d'ici la fin de 2020. Et cela aussi, c'est indiscutable.

Benzema n'est pas un porte-parole

On dira aussi que les choses qui, elles, sont discutables, ne manquent pas quand on passe en revue la carrière du premier buteur de la "génération 1987" lors du tournoi qui les révéla, l'Euro U17 de 2004. Il n'est nul besoin de rappeler ici l'affaire Valbuena, les fréquentations douteuses, les déclarations pour le moins malhabiles, le conflit qui continue de l'opposer à Didier Deschamps. On peut faire de meilleurs choix devant le but que dans une vie à laquelle, pour un parasite qu'on décolle de sa peau, dix autres tentent de s'accrocher. C'est du footballeur qu'il est question ici, pas d'un être humain devenu, de bon ou de mauvais gré, un écran sur lequel projeter ses fantasmes, ses préjugés, voire sa haine.
Il ne peut pas grand-chose à cela. Certains joueurs sont ainsi faits qu'ils acceptent, voire revendiquent, qu'on jette sur leurs épaules un manteau autre que leur maillot. Mais tout le monde n'est pas Paul Breitner, Johan Cruyff ou Diego Maradona. Benzema n'est pas un militant, un de ces super-egos qui ont un avis sur tout ou se sentent investis d'une mission collective - au-delà du service de son club, si ce n'est de sa sélection, sujet délicat entre tous dans son cas, et qui n'entre pas dans mon propos aujourd'hui. Il n'est pas un porte-étendard, n'a jamais prétendu l'être. Qu'il incarne bien des contradictions de la France d'aujourd'hui (qui s'expriment plus violemment dans nos rues, d'ailleurs), absolument. Mais qu'on ne l'accuse pas de les avoir attisées.
Il est ainsi, depuis toujours. Un surdoué auquel on promit la lune (ce que coûtent ce genre de promesses !) quand il était adolescent, mais préféra garder les pieds sur terre. Ben Arfa, Nasri, Ménez, les trois autres mousquetaires du quatuor supposément béni de 2004, ont dessiné une carrière en méandres dans laquelle tout le monde s'est perdu, à commencer et à finir par eux-mêmes. Lui est allé tout droit. Lyon, le Real, point. C'est une forme de discrétion, d'un type très particulier il est vrai, puisque c'est dans le club de Di Stefano qu'il a trouvé la terre sur laquelle s'épanouir. Ils ne sont pas si nombreux à l'avoir fait.

Booba, Marseillaise et Panama Papers

Son plus grand tort ? D'avoir été second de patrouille quand Cristiano Ronaldo en plantait le fanion sur tous les terrains d'Europe. Le bon sens voudrait qu'on applaudisse cet altruisme, mais le bon sens tend à quitter la conversation quand il est question de Benzema. On lui reproche d'être demeuré lui-même, de s'être contenté de vivre à l'ombre de CR7 (et d'avoir ainsi évité les coups de soleil qui frappent ceux d'un naturel moins prudent), de mener une existence de fonctionnaire du ballon, en quelque sorte.
Un fonctionnaire qui, aujourd'hui, est donc le sixième meilleur buteur de l'histoire du Real Madrid, ce qui constitue quand même une drôle de façon de se cacher. Comme s'il n'était pour rien dans les titres que son club a gagné avec lui. Ce n'est certainement pas ce que pensent Cristiano Ronaldo, Sergio Ramos ou Zinedine Zidane.
Tous les joueurs, y compris certains 'grands', ne sont pas nés ou construits pour devenir des légendes. On ne donne pas de cours de charisme dans les écoles de football, et, même si on en donnait, il n'est pas certain que Benzema se fut montré bon élève, tant il se dégage de lui une impression de normalité - jusqu'à ce qu'il touche le ballon. Son physique y est sans doute pour beaucoup. Il n'a pas une gueule de star et, malgré les grosses bagnoles, le bling, les virées avec Booba et une récente visite à un centre de tir en Floride dont il aurait peut-être pu se passer, il ne la ramène pas vraiment non plus.
S'il ne chantait pas la Marseillaise, pas plus que Platini, Blanc, Bossis et tellement d'autres, les millions qu'il gagne, et qu'il n'a volés à personne, c'est le Trésor Public de la République prétendument une et indivisible qui les passe au crible; on ne les retrouve pas dans un document des Panama Papers. Ce n'est pas nécessairement un détail. Au vu de ce qu'on voit défiler devant les tribunaux espagnols depuis un certain temps, ce serait même plutôt une exception.
Absoudre Benzema de toute faute parce qu'il est ceci n'a pas plus de sens que l'accabler parce qu'il est cela. Le footballeur mérite beaucoup mieux, 'légende' ou pas.
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