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Coupe du Monde 1979 : la belle Argentine de Maradona et Menotti

Thomas Goubin

Mis à jour 09/09/2019 à 09:21 GMT+2

Jamais une sélection argentine n'aurait joué aussi bien. C'est, en tout cas, la trace laissée par les U20 champions du monde 1979, dirigés par César Luis Menotti et sublimés par Diego Armando Maradona.

Diego Maradona

Crédit: Getty Images

Les Argentins appellent cela "la nuestra". "La nôtre". Une manière bien à eux de jouer au football, façonnée sur les terrains vagues où se formaient les joueurs d'antan. Un football de géniaux déshérités, de passes courtes, où la feinte vient compenser les déficits de taille ou de poids. Un football joyeux et virtuose.
La dernière fois qu'une sélection argentine aurait gagné en jouant à "la nuestra" remonterait au 7 septembre 1979. A Tokyo, l'Argentine emmenée par Diego Armando Maradona et le futur Interiste, Ramón Díaz, remportait la deuxième édition de la Coupe du Monde des moins de 20 ans, face à l'URSS (3-1). Pendant trois semaines, une bande de pibes (gamins) avait fait se lever tôt l'Argentine - décalage horaire oblige - pour assister à de réjouissants récitals en noir et blanc.

Défendre les idéaux du football argentin

A la tête de cette sélection, César Luis Menotti, qui venait de remporter la Coupe du Monde 1978, mais avait tenu à diriger les U20 dès la phase de qualifications. "Ce que nous avait inculqué El Flaco (surnom de Menotti), c'était de respecter un style, une idée, se souvient l'ex-Monégasque, Juan Simón, sacré au Japon, on se devait d'être fidèle à l'ADN du football argentin". "Dès le premier jour, les consignes de Menotti étaient simples : la défense des idéaux de notre vieil et cher football argentin" appuie Ruben Rossi, binôme de Simón en défense centrale.
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Cesar Luis Menotti

Crédit: Eurosport

Menotti avait averti ses joueurs : s'ils ne gagnaient pas avec la manière, leur postérité serait circonscrite à quelques lignes dans les livres d'histoire. Mais cette sélection a bien joué "un football inoubliable", dixit le quotidien Olé, et l'Argentine continue de célébrer son souvenir quarante ans plus tard. "Cette équipe a généré autant de nostalgie parce qu'elle a touché le cœur des gens, estime Rossi, qui évoluait dans les équipes de jeunes de Colón Santa Fe en 1979, cette victoire n'est pas affaire de chiffres, de leur froideur, on parle de bonheur, de sensibilité, de joie."
Au Japon, l'Argentine allait survoler un tournoi entamé par un 5-0 face à la faible Indonésie. Seule la première période de son deuxième match, contre la Yougoslavie, avait laissé à désirer. "Dans le vestiaire, Menotti nous avait passé un savon, se rappelle Simón, ils nous avait dit que si c'était pour jouer comme ça, il aurait mieux fallu rester en Argentine. Il nous a alors demandé de jouer comme nous le savions, et en deuxième période on s'est baladé même si nous n'avons gagné que 1-0".

Deux génies : Diaz et Maradona

Fascinés par l'ordre et la discipline qui régnaient dans les rues japonaises, les jeunes argentins n'en perdaient pas pour autant leur spontanéité sur le terrain. A la fin des matches, leurs adversaires, comme les Algériens en quarts de finale (5-0), s'arrachaient les maillots des deux génies de l'attaque albiceleste, Díaz et Maradona.
En 1979, El Pibe de Oro n'avait pas encore vingt ans, mais sa présence a évidemment contribué à magnifier cette sélection, sur le terrain comme dans les mémoires. Alors employé par le modeste Argentinos Juniors, Diego Armando Maradona n'en était pas moins déjà une star dans son pays. Un leader aussi, qui donnait la cadence lors des exercices physiques et toujours disposé à rassurer les moins expérimentés. C'était le Maradona fiancé à Claudia (sa futur femme), heureux de pouvoir inviter deux fois par semaine sa mère au restaurant, un jeune homme comblé du bien-être qu'apportait sa réussite à sa famille.
"Il était le joueur le plus important et moi le moins important car je n'avais jamais joué en première division, indique Rossi, et pourtant il a toujours été attentionné. Il était leader par son sourire et par son pied gauche, il n'avait même pas besoin de parler. Et puis, il nous rendait tous meilleurs, ce que je n'ai jamais connu chez un autre footballeur." Privé de Mondial 1978, ce qu'il ne pardonna jamais à Menotti, El Diez était pourtant disposé à tout donner pour triompher au Japon. "Je voulais une revanche du Mondial, disait-il dans sa biographie Yo soy el Diego, et je l'ai eue. Cette équipe fut, et de loin, la meilleure dans laquelle j'ai évolué. Jamais je ne me suis autant amusé sur le terrain. Qu'est-ce qu'on jouait bien !".
A "la nuestra", l'Argentine sera donc sacrée face à l'URSS (3-1), la tenante du titre, après avoir éliminé le voisin uruguayen en demies (2-0). Dix-neuf buts en six matches, dont six réalisations pour Maradona, meilleur joueur du tournoi, et huit pour Ramon Diaz, meilleur buteur. Le résultat et la manière.
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Ramon Diaz

Crédit: Getty Images

"El Flaco Menotti m'a appris que la beauté n'apparaît pas en la recherchant, explique Rossi, Picasso ne recherchait pas le beau quand il peignait, García Marquez non plus quand il écrivait, mais ils peignaient et écrivaient si bien que la beauté apparaissait seule. Il en était de même pour nous. Menotti ne nous disait pas de jouer beau mais de bien jouer, et quand on joue très bien à un moment la beauté apparaît, comme avec le Brésil 70 ou le Barcelone de Guardiola". "Comme dit mon ami Jorge Valdano : nous aspirons tous à gagner mais seuls les médiocres renoncent à la beauté" ajoute celui qui enseigne aujourd'hui au sein de l'école d'entraîneurs de César Luis Menotti.
Que l'on se souvienne de nous encore aujourd'hui prouve à quel point la mémoire poétique est grande
Après la parenthèse japonaise enchantée, Maradona et consorts replongent toutefois dans un contexte national tragique. Comme lors du Mundial 78, la junte militaire du général Videla ne se prive surtout pas d'instrumentaliser le succès de la sélection. Le retour des jeunes héros est ainsi avancé et un avion des forces armées dépêché pour que les célébrations aient lieu le jour où la commission inter-américaine des droits de l'Homme arrive pour enquêter sur les disparitions d'opposants. Dispensé de service militaire pour mieux servir sa patrie au Japon, Diego Maradona, comme cinq autres de ses coéquipiers, ne coupera pas à la photo en uniforme.
"Cette équipe fut une lumière dans la nuit noire, estime Rossi. Sous la junte aucune réunion de plus de trois personnes n'était autorisée dans la rue, et quand nous sommes arrivés, les gens ont envahi les rues de manière spontanée. D'ailleurs, je rencontre aujourd'hui encore des gens qui me citent de mémoire le onze aligné par Menotti". Au Japon, le sélectionneur aux idéaux de gauche avait réussi son coup.
"Nous représentions l'école du foot argentin, a-t-il écrit, et on devait démonter aux gamins qu'ils pouvaient faire la même chose dans le futur, qu'avec ce football on pouvait aussi gagner". Malgré ce succès, l'Argentine n'échappera toutefois pas au tournant de la rigueur, tendance hégémonique des années 80. Mais cette sélection de pibes, qui a connu des héritiers dans les générations d'U20 champions du monde couvées par José Nestor Pékerman (1995, 1997, et 2001), continue bien d'être célébrée quarante ans plus tard. "Nous avons joué le football qui plaît aux gens, conclut Rossi. Et que l'on se souvienne de nous encore aujourd'hui prouve à quel point la mémoire poétique est grande". Menotti n'aurait pas dit mieux.
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