Coupe du monde des clubs - Toujours plus ouverte, toujours plus inégalitaire

Alors que la Fifa s'était vantée d'offrir la possibilité à des clubs moins en vue de toucher une partie de sa dotation record à l'heure de justifier son élargissement, la Coupe du monde des clubs a encore contribué à pérenniser les inégalités alors que l'Europe et ses représentants qui se sont adjugés la plus grosse part du gâteau. La manière la plus sûre de protéger l'ordre établi?

FIFA-Präsident Gianni Infantino in New York

Crédit: SID

L'un des arguments présentés par la FIFA pour justifier son élargissement de la Coupe du monde des clubs à 32 équipes était de permettre aux pensionnaires des cinq autres confédérations de se mesurer à ceux de l'UEFA, et, ce faisant, de se partager une partie de la dotation de 1 milliard de dollars - une bourse sans commune mesure avec les sommes qui sont en jeu dans les compétitions continentales inter-clubs organisées par les confédérations non-européennes (*).
Sur le principe, comment s'opposer alors à la création d'un tournoi qui enrichisse des clubs dont les ressources sont infimes au regard des milliards brassés par le football européen? On pouvait penser ce qu'on voulait de ce qu'on pourrait appeler le Trophée Gianni Infantino; s'interroger sur son impact sur la santé des joueurs et le calendrier international; être révolté par la manière dont il avait été imposé par la Fifa, l'apparition de Donald Trump sur l'estrade réservée aux vainqueurs du tournoi, Chelsea, le rôle joué par l'Arabie saoudite dans le financement de l'événement; on pourrait continuer longtemps ainsi.
Mais même si l'on était d'accord sur le fond avec Jürgen Klopp, pour qui la Coupe du monde des Clubs nouvelle formule était "la pire idée jamais mis en oeuvre dans le football", on devait reconnaître qu'elle avait au moins ce mérite de rééquilibrer - ne serait-ce qu'un peu, au moins une fois tous les quatre ans - un paysage économique écrasé par le football européen.

Les Européens se sont taillés la part du lion

En théorie; et en théorie seulement. Car il en est allé tout autrement en pratique, où c'est encore l'Europe et ses représentants qui se sont adjugés la plus grosse part du gâteau, et de très loin - et sans que cela reflète nécessairement des performances en demi-teinte des clubs issus de l'UEFA.
Comme l'illustre le graphique ci-dessous, dû à l'analyste financier Swiss Ramble, 62,3% du fameux milliard de dollars de la dotation globale de la compétition (623 millions, donc) a fini dans les poches des clubs européens, qui comptaient 12 représentants dans la compétition, soit 37,5% du total de compétiteurs. Ceci représente donc un revenu moyen de 51,9 millions de dollars par club.
 A titre de comparaison, les quatre clubs africains présents (12,5% du total de clubs engagés) se sont partagés 45 millions, soit 11,25 millions par représentant en moyenne, tandis que l'unique porte-drapeau de l'Océanie, Auckland City FC, devait se contenter de 4,6 millions. Même les clubs sud-américains, qui ont pourtant brillé durant le tournoi (*), sont repartis avec 20 millions de dollars US en moins en moyenne que leurs rivaux européens.
L'explication de ce "deux poids, deux mesures" est des plus simples: ce ne sont pas les seuls résultats sportifs que la FIFA a pris en compte pour répartir son milliard. Le succès du tournoi et son attractivité pour sponsors et diffuseurs (encore que ceux-là se soient fait prier pour associer leur nom à la compétition) dépendait de la présence de ces clubs européens dont le renom et la popularité n'ont pas de frontières, comme le Bayern, le PSG ou le Real Madrid.

City et le Real savaient où ils mettaient les pieds

Or ceux-ci n'étaient pas vraiment chauds pour prendre part à une compétition longue d'un mois qui compliquerait sérieusement leur préparation pour la saison à venir. Carlo Ancelotti, alors entraîneur du real Madrid, avait fait savoir que son club boycotterait le tournoi avant de se faire taper sur les doigts par ses dirigeants. 
Il fallait garantir aux têtes d'affiche une compensation financière suffisamment conséquente pour leur faire oublier leurs états d'âme. La FIFA opta donc pour un système comparable à celui utilisé par l'UEFA pour répartir les revenus de la Ligue des champions. Le 'pot' d'un milliard serait divisé en deux. 525 millions seraient distribués au titre de la seule participation, non pas équitablement, mais en fonction du classement des clubs dans leurs confédérations et de leurs performances 'historiques' dans la Coupe du monde des Clubs. Le reste, 475 millions, serait partagé en fonction des résultats.
C'est ainsi que Manchester City et le Real Madrid savaient qu'ils toucheraient respectivement un minimum de 38,3 et 35,9 millions de dollars US, quels que fussent leurs résultats dans la compétition, plus du double que ce qui était promis aux géants argentins de River et de Boca Juniors ou à Botafogo, le vainqueur de la dernière Copa Libertadores, et pas loin du quadruple de que toucherait Pachuca, tenant du titre de la Champions Cup de la CONCACAF.
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Gianni Infantino et Donald Trump avant la remise du trophée de la Coupe du monde des clubs

Crédit: Getty Images

La Fifa en mode Ferme des Animaux de George Orwell

C'est ainsi que Manchester City, sorti en huitièmes par les Saoudiens d'Al Hilal, repartit des USA avec davantage d'argent que leur vainqueur. C'est ainsi que le FC Porto et l'Atlético de Madrid, éliminés dès la phase de poule, furent plus grassement récompensés que les deux représentants de la CONCACAF, Inter Miami et Monterrey, qui atteignirent les huitièmes de finale. La Fifa s'était inspirée de la Ferme des Animaux de George Orwell: si tous étaient égaux, certains l'étaient plus que d'autres. La plus grande partie de l'argent a donc fini dans la musette de ceux qui en avaient le moins besoin.
Mais là n'est pas la seule manière dont cette version élargie de la Coupe du Monde des Clubs aura contribué à déséquilibrer encore plus un écosystème dans lequel on ne prête pas, mais on donne aux riches, et à eux seuls. C'est que la pyramide du football mondial est un millefeuille d'inégalités. Le miséreux à l'échelle globale peut être un prince chez lui.
 Prenons l'exemple d'Auckland City FC. La domination des Néo-Zélandais sur le football océanien est quasi-totale, au point que 11 des 13 derniers titres continentaux de l'OFC, dont les quatre dernières éditions, leurs sont revenus. Cela n'a rien de surprenant, quand leurs adversaires sont quasiment tous des clubs amateurs et semi-professionnels éparpillés dans les archipels de l'Océan Pacifique. Les 4,6 millions de dollars US ramenés des USA par les Navy Blues, malgré seize buts encaissés sans réplique dans leurs deux premiers matches, contre le Bayern et Benfica, assiéront encore plus leur hégémonie, sans contribuer le moins du monde au développement du football dans leur région.
De la même façon, l'Espérance de Tunis, qui écrase tant et si bien le football tunisien qu'un seul titre de champion leur a échappé depuis 2016, l'écrasera encore davantage, maintenant que la Coupe du Monde des Clubs leur aura rapporté 11,6 millions de dollars US, soit plus de trois-quarts de leur budget annuel. Ceci vaut aussi pour les Sud-Africains de Mamelodi Sundowns, propriété du vice-président de la Fifa Patrice Motsepe, comme pour les Japonais de Urawa Red Diamonds.
Cette stratification entre ceux qui ont et ceux qui n'ont pas se décline à tous les niveaux. Ce qu'un Real Madrid est pour Auckland City, Auckland City l'est pour Hekari United, le club de Papouasie-Nouvelle Guinée qu'ils battirent en finale de la Ligue des Champions de l'OFC le 12 avril dernier. Inatteignable; et encore plus inatteignable aujourd'hui, maintenant que les millions de la Fifa auront cimenté leur position au sommet. Pérenniser les inégalités en donnant l'illusion de les combattre, n'est-ce pas la manière la plus sûre de protéger l'ordre établi?
 (*) Pour la Copa Libertadores sud-américaine, 225 millions de dollars US; pour la Ligue des Champions d'Asie, 45 millions de dollars US; pour la Ligue des Champions africaine, 32 millions; pour la Champions Cup de la CONCACAF, le montant total n'a pas été rendu public, mais son dernier vainqueur, Cruz Azul, reçut 5 millions, tandis que la Ligue des Champions océanienne ne propose que quelques centaines de milliers de dollars aux dix-huit clubs qui y participent.
 
(*) La CONMEBOL sud-américaine a placé quatre de ses six représentants en huitièmes de finale. Palmeiras s'est qualifié pour les quarts de finale, Palmeiras pour les demi-finales.
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