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Maracanazo - "Depuis 64 ans, je n'ai plus jamais vécu quelque chose d'approchant"

Laurent Vergne

Mis à jour 10/06/2014 à 18:31 GMT+2

Tous ceux qui, au Brésil, ont vécu de près ou de loin la défaite de la Seleçao contre l'Uruguay en 1950 en sont restés profondément marqués. Eduardo Guia Da Silva, né en 1940, se souvient de cette journée si particulière.

Brésil - Uruguay, 16 juillet 1950. Inoubliable Maracanazo

Crédit: From Official Website

Ce jour-là, ils étaient environ 200.000 à peupler le Maracana. Sur les 60 millions d'habitants que comptaient alors le Brésil, combien étaient-ils à suivre le match à la radio? Tous, probablement, parmi ceux qui étaient en âge de le faire. Cette défaite de la Seleçao face à l'Uruguay, en finale de Sa Coupe du monde, a profondément marqué tous les témoins, directs ou indirects, de ce match unique dans l'histoire du football auriverde. Tous ont partagé une douleur commune, mais chacun l'a vécue de son façon intime. C'est la complexité et la force du Maracanazo.
Evidemment, 64 années après les faits, les survivants commencent à prendre de l'âge. Eduardo Guia Da Silva n'avait pas dix ans à l'époque. Il habite aujourd'hui à Sao Paulo mais sa famille vivait en 1950 à Rio, où il a grandi. "J'ai vu le Maracana se construire", se rappelle-t-il avec gourmandise. Il n'y était pas le jour du Maracanazo. "Mais mon père avait assisté à un match au premier tour, celui contre la Yougoslavie je crois", raconte-t-il. De cette journée, il dit avoir des souvenirs "très précis". "C'était un dimanche. Nous étions une dizaine à la maison. Mes deux oncles étaient venus. L'un d'eux était un très bon joueur, il n'arrêtait pas de dire qu'il aurait pu jouer pour le Brésil", s'amuse-t-il.
Le Brésil était champion du monde, vous devez comprendre ça !
A 73 ans, l'œil pétille encore. Visiblement, cela le réjouit de se replonger dans ses souvenirs d'enfant. Il confirme d'emblée l'impact de l'évènement à l'époque. "Ce qui est vrai, note-t-il, c'est que ça nous a tous beaucoup marqués. Moi, en tant que gamin, je me souviens surtout d'avoir été frappé par la peine de mes ainés. Mon père était dévasté, mes oncles aussi. Plus encore que la défaite du Brésil, c'est ça qui m'a choqué. Oui, j'étais triste que l'on ait perdu. Très triste. Mais de voir les plus grands aussi dévastés, ça a renforcé ma peine. C'était de l'abattement, vraiment."
Il se souvient surtout que personne n'avait vu venir la catastrophe. "Le Brésil était champion du monde, vous devez comprendre ça !, insiste-t-il. Celui qui aurait dit le contraire serait passé pour un imbécile. Il y avait un tel contraste entre l'euphorie qui régnait, cette confiance absolue et la désillusion finale..."
Pourtant, on ne pleurait jamais à la maison
Il raconte aussi que, paradoxalement, son souvenir le plus fort, c'est celui du but de Friaça, qui avait permis au Brésil d'ouvrir le score en début de seconde période : "Quand il a marqué, il y a eu comme une explosion dans le quartier. Après, c'est comme si j'avais un vide. Je ne me souviens pas précisément des buts de Schiaffino et Ghiggia. C'est comme si ma mémoire passait volontairement directement à la fin du match. Là, je revois clairement mon père pleurer. Pourtant, on ne pleurait jamais à la maison. D'ailleurs, jecrois que mon père a eu honte d'avoir pleuré." Longtemps, ajoute-t-il, il a été interdit de parler de cette défaite. Comme un secret de famille honteux, même s'il était commun à tout un peuple. Etrange paradoxe.
Son fils, Luiz, l'a accompagné. Il a déjà entendu ce récit, mais il n'en perd pas une miette. "Tu crois que si le Brésil perd à nouveau en finale cette année, ce sera pareil?" "Non, répond le paternel. C'était différent à l'époque. Pour le Brésil, c'était l'occasion d'être, pour la première fois, le maître du monde, en tout cas d'avoir l'impression de l'être. C'est pour ça que ça a été vécu comme une honte, comme si cette défaite nous renvoyait un message: vous êtes des bons à rien et vous resterez des bons à rien." Depuis, le Brésil est, footballistiquement au moins, devenu cinq fois le maître de la planète. Sans que cela efface le souvenir du Maracanazo.
Quand nous serons tous morts…
"C'est normal, tranche Eduardo. Ça n'a rien à voir. Moi, j'ai vécu après tous les titres avec Pelé et Garrincha. Mais nous restions quand même l'équipe qui n'avait pas été capable de gagner à la maison. Regardez, même les Anglais ont gagné la Coupe du monde chez eux. Même vous, les Français. Nous, on a gagné partout, sauf chez nous!" Surtout, aucune victoire n'a suffi à barrer la route de ce souvenir douloureux. "Je pense que la puissance des sentiments que nous avions ressentis était trop importante pour qu'elle s'efface un jour."
Eduardo insiste bien sur la nature unique de l'évènement tel que lui l'a vécu. "J'ai du mal à mettre des mots exacts sur ce que j'ai ressenti ce jour-là, mais je peux vous garantir que, depuis 64 ans, je n'ai plus jamais connu quelque chose d'approchant. Le 16 juillet 1950, c'est à part, c'est tout. Et c'est à part pour toujours. Par exemple, tous ceux qui ont connu la défaite de 1950 et le titre de 1970 vous le diront : la peine de l'un était plus forte que la joie de l'autre." Le bonheur est éphémère. La douleur, éternelle.
Avant de partir, inversant les rôles, c'est lui qui remercie d'avoir pu évoquer cet épisode. "Quand nous serons tous morts, explique-t-il, qu'il n'y aura plus personne pour en parler, alors ça deviendra une sorte de légende. Ça n'appartiendra plus qu'aux livres d'histoire, comme pour la Deuxième Guerre mondiale." Comme tant de Brésiliens, Eduardo Guia Da Silva est un ancien combattant d'une guerre qu'il n'a pas menée. Mais qu'ils ont le sentiment d'avoir tous perdue.
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But de l'Uruguayen Juan "Pepe" Schiaffino contre le Brésil, Coupe du monde 1950, Maracana

Crédit: AFP

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