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En 1971, Marseille découvre Johan Cruyff, le public français ne l’oubliera jamais

Didier Balayer

Mis à jour 25/03/2016 à 10:44 GMT+1

Avant de découvrir le Parc des Princes notamment pour des joutes internationales avec sa sélection, Johan Cruyff a d’abord régalé le Stade Vélodrome lors d’un match de C1 disputé contre l’OM de Skoblar (1-2). C’était le 3 novembre 1971. Près de quarante après ce match de Coupe d’Europe, tout Marseille parle encore du brio du Hollandais Volant.

Johan Cruyff en 1972 avec l'Ajax

Crédit: Panoramic

Flashback. 3 novembre 1971. Marseille s’éveille et s’invite – enfin ? – parmi l’élite du football continental. Finie la Coupe des Villes de Foires un peu ringarde, c’est dans la très prestigieuse Coupe des Clubs Champions que l’OM se fait une place, et ce pour la première fois de son histoire.
Une première hexagonale qui vaut également pour un jeune milieu de terrain appelé Johan Cruyff. Âgé de 24 ans, l’élégant néerlandais découvre alors la France lors de son arrivée en terre provençale pour ce premier tour de C1.
En centre-ville, le bruit batave s’est déjà répandu depuis plusieurs jours, voire depuis plusieurs semaines. Car ce soir de novembre, où la température est un peu fraîche, tout le monde se presse au ‘Vel’ pour découvrir le grand Ajax… D’autant, que disserter du phénomène Cruyff ne se fait alors qu’entre initiés du football : "Pour bien comprendre et pour bien situer l'évenement, l’Ajax Amsterdam des années 1970, c’est l’équivalent du FC Barcelone aujourd’hui, souffle Yves Merens, ancienne plume spécialisée dans le traitement de l’OM pour Var Matin. A cette époque-là, s’inspirer du football néerlandais était très à la mode. Cruyff ? Certains en avaient entendu vaguement parler, mais très peu. Après ce match à Marseille, tout a changé".
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Johan Cruyff avec l'Ajax Ámsterdam

Crédit: Imago

La tribune va tomber, la tribune va tomber…
Un tournant footballistique dont a été témoin François, 62 ans. Présent ce soir-là au Vélodrome, ‘Tchoix’ se rappelle également du contexte de cette rencontre : "Il n’y avait aucune sécurité, en rigole ce supporter invétéré de l’OM. C’était impressionnant. Je me rappelle d’une incroyable bousculade à l’entrée. C’était tout simplement la cohue".
A tel point que lorsque les fans tapaient des pieds sur des pans de leur tribune, cela provoquait d’inquiétants nuages de poussière au-dessus du vétuste Vélodrome. "La tribune va tomber, la tribune va tomber…", me criait alors ma femme, présente, elle aussi, pour ce match de légende.
"Oui, c’était folklorique, confirme Merens, qui officie désormais comme consultant pour OMTV. Mais à un moment donné, il se passait tellement de choses dans cette enceinte. La sécurité ? Il n’y avait pas grand-chose, c’est vrai… Mais ce dont je me souviens, c’est que tout le monde était débordé, comme pris de court. Des grilles avaient été enfoncées, et surtout la moitié du public était entré sans payer. Mais il y avait une telle attente".
Ce soir-là, on dénombre – officiellement – 48 039 spectateurs très exactement. Mais à Marseille, si l’on écoute tous ceux qui affirment avoir vu Cruyff en 1971, on devrait être assez proche du million de personnes. Nouvelle preuve s’il en est que ce choc OM – Ajax a marqué la ville en profondeur… D’ailleurs, ces chiffres ne sont rien à côté du phénomène médiatique provoqué par cette rencontre télévisée. En effet, au-delà de l’audience olympienne, c’est alors tout un pays qui découvre le style épuré de ce jeune joueur à l’allure majestueuse.
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Josip Skoblar (OM)

Crédit: Imago

C’était un joueur qui maitrisait tout… L’espace, le temps, le ballon.
Une impression confirmée par Georges Carnus, gardien de l’OM ayant affronté celui qui sera surnommé un peu plus tard le "Hollandais Volant" : "Contre nous, il avait été exceptionnel, époustouflant même, nous confie l’ancien portier des Bleus, désormais recruteur pour l’AS Monaco. Ce qu’il réalisait, c’était tout simplement phénoménal. D’ailleurs, j’ai eu la chance de jouer contre des Pelé, des Eusebio, de sacrés phénomènes quand même, mais lui, c’était autre chose. Il était spécial".
Pour quelles raisons ? "Parce que c’était un joueur qui maitrisait tout… L’espace, le temps, le ballon. Avec lui, c’était un contrôle, une passe dans le mouvement. Tic, tac, tic, tac (il imite le bruit du ballon). De mon but, je le voyais faire, et cela paraissait tellement simple ! D’ailleurs, s’il fallait remiser en une touche, attention, il ne s’en privait pas (sourires). Ce qui renforçait encore davantage son impression de facilité".
Mais si Carmus garde un bon souvenir de cet OM - Ajax, ce n’est pas forcément le cas de certains de ses anciens coéquipiers. Le stoppeur Jules Zvunka est dans ce cas… Yves Merens explique : "A chaque fois que je le croise quelque part, je lui pose la même question : ‘Hé Jules, Cruyff comment il était vu de dessous ?’ (voir photo ci-contre). En se marrant, il me répondait du tac au tac : ''Tu sais, Yves, ce soir-là, j’aurais pu faire n’importe quoi, jamais, je n’aurais l’attrapé. Il était insaisissable !".
Au point de tutoyer l’arrogance ? "Sur le terrain, je me souviens d’un joueur très correct, très classe, corrige Georges Carnus. Mais c’est normal, il était tellement au-dessus. D’ailleurs sur le but que j’encaisse lors du match aller, cette impression de facilité est évidente lorsque après une course de 50 mètres, il arrive devant moi et tranquille il me glisse le ballon où il faut. Sans forcer…. Tranquille. C’était son génie. Celui de Cruyff".
A la fin du match, les spectateurs l’ont applaudi comme si c’était un joueur de l’OM.
Un talent qui ne passe pas inaperçu aux yeux du public averti de Marseille. "A la fin du match, les spectateurs l’ont applaudi comme si c’était un joueur de l’OM, reprend Carnus. Ils étaient venus pour voir l’OM ou l’Ajax, mais ils se sont levés pour Cruyff. C’était beau à voir, car tellement rare. A ce moment précis, je me suis senti comme un privilégié du sport. D’ailleurs à mon époque, les matches étaient peu médiatisés, donc ça changeait la perspective, mais après ce OM - Ajax, tout le monde avait bien mémorisé son numéro 14 en France".
Au retour, Carnus encaissera deux autres buts signés de l’international néerlandais. Des performances qu’Yves Merens, passionné par le phénomène Cruyff, décrypte avec de l’émotion dans la voix : "Au Vélodrome, j’ai pu voir jouer une merveille, souligne l’ancien de Var Matin. Il dégageait tant de choses à travers son jeu. En fait, il imposait une manière d’être. C’était une beauté faramineuse. Avec un peu plus de recul, je me rends compte que finalement c’était, en même temps, un soliste et un chef d’orchestre. Et pour le public du Vélodrome, c’était aussi un moment fondateur. Car voir Skoblar et Cruyff dans leur stade, c’était quelque chose de grand pour toute la ville de Marseille. Même si ce soir-là, il n’y avait pas eu photo".
C’est-à-dire ? "L’Ajax était au-dessus. Largement... Entre nous, on se disait qu’avec des ingrédients basés sur l’agressivité, la combativité, on pouvait espérer quelque chose, mais non, impossible… Ils étaient trop forts. Avec leur football total, c’était une évidence. Ce soir-là, celle-ci nous a explosé à la gueule, et on a tous compris ce qu’était en train de devenir l’Ajax Amsterdam d’un certain Mr Cruyff ". "C’était fort, conclut François. A Marseille, on n’oubliera jamais ce match". La France du football aussi.
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