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Equipe de France féminine : Le syndrome Oranje des Bleues

Chérif Ghemmour

Mis à jour 07/04/2023 à 17:06 GMT+2

La nouvelle équipe de France d’Hervé Renard affronte la Colombie vendredi et le Canada mardi, en vue de sa première grande échéance, la Coupe du monde cet été. C’est l’occasion même d’évoquer la "pensée magique" plombante qui a si souvent rendu nos Bleues plus fortes qu’elles n’étaient vraiment… Et, surtout, qui ne les a pas toujours aidées dans leurs quêtes continentales et planétaires.

Hervé Renard lors de l'entrainement

Crédit: Getty Images

"Le président Noël Le Graët m'a fixé l'objectif d'aller en finale. C'est le contrat établi entre lui et moi. Quand j'ai pris le poste (NDLR : en septembre 2017), les choses étaient claires. Pour moi, ce serait vraiment un échec si on n'y était pas. L'objectif est élevé, mais ça ne me fait pas peur. Au contraire, ce défi est excitant à relever." Corinne Diacre vient de craquer… Ce 2 mai 2019, au moment d’annoncer la liste des 23 Bleues retenues pour la Coupe du monde qui va débuter en France le 7 juin, la sélectionneuse cède à son tour à la pensée magique.
En tout début d’année 2019, Noël le Graët, baignant toujours dans la félicité de la victoire des Bleus de DD au Mondial en Russie, avait assigné à sa sélectionneuse la mission d’accomplir un doublé garçon-fille en Coupe du monde : "L’objectif quand on est dans notre pays, c’est de faire le mieux possible, avait-il péroré. La gagner, c’est le rêve. En gagner deux en deux ans, c’est le rêve." Noël croit d’autant plus au sacre suprême qu’après un 3-1 face au Brésil, les Tricolores viennent de battre en amical, 3-1 au Havre, les redoutables Américaines, grandissimes favorites du tournoi : "Corinne Diacre fait bien son métier, elle fait progresser son équipe, se délecte-t-il. L’équipe de France a changé d’allure. Je trouve que ce France–Etats-Unis était l’un des meilleurs matchs de football féminin que j’aie jamais vu. Et on va atteindre les 200 000 licenciées très, très vite".
Tout concourrait donc à la victoire, ou au moins à la finale, des Bleues le 7 juillet à Lyon. Logique. Imparable. Clair et net… Mais sachant que le tableau final de la Coupe du monde placerait les USA sur le parcours des Bleues en quarts, Corinne Diacre avait toutefois tenté de tempérer en février l’enthousiasme hexagonal ("Ce n'est pas parce qu'on reçoit la Coupe du monde à la maison qu'on est favoris de la compétition") insufflé par son président. Et puis la pensée magique entretenue par les médias sportifs français qui plaçaient d’emblée la France parmi les favorites, l’avait donc saisie à son tour le 2 mai… Défaites en quart au Parc face aux USA (2-1), les Bleues avaient raté les JO 2020 de Tokyo, faute d'avoir terminé dans les trois meilleures équipes européennes... Mais c’est quoi au juste, cette "pensée magique" ?

La progression des autres

C’est une douce conviction euphorisante qui se diffuse autour de l’équipe de France féminine avant chaque grande compétition internationale. Moins insistante que l’indécrottable arrogance des Oranje, une pensée magique collective propulse comme par enchantement les Bleues vers les plus hautes destinées avant les grands tournois. Fraîchement nommé à la tête de la sélection le 30 mars dernier, Hervé Renard a annoncé la couleur le lendemain en conf de presse à la FFF, en fixant ses objectifs pour le Mondial 2023 et les JO 2024 de Paris : "Il faudra atteindre au minimum le dernier carré. A la FFF, on m’a dit :’si vous avez l’opportunité de gagner, ne vous privez pas’. Et j’ai répondu :’merci beaucoup, je suis venu pour ça’".
Le dernier carré ? Au minimum ? Donc c’est bien de finales 2023 et 2024 dont Maître Renard a parlé ! Pensée magique, encore et toujours ? Car outre l’Allemagne, les USA, la Suède, l’Australie ou le Canada, d’autres nations rivales (Espagne, Angleterre, Pays-Bas) sont apparues récemment, ont progressé à pas de géant et n’attendront pas les Bleues avec déférence.
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Hervé Renard à l'entraînement avec les Bleues.

Crédit: Getty Images

En clubs, le PSG et l’OL ont prématurément giclé en quarts de C1, du jamais vu depuis presque 10 ans. Qui plus est, certaines Bleues ont voulu la tête de Diacre et elles l’ont eue : il va donc leur falloir être à la hauteur au Mondial 2023 ! Énorme pression sur mesdemoiselles Renard, Diani et Katoto mais aussi Le Sommer. Oui, mais… On préfère exalter le charisme irradiant d’Hervé Renard et les évolutions immédiates qu’il a apportées dans ses bagages. Une intention louable, certes, mais qui entretient encore un peu plus cette douce conviction euphorisante que les Bleues ne pourront que mieux performer au Mondial cet été ! Cette béatitude hexagonale qui frise parfois la suffisance, le complexe de supériorité, remonterait en fait à une dizaine d’années…
On peut en effet dater ce péché originel à la période 2011-2012, avec les deux victoires d’affilée en Ligue des Champions pour l’OL (2011 et 2012) et avec les deux demi-finales à la Coupe du monde 2011 (4e) et aux JO 2012 (4e aussi) pour les Bleues. Fort de ces très bons résultats incontestables, le football féminin français s’est installé dans cette "pensée magique" qui ferait que, faisant partie de l’élite de plein droit, il atteindrait désormais le podium à tous les coups, voire même triompherait…
En 2015, la défenseure tricolore Jessica Houara-d'Hommeaux affichait sur Sport 365-TV sa conviction que les Bleues brilleraient forcément au Mondial 2015, après la déconvenue de l’Euro 2013 (quarts de finale seulement). Or, depuis, la France est restée bloquée aux quarts, exception faite du dernier Euro 2022 : une demie, mais après un parcours sans flamboyance dans un tournoi où l’Espagne était très diminuée (forfait des deux cracks Hermoso et Putellas) et où l’Angleterre, vainqueur, a confirmé sa formidable montée en puissance.

Mimétisme exagéré

Avant cet Euro 2022, Yannick Chandioux, entraîneur des féminines de Montpellier, avait exalté la logique de répétition, autre composante bien connue de la pense magique française : "Je crois que la France est capable de le faire (de gagner cet Euro, ndlr). Tous ces échecs depuis trois-quatre grosses compétitions doivent amener les plus expérimentées vers la victoire". Car c’est bien connu : plus on échoue et plus on gagne ! L’historique de l’équipe de France féminine née en 1971 devrait pourtant inspirer une plus grande humilité. Les Bleues n’ont disputé que 4 Coupes du monde sur 8 depuis sa création en 1991 (pour une seule demie en 2011), que 2 fois les JO sur 6 depuis la création du tournoi olympique féminin en 1996 (pour une seule demie en 2012) et enfin que 7 Euros sur les 13 depuis leur création en 1984 (pour une seule demie en 2022)…
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Jean-Michel Aulas et l'OL féminines (Ligue des champions, Lyon)

Crédit: Getty Images

Les épatantes huit Ligues des champions glanées par l’OL, club largement pourvoyeur de brillantes internationales, réintègrent indirectement la France dans l’élite mondiale. Mais ces huit C1 ont eu l’effet paradoxal d’entretenir aussi chez les Bleues un complexe de supériorité français infusé, entre autres, par le bouillant Jean-Michel Aulas, devenu de fait le vrai patron désormais du foot féminin tricolore. Il a pesé de tout son poids pour virer Diacre et introniser Hervé Renard. Le caractère hautain de JMA semble avoir un peu déteint, parfois, sur ses chères fenottes, si nombreuses au sein des Bleues. Il n’y avait qu’à voir les réactions outrées des joueuses lyonnaises et de leur coach Sonia Bompastor, mécontentes du palmarès du Ballon d’Or 2022 : plusieurs nominées de l’OL, mais aucune dans le Top 5. Et puis les cinq C1 initiales du Real Madrid (1956-1960), n’avaient pas hissé la Roja vers les sommets…
Depuis le Mondial 2019 à domicile, un certain mimétisme exagéré avec les Bleus de Deschamps champions du monde 2018 ("Ils l’ont fait, donc nous aussion le fera !") ou avec les handballeuses françaises au palmarès long comme le bras, ont aussi poussé les internationales à une certaine surestimation d’elles-mêmes. Une atmosphère bienveillante les ont également accompagnées : les Bleues parviendraient aux sommets du simple fait qu’elles s’inscrivent dans les avancées soutenues (et bienvenues) de la condition féminine. Avant le Mondial 2019, Nathalie Ianetta avait pourtant prévenu : "Il ne faut pas que les joueuses françaises portent le poids de la lutte féministe sur leurs épaules". Ce qui n’avait pas empêché l’éditorial exalté du quotidien Le Monde ("Les femmes sont l'avenir du football"), publié pourtant après l’ennuyeux France-Nigeria du premier tour !
Enfin, si la France n’a pas obtenu l’organisation de l’Euro féminin 2025 (la Suisse a été désignée), c’est aussi, entre autres raisons, parce que sa sélection nationale ne pèse pas assez d’un prestige dont jouit l’Allemagne pour son palmarès ou l’Angleterre pour sa glorieuse historicité…
On souhaite bien sûr tous les bonheurs du monde à nos Bleues qui ne manquent évidemment pas de qualités. Mais si on pouvait juste abandonner cette pensée magique si euphorisante, histoire de ne pas connaître la lose légendaire des Néerlandais…
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