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Ethan Mbappé, dernier exemple en date : Doit-on encore s’abstenir de célébrer un but contre son ancien club ?
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Publié 14/10/2025 à 23:44 GMT+2
Ne pas fêter un but contre son ancienne équipe est devenu une norme qui ne souffre que de rares exceptions. Une élégance saluée comme exemplaire même si pas toujours facile à vivre émotionnellement. Surtout dans un football moderne où les changements de clubs brouillent les allégeances passées.
Ethan Mbappé (Lille) avait célébré avec retenue son but face à son ancien club, le PSG
Crédit: Imago
Par Chérif Ghemmour
Lille-PSG, dimanche 5 octobre. Ethan Mbappé (ex-PSG) égalise d’une belle frappe qui trompe Lucas Chevalier (ex-Lillois). Un classique bien connu pour Paris et ses "ex", entre autres vaincu en finale de Ligue des champions 2020 contre le Bayern (1-0) par Kingsley Coman, ex-Titi parisien. Mais Ethan est resté sobre, refusant d’exulter dans un stade en fusion… à l’inverse de son frère Kylian et de son père Wilfrid, postés en tribune !
L’aîné des Mbappé s’était montré lui aussi très respectueux en 2019 quand il s’était très humblement abstenu de célébrer son but au Parc des Princes avec le PSG contre son ancien club, l’AS Monaco. Et pourtant… Le club parisien n’avait pas été tendre avec les deux frères, Kylian (conflit juridique toujours en cours) et surtout Ethan, carrément viré du club en juin 2024, victime de "représailles" parce que son aîné avait refusé d’y prolonger.
De nos jours, à l’instar de la joie contenue d’Ethan, la règle non écrite, la tradition même, commandent de ne pas célébrer ses buts contre son ancien club. Mais en 2020, toujours pour rester dans le contexte parisien, Kingsley Coman avait fêté son but avec une joie explosive en finale de C1 2020… Alors ? Faut-il ou non, peut-on ou non, célébrer un but contre son ancienne équipe ?
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La joie de Kingsley Coman après son but contre le PSG en finale de la Ligue des champions 2020
Crédit: Getty Images
Historiquement, on considère que le premier cas quasi officiel de non-célébration d’un but contre son ancien club remonte au 27 avril 1974, dernière journée du championnat d’Angleterre. Le grand Denis Law avait marqué pour Manchester City d’une talonnade mythique (1-0 score final) contre son ancien club Manchester United, en zone rouge. Denis Law, dévasté et impassible au moment où ses coéquipiers l’embrassaient, avait été remplacé et était sorti en larmes : il avait cru que son but envoyait MU en D2. En fait, au vu des résultats de la journée, United était déjà condamné et avait donc été relégué.
Quand Cristiano s'excuse...
On se souvient aussi de Cristiano Ronaldo qui avait marqué pour le Real Madrid contre Manchester United en Ligue des Champions 2013, l’air abattu, presque traumatisé après son but contre les Red Devils dont il avait servi les couleurs. Toujours aussi classe, il s’était "excusé" de son but sur un superbe coup franc avec le Real contre le Sporting Lisbonne, son club formateur, en C1 2016. Dans ces deux cas, l’attitude de CR7 reproduisait une norme comportementale habituelle : visage souvent inexpressif, tête baissée, mains en l’air comme pour s’excuser.
Ou mieux : les deux mains jointes en prière, les yeux au ciel comme pour demander pardon à Dieu quand Luis Suarez avait marqué avec l’Atlético de Madrid contre le Barça en 2021 ! Des attitudes de contritions bizarres, presque contre-nature, alors qu’intérieurement ça bouillonne forcément. L’adrénaline au maximum, la jouissance quasi sexuelle du but marqué, la foule qui rugit, la tentation de la longue glissade sur une pelouse bien arrosée…
"Un homme ça s’empêche", professait Albert Camus ? Alors les footballeurs sont des héros chevaleresques, des monstres de retenue. Car refuser de célébrer son but contre un ancien club, c’est le summum du self control ! Mais comment retenir ses sentiments d’extase quand on a marqué un super but, du genre : "Désolé les gars, je célèbre pas avec vous, supporters et coéquipiers. Ce n’est pas respectueux vis à vis de mon ex" ?
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Erling Haaland (Manchester City-Borussia Dortmund)
Crédit: Getty Images
Jamais le surnom de Cyborg n’a aussi bien collé à Erling Haaland quand il a refusé de célébrer son but extraordinaire en high-kick avec Man City contre son "ex", Dortmund (2-1) en C1 2023. Un banger pourtant primé par l’UEFA comme le plus beau but de la Ligue des champions 2022-2023 ! Le bon Erling n’avait pas exulté non plus en plantant avec City contre Leeds, pourtant il n’y avait jamais joué. Sauf que c’était le club de son père et la ville où il est né…
Le geste de Kastendeuch
Comment peut-on rester stoïque et impassible après avoir marqué, même contre son ancienne équipe ? Car comme le soutenait Nick Miller du New York Times en mai 2024 : "un but est un but et votre devoir principal est de montrer du respect à vos fans actuels en partageant leur joie, et non en montrant de manière prétentieuse votre ‘respect’ à des fans qui vous huent probablement de toute façon ? " Ceci-dit, la loyauté dans cette posture neutre ne se perd jamais vraiment chez les supporters.
Ainsi, Sylvain Kastendeuch est toujours aimé du Peuple Vert. Après un bail à l’ASSE (1990-1993), il était revenu à Metz, son club de toujours, et après avoir inscrit un penalty contre les Verts à Geoffroy Guichard en 1995, il s’était présenté face au Kop et s’en était excusé en s’inclinant. Un geste jamais oublié… Mais tous les supporters n’ont pas la mémoire longue et la reconnaissance du ventre : le 20 septembre dernier, si Valentin Rongier avait marqué avec Rennes sans célébrer à la Beaujoire contre Nantes, les supporters des Canaris l’auraient-ils pour autant applaudi ?
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Valentin Rongier, le milieu de Rennes.
Crédit: Getty Images
Le respect dû aux anciens clubs et à leurs supporters, d’accord. Mais pour les joueurs partis contre leur gré, ceux dont on s’est séparé sans leur avoir vraiment donné leur chance (Kingsley Coman, 4 matchs seulement au PSG), tous ceux vendus pour équilibrer les comptes ?
Et puis il y a la réalité du football moderne avec tous les joueurs qui multiplient les clubs. Comment se sentir encore « loyal » vis-à-vis d’un club fréquenté une saison au max il y a plusieurs années ? C’est le cas de Jérôme Leroy passé par le PSG, Marseille, Sochaux, Lens, Rennes et Châteauroux qui déclarait dans L'Équipe en 2016 : "Quand on est resté dix ans ou qu’on a joué toute sa carrière ou presque dans un club, c’est un peu différent. Mais moi, le but, je le fêtais parce que souvent, on ne revient pas." Et toc !
Mieux vaut faire profil bas...
Lors du Chelsea-PSG de C1 en 2015 David Luiz, ex-Blues (2011-14), avait qualifié Paris d’une tête largement fêtée avec extase (2-2 a.p.). Avec Monaco, Fernando Morientes n’avait pas réfréné non plus sa joie en marquant en quarts de C1 2004 contre le Real Madrid (3-1) qui l’avait prêté au club azuréen. Le Real aurait mieux fait d’activer une clause de non-participation lors du contrat de prêt qu’il avait rédigé avec Monaco… Cette clause particulière dans les contrats de prêts et activable dans certains championnats est une solution à pas mal de dilemmes pour les joueurs, déchirés parfois entre deux allégeances, la nouvelle et l’ancienne.
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Fernando Morientes célèbre son but avec Monaco contre le Real en 2004
Crédit: Getty Images
Foot moderne, toujours, après Paris (2014-16), David Luiz était reparti à Chelsea (2016-19) et ensuite chez le rival londonien honni, Arsenal. À quoi tiennent alors le respect, l’allégeance, la loyauté, la fidélité à ses anciens clubs ? Les footballeurs sont au mieux des artistes itinérants ou au pire des mercenaires… Et puis, au cours de sa carrière, il ne faut pas insulter l’avenir, non ? Qui sait si on ne reviendra pas dans un de ses anciens clubs, surtout si cette carrière bat de l’aile ? Alors mieux vaut sans doute faire profil bas contre ses ex au moment de célébrer…
Enfin, on parle du respect dû aux anciens clubs mais dans ce football actuel de plus en plus mondialisé cette question ressurgit aussi avec les sélections nationales… Est-ce que Zinedine Zidane aurait célébré son but s’il avait marqué avec les Bleus contre l’Algérie (le pays de ses parents) lors du match amical avorté d’octobre 2001 ? En Angleterre, les observateurs s’étaient interrogés sur les cas d’Harry Kane, Kalvin Phillips, Harry Maguire, Jack Grealish ou Declan Rice : ils sont Anglais mais d’origine irlandaise encore récente. Fêteraient-ils leur but s’ils scoraient contre l’Irlande au sein des Three Lions ? On se souvient que lors de la Coupe du monde 2022 au Qatar, Breel Embolo (né à Yaoundé) avait marqué avec la Suisse contre le Cameroun (1-0, but unique) ! Le bon Breel s’était naturellement abstenu d’exulter, sans que les supporters suisses ne s’en offusquent.
Et Kylian Mbappé ? En 2026, il pourrait affronter le PSG en Ligue des Champions ou bien jouer contre l’Algérie ou le Cameroun (respectivement pays d’origine de sa mère et de son père) en Coupe du monde… Va-t-il nous la jouer sobre ou bien de façon très démonstrative ?
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