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France - Islande : L'influence de Breidablik dans la dynamique positive du football islandais

Johann Crochet

Mis à jour 25/03/2019 à 16:15 GMT+1

QUALIFICATIONS EURO 2020 - Si la réussite de la sélection nationale est une formidable vitrine pour le football islandais, elle s’explique par de nombreux changements structurels impulsés par la fédération et les municipalités depuis quinze ans. Portés par cette dynamique, les clubs locaux ont pris la relève. Parmi eux, Breidablik fait aujourd’hui figure d’exemple grâce à son système de formation.

Gylfi Sigurdsson et Alfred Finnbogason, icônes de l'Islande, symboles de la réussite de Breidablik

Crédit: Getty Images

En longeant la côte sud de Reykjavik en provenance de l’aéroport, la Fífan Football Hall nous offre une structure métallique imposante à l’entrée de Kopavogur, ville de 35 000 habitants. Cet immense terrain couvert est l’un des points de départ de la transformation du football islandais. Dans un pays peu propice aux sports d’extérieur pendant une bonne partie de l’année, les difficultés climatiques ont été contournées par la construction de treize infrastructures comme celle-ci. Le club de Breidablik a été l’un des premiers à pouvoir bénéficier de ce plan de développement des complexes sportifs sur l’île nordique. Et il en retire aujourd’hui les premiers bénéfices. Plongée au cœur du meilleur du système de formation islandais.

Des entraîneurs qualifiés et une politique d’ouverture

Pour bien comprendre le système de formation islandais, il faut jeter les bases et dévoiler quelques éléments de contexte. Les autorités investissent beaucoup pour la pratique du sport. Des infrastructures (terrains couverts, gymnases, pelouses synthétiques) ont été érigées ces dernières années et les jeunes sont encouragés à effectuer des activités sportives. De nombreux city-stades ont ainsi été construits par la fédération, aidée de sponsors, à proximité des écoles afin d’offrir aux enfants des structures de qualité et sécurisées. Les municipalités encouragent également à l’activité physique en prenant en charge une partie – jusqu’à la moitié à Kopavogur par exemple – des frais d’inscriptions aux différents clubs sportifs. Si les administrations accordent autant d’importance à la pratique régulière d’une activité sportive, c’est que l’obésité est un véritable problème sur l’île et un rapport de l’OCDE de juillet 2017 montre que le phénomène a augmenté ces dernières années.
A Breidablik, tout le monde est le bienvenu. "Tout le monde peut jouer en Islande, c’est culturel et encouragé par les villes, explique Ulfar Hinriksson, responsable du développement élite du club. Peu importe d’où tu viens, tu peux t’entraîner et il y a un co-financement des villes depuis dix ans." Le club compte ainsi près de 1400 licenciés en 2019 avec une section masculine et une féminine. "Dans une ville de 35 000 habitants, avoir 1400 jeunes dans la section football est un indicateur important de bonne santé pour le club et la communauté", témoigne fièrement Eysteinn Petur Larusson, directeur général du club.
Néanmoins, Breidablik n’est pas un centre de formation à proprement parler. Ici, les enfants et les adolescents viennent s’entraîner après l’école mais n’ont pas de cours sur place et ne dorment pas au sein de bâtiments dédiés à cette activité. Le fonctionnement est celui d’un club amateur en France où les jeunes hommes et femmes viennent pour effectuer leurs entraînements mais ont une vie "normale" à côté, avec leurs parents, leur école, leurs autres activités...
Ce mode de fonctionnement est la base du succès, selon Eysteinn Petur Larusson : "Faire évoluer notre modèle ? Je pense que nous devons être prudents et ne pas impulser de changements brutaux. Nous restons un club local qui a réussi à développer de nombreux talents au fur et à mesure des années, donc nous allons continuer dans cette voie, garder nos valeurs et tenter d’apporter quelques petites touches de nouveauté." Cette vision et cette position dans le football moderne – créer un vrai centre de formation en Islande semble impossible économiquement – n’empêche pas Breidablik d’afficher son ambition et son professionnalisme.
Pour gérer la formation des jeunes, il y a 34 entraîneurs et 40 assistants. Tous ont au moins une licence UEFA B et 11 d’entre eux ont même une licence A, celle qui permet par exemple d’être adjoint dans un club pro ou entraîneur d’une équipe réserve. Il y a, aujourd’hui en Islande, un entraîneur avec au moins cette licence B pour 550 habitants. Une concentration exceptionnelle. Ils sont tous payés pour leurs heures passées au club et il n’y a donc pas de bénévolat. Les dirigeants de Breidablik financent leur formation et organisent même des conférences avec des référents de ce métier, comme Albert Capellas (ancien responsable des équipes de jeunes du FC Barcelone) et Patrick van Leeuwen (ex- Feyenoord).
Breidablik est à part en Islande car c’est vraiment LE club ayant une vraie politique autour du développement de jeunes joueurs locaux. Il y a quelques années, l’IA Akranes était aussi une référence. Quand vous regardez l’âge moyen des joueurs alignés par les clubs en championnat, on a l’un des plus élevés d’Europe. On peut dire sans problème que les clubs préfèrent les joueurs expérimentés, pour plusieurs raisons : ils sont directement compétitifs et la saison est courte avec 22 journées donc deux défaites peuvent être problématiques. Ils n’ont donc pas la patience de faire progresser les jeunes. – Magnus Agnar Magnusson, agent islandais.

Jouer, se divertir et devenir un adulte équilibré

Si Breidablik est le club formateur le plus représenté en équipe nationale dans le groupe des 23 joueurs amenés à affronter la France ce lundi soir, c’est tout sauf un hasard. Depuis 2017, le club de Kopavogur a ainsi envoyé plus du double de joueurs dans les sélections islandaises U17, U19 et U21 que n’importe quel autre club de l’île.
Gylfi Sigurdsson (Everton), Alfred Finnbogason (Augsburg), Johann Berg Gudmundsson (Burnley) et Sverrir Ingi Ingason (PAOK) sont passés par le club de Kopavogur. Ils ne font pas partie de la "génération artificielle", du nom de tous ces enfants qui peuvent jouer toute l’année au football grâce au développement des pelouses artificielles et des terrains couverts, et doivent leur réussite à leur détermination. A Breidablik, on n’oublie pas que l’on forme autant des joueurs que les hommes de demain.
Rendez-vous avec des psychologues et des nutritionnistes, rencontres autour des thèmes du sommeil et des nouvelles technologies, cours de yoga... le développement holistique de l’enfant est une priorité, au-delà des aspects purement technico-tactiques. "Il n’y a pas de scouting sur les équipes de jeunes en Islande, explique Ulfar Hinriksson. Les jeunes vont dans l’équipe de la ville ou du quartier. Le local est privilégié, ils s’entraînent avec leurs copains, leurs camarades de classe. Cela évolue vers 16 ans quand ils changent d’école. Cela a toujours été comme ça en Islande, on parle d’enfants, donc il faut qu’ils soient dans un environnement confortable pour bien se développer."
L’accès au football par le plaisir est une autre donnée mise en avant. L’apprentissage par le divertissement plus que par l’obligation de résultat. "On ne doit pas gagner des trophées ou des matches pour garder notre job d’éducateur, témoigne le responsable Elite de Breidablik. Il n’y a pas de pression particulière sur le fait de gagner des matches, même si, évidemment, c’est mieux de le faire. L’entraînement n’est pas fait uniquement pour gagner le week-end. S’entraîner c’est aussi se divertir, c’est aussi des questions de camaraderie et de jouer de manière positive. Les entraîneurs comprennent de plus en plus que, non, seul le résultat ne compte pas. La victoire peut venir du bon développement des jeunes." Le club a d’ailleurs mis en place une méthodologie commune avec un socle identique pour toutes les équipes. L’un des préceptes est le développement technique à travers la circulation du ballon et l’attention portée à l’avoir plus souvent que l’adversaire. Libre ensuite à chaque responsable de chaque tranche d’âge d’adapter ce manuel à la réalité de son effectif.
Le club a également mis en place un programme Elite dont Ulfar Hinriksson est le responsable. L’objectif ? Renforcer le suivi des performances des meilleurs éléments et accentuer le travail réalisé au quotidien. Ils ont ainsi accès à des entraînements spéciaux, des ateliers spécifiques et des séances de renforcement musculaire. Le but est de mieux préparer les meilleurs éléments et se rapprocher du fonctionnement de centres professionnels de formation.

Des jeunes avec le goût de l’aventure

Le revers de la médaille pour Breidablik, comme pour tous les clubs formateurs du monde, est de voir partir certains jeunes talents avant même qu’ils n’aient pu contribuer sportivement aux performances de l’équipe première. Le club islandais n’échappe pas à la règle. "Cela affaiblit l’équipe mais on doit l’accepter et s’adapter, résume le directeur général Larusson. S’ils ne s’imposent pas à l’étranger, on leur offre la possibilité de revenir. On a eu deux cas récents : deux de nos jeunes sont partis en Europe à 16 ans, sont revenus à 19 ans, ont progressé et sont ensuite repartis à l’étranger."
Cette volonté d’aventure naît chez les enfants et les parents. "Si un jeune veut partir, généralement, il obtient gain de cause. Ils sont tentés par l’étranger, par l’argent, certes, mais aussi par un niveau de compétitivité plus élevé, dans des championnats plus exposés", rajoute Ulfar Hinriksson. Les meilleurs éléments peuvent espérer un salaire de 5000 à 7000 euros par mois en Islande, parfois sur six mois seulement car le championnat est très court. Ce n’est pas forcément moins que dans d’autres pays nordiques comme la Suède et le Danemark, mais l’exposition est très différente. Et pour ceux qui ne font pas partie des tout meilleurs, ils étudient ou travaillent à côté. C’est le cas de la majorité des joueurs de l’effectif professionnel de Breidablik.
Contrairement à d’autres pays, peu de recruteurs étrangers viennent en Islande pour repérer les joueurs. Si les sélections de jeunes sont généralement "scoutés", notamment lors des tournois internationaux, les clubs sont un peu délaissés. Les agents ont un rôle important. Pour certains, ils négocient des essais dans des clubs étrangers alors même que leurs joueurs n’ont pas encore été observés. D’autres usent de leurs réseaux pour faire venir des observateurs sur place. Magnus Agnar Magnusson est l’un des agents islandais les plus influents. Avec son agence, il gère de nombreux joueurs de la sélection nationale et beaucoup de jeunes prometteurs. "Vous ne verrez jamais un recruteur du Bayern Munich, de Mönchengladbach ou de Liverpool en Islande, explique-t-il. Les seuls qui viennent sont les clubs scandinaves et les formations néerlandaises qui sont historiquement intéressées."
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Johann Gundmundsson, l'une des étoiles montantes du foot islandais

Crédit: Getty Images

Habitué à travailler avec Breidablik où il représente quelques-uns des meilleurs éléments, il ne tarit pas d’éloges sur le club de Kopavogur : "Pour moi, c’est le meilleur club d’Islande au niveau des jeunes depuis dix, quinze ans. La stabilité dans ce club est source de confiance et de bon développement. On connaît les éducateurs, ils ont beaucoup de qualité pour faire émerger les talents."
Et comment distingue-t-on alors les jeunes de Breidablik d’autres adolescents formés par d’autres clubs islandais ? "C’est difficile de généraliser et dire qu’ils sont tous comme ça, mais ils sont globalement plus professionnels, analyse Magnusson. Ils savent ce qu’il faut faire pour progresser, ils ont une meilleure compréhension du jeu et ils sont disciplinés. Mais ce que je note aussi, c’est la capacité d’adaptation du club. Daniel Djuric (16 ans, transféré au Danemark en janvier dernier), n’était pas forcément dans le moule Breidablik, mais ils ne l’ont pas dénaturé, ils ont profité de ce qu’il avait de différent et ont renforcé le reste."
Daniel Djuric n’est que le dernier exemple de jeunes joueurs ayant rejoint une formation européenne plus huppée. Willum Thór Willumsson (1998) s’est engagé en faveur du BATE Borisov, Sveinn Aron Gudjohnsen (1998) s’en est allé en Italie à La Spezia (Serie B), Arnór Borg Gudjohnsen (2000) a signé à Swansea, Elías Rafn Ólafsson (2000) joue aujourd’hui à Midtjylland (Danemark), Patrik Gunnarsson (2000) est à Brentford (Championship) et Andri Fannar Baldursson (2002) vient de rejoindre Bologne. Preuve s’il en est que le système de formation des jeunes joueurs de Breidablik se porte à merveille. Si les transferts rapportent assez peu d’argent au club directement, ce dernier insère des clauses en cas de revente ou de futur transfert. Selon nos informations, cela a permis par exemple à l’IA Akranes de toucher plus de 400 000 euros lors du transfert d’Arnor Sigurdsson de Norrköping au CSKA Moscou.
Il faut faire attention. Plusieurs joueurs partis au Danemark récemment sont revenus en Islande. Ils ne se sont pas imposés. Car si nous envoyons, disons, un Gylfi Sigurdsson bis, eux peuvent avoir un Christian Eriksen bis. Cela veut dire que notre joueur doit être bien supérieur à ces jeunes danois. En général, en jeunes, nous ne sommes pas les joueurs les plus techniques. Certains le sont, mais globalement ce n’est pas le cas. Il faut donc attendre de voir l’évolution et le degré de maturité chez le joueur pour constater son niveau de motivation et de détermination à devenir un bon joueur. – Ulfar Hinriksson.

Quelle suite pour la formation à Breidablik ?

Si le directeur général ne veut pas révolutionner son club et instaurer des changements brutaux, il existe un domaine où tout le monde voit une marge de progression. Mais il s’agit d’une évolution rendue compliquée par les coûts financiers qu’elle implique. Eysteinn Petur Larusson, Ulfar Hinriksson et Magnus Agnar Magnusson, nos trois témoins, s’accordent à dire que les jeunes joueurs de Breidablik auraient besoin de faire plus de tournois en Europe face à des équipes plus réputées. Ces compétitions permettent de se jauger, de progresser et de gagner en expérience. Mais ces voyages ont un coût exorbitant, alors que l’Islande est nichée au Sud du cercle polaire, à égale distance de la Pologne et du Canada.
C’est le prix à payer d’une spécificité géographique. Mais, soyez-en certains, on n’a sans doute pas fini d’entendre parler de l’Islande. La nouvelle génération dorée, celle des U17, celle des pelouses artificielles et des éducateurs diplômés est annoncée comme très prometteuse. Et devinez quoi ? Breidablik y est très bien représenté.
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