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Le Fútbol Popular, la réponse espagnole à la Super Ligue de Florentino Pérez

François-Miguel Boudet

Mis à jour 11/05/2021 à 18:54 GMT+2

L’époque est aux extrêmes. Face à la folie économique et dépensière des plus gros clubs européens, symbolisée il y a quelques jours par l'apparition éphémère de la Super Ligue, 19 clubs fondés sur un système de socios parviennent à mener des projets à taille humaine. Certains de ces représentants du "Fútbol Popular" frappent déjà à la porte du football professionnel.

Unionistas - Real Madrid / Copa del Rey

Crédit: Getty Images

Un socio, un vote. Pas d’actionnaire majoritaire qui vampirise la vie d’un club, parfois en dépit du bon sens. C’est selon cette base simple que le Fútbol Popular veut réhabiliter le lien identitaire et social qui fait du football un sport à part entière. Si des 3 500 socios du Xerez Deportivo FC aux 90 du CD Cuenca-Mestallistes, le mouvement est encore marginal et disparate, il s’organise et pourrait se développer dans les prochaines années en réponse à la boulimie pécuniaire de la FIFA, de l’UEFA et de nombreux grands clubs qui poussent le football vers une aporie en ne lui accordant finalement qu’un rôle subsidiaire dans cette quête effrénée de profits.

Sentiment d'appartenance

Que faire quand on n’est pas satisfait du comportement des dirigeants de son club et qu’en tant que supporter de base, il est devenu impossible de faire entendre sa voix ? Dès 2007, le Club Atlético de Socios décide de remédier au problème en créant un club autour de valeurs cardinales pour que le football redevienne à taille humaine et un véritable objet social. Si le pionnier du Fútbol Popular évolue en deuxième division régionale et ne compte qu’une centaine de socios (50€ pour un adulte), cela fait près de 15 ans qu’il a initié un chemin qui mérite d’être creusé. "Nous constations les excès de mercantilisme du football et la perte de pouvoir de l’afición, explique Emilio Abejón, trésorier du club. Alors nous avons décidé de bâtir un club selon des principes démocratiques et participatifs afin de prendre en considération les désirs et volontés de tous les membres. L’avantage d’appartenir à une petite structure, c’est qu’un socio peut avoir une idée, la créer, la partager et la développer."
Fondateur du CD Cuenca-Mestallistes en début de saison (70€ pour un adulte), David Laguía Richart partage cette vision des choses, raison pour laquelle il a décidé de faire renaître une entité disparue, qui a été le premier club filial du Valencia CF : "Le football, c’est de la passion, pas un spectacle. La perte d’intérêt pour les matches professionnels a eu le mérite de montrer que la culture du football attire beaucoup de monde et il n’y a pas besoin de supporter un très grand club pour s’y intéresser. Ce qui est en jeu, c’est le sentiment, les raisons pour lesquelles nous sommes attachés à un club, très souvent grâce à un héritage émotionnel fort. Notre idée est que tous les membres du club soient partie prenante du fonctionnement quotidien autour d’un projet coopératif. C’est même plus important que les résultats."
Les clubs de Fútbol Popular pourraient paraître anecdotiques, justement car leurs moyens sont minimes. Pourtant, ils restaurent le lien fondamental entre les couleurs et les supporters qui peuvent s’approprier une partie de cette identité : "Le football est une communauté de sentiments avec des supporters qui sont ultra-fidèles et qui ne changeront jamais de club, considère Emilio Abejón. L’être humain a besoin de faire partie d’une communauté dont il partage les mêmes aspirations. Peu de choses sont capables d’unir les gens à ce point-là."
Cette notion de partage est aussi au cœur du Fútbol Popular. Le football professionnel est devenu un produit de luxe où, pour satisfaire les appétits des dirigeants, actionnaires, intermédiaires en tous genres et joueurs, le bas de la pyramide, c’est-à-dire les supporters, doit dépenser toujours plus, peu importe la multiplication des diffuseurs, la hausse des prix et la précarisation de l’emploi. "C’est tirer le maximum d’argent au plus grand nombre pour le redistribuer au plus petit nombre, affirme t-t-il. Pour une famille espagnole, il est devenu impossible de s’offrir un abonnement au stade. Quand j’étais enfant, j’allais au stade avec mon grand-père et ma place coûtait 100 pesetas au début des années 1980. Cela ferait 5 ou 6€ aujourd’hui. Le Fútbol Popular est l’antithèse du football commercialisé à outrance qui veut tirer le maximum de revenus de ses supporters qui sont en réalité des clients."
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Une époque révolue depuis bien longtemps. Ce football-là est dénaturé, privé de sa substance qui est l’accessibilité populaire. C’est d’ailleurs pour cela que ces clubs accompagnent toujours le projet sportif d’un volet social, avec notamment un travail réalisé auprès des collèges et des actions humanitaires en Afrique ou aux Philippines. De son côté, grâce au jeune artiste Pepe Dus, le CD Cuenca-Mestallistes, parrainé activement par la légende Mario Kempes, a eu l’idée de créer un maillot qui retrace à la fois l’histoire du CD Cuenca et celle de la ville de Valencia et son style art déco des années 40. Une manière de se démarquer à une époque où les équipementiers prennent un malin plaisir à proposer du merchandising au mieux moche, au pire totalement hideux.
Oppositions frontales aux portes du professionnalisme
Le Fútbol Popular n’est pas voué aux petites catégories. Il parvient à percer, au point d’entrer dans le giron professionnel comme c’est le cas pour los Unionistas de Salamanca et la SD Logroñés, actuellement en Segunda B, le troisième échelon national. Les deux clubs sont nés après la mort administrative de symboles locaux passés par la Liga. "Après la disparition de l’UD Salamanca en 2013, nous avons voulu repartir de zéro, avec un modèle démocratique et une politique de zéro dette", expose Miguel Ángel Sandoval, vice-président. Les Unionistas (140€ pour un adulte) entretiennent une relation de dévotion envers le club créé en 1923 et disparu sous l’amas de dettes. "Le club jure une fidélité éternelle à l'UDS et n'essaie pas, et ne le fera jamais, de supplanter ou de se faire passer pour lui, et il ne se considère pas non plus comme son représentant ou son héritier", établissent les statuts du club. Ce lien identitaire, cet héritage émotionnel se perpétue d’année en année : le premier buteur de la saison célèbre sa réalisation les index pointés vers le ciel et chaque 23e minute est applaudie.
Les Unionistas ont un rival qui porte le nom de Salamanca CF UDS. Né au même moment, ce club a emprunté un chemin plus traditionnel et appartient au Mexicain Manuel Lovato, qui a acquis les droits sportifs et fédératifs de la défunte UD en 2013 puis l’écusson, l’hymne, les trophées, la marque, la boutique et la documentation historique pour environ 150 000 euros en 2017. L’effectif est d’ailleurs composé pour moitié par des Mexicains, des Américains, des Colombiens, un Argentin et un Bolivien. Le schisme était inévitable, d’autant que les Unionistas doivent se contenter du stade de Las Pistas, là où Javier Sotomayor a battu le record du monde du saut en hauteur en 1995 (2,45m, soit 1cm de plus qu’une cage de football) quand le Salamanca CF UDS a droit, lui, à l’historique Helmántico de 17 000 places situé à seulement 50 mètres.
"L’important, c’est que le club soit fidèle à sa terre et qu’il appartienne à des personnes authentiquement intéressées par le club et pas un investissement privé extérieur qui s’empare de la majorité des parts". Alors quand le Real Madrid est venu disputer un 1/16 de finale de Copa del Rey en janvier 2020, l’éventualité de jouer sur la pelouse du rival, celle où Pedro Miguel Pauleta a fait trembler les filets de 1996 à 1998, a été vigoureusement repoussée. C’est donc dans un stade d’à peine 4 000 places, avec des vestiaires minuscules, une pelouse approximative et une piste d’athlétisme entre les tribunes et le terrain que la Casa Blanca s’est qualifiée pour le tour suivant, après avoir été accrochée pendant une heure.
L’histoire de la SD Logronés (100€ pour un adulte) est sensiblement la même : un club emblématique, le CD Logroñés, où a notamment joué Oleg Salenko, le meilleur buteur du Mondial 94, qui a évolué pendant 9 saisons en Liga avant de chuter au quatrième échelon national puis de disparaître, perclus de dettes, en 2009. "Les supporters se sont réunis au stade pour évoquer les raisons de la disparition du club et notre vision du football, se souvient José Uriarte, membre du bureau directeur du club. L’idée de créer un club s’est formalisée dès ce moment-là et s’est matérialisée dès juin 2009. Nous voulions qu’il appartienne aux socios avec, outre le droit de vote, la possibilité de contribuer activement à la vie du club. Autre point crucial : nous voulions absolument que le budget soit toujours équilibré pour ne jamais rien devoir à personne."
Autre point commun : un rival aux antipodes. La UD Logroñés évolue actuellement en Segunda, et son propriétaire, Félix Revuelta, a tout simplement racheté la place du Club Deportivo Varea qui venait d’accéder à la Segunda B en 2009. Accessoirement, quand la SD doit se contenter du stade du Mondial 82 obsolète, la UD évolue, comme l’équipe féminine de l’EDF Logroño actuellement lanterne rouge de Primera, à Las Gaunas, enceinte inaugurée en 2002. "Les gens sont pour l’instant plus intéressés par le football moderne mais nous assumons notre façon d’être. Si à Salamanca, le nombre d’abonnés est similaire entre les deux clubs, ici à Logroño il n’y a pas photo : la UD en a 4 000 quand nous n’en avons que 800." En partant de beaucoup plus loin, la SD a accédé à la Segunda B et, dans le micmac fédératif en vue d’une réforme des divisions sanctionnées par la RFEF, elle dispute la phase d’accession en Segunda. C’est le seul club de la Rioja au milieu de mastodontes basques tels que le Bilbao Athletic et la B de la Real Sociedad dirigée par Xabi Alonso.
Impasse juridique
Si les Unionistas peuvent toujours rêver d’une montée, ce n’est plus le cas de la SD Logroñés. Que cela soit dès la saison prochaine ou dans quelques années, un problème administratif majeur se dressera bientôt sur la route des clubs de Fútbol Popular. En effet, depuis 1992, la Ley del Deporte contraint les clubs à devenir une société anonyme (Sociedad Anónima Deportiva) pour entrer dans le giron professionnel. A l’époque, il y a eu 4 exceptions : le FC Barcelone, le Real Madrid, l’Athletic et Osasuna qui fonctionnent toujours avec un système de socios. "Au moment de la promulgation de la loi, ils n’ont pas eu à se convertir car leurs comptes étaient dans le vert, resitue José Uriarte. Or ils se sont endettés par la suite mais n’ont pas été obligés de passer en SAD."
Les Unionistas envisagent une possibilité inspirée d’un club basque qui a trouvé un modèle viable de gestion. "On s’intéresse de près au fonctionnement d’Eibar, qui a réalisé en 2014 une augmentation de capital via un crowdfunding pour remplir les conditions économiques de la ley del deporte (il fallait trouver 1,7M€ pour atteindre le plancher de 2,1M€, ndlr), détaille Miguel Ángel Sandoval. Nous voulons également une modification de cette loi car le passage en SAD n’empêche pas les dettes et la mauvaise gestion." Effectivement, le passage en société anonyme n’a jamais empêché que des clubs disparaissent et près de 30 ans après sa promulgation, une révision ne serait pas inutile. Par exemple, le Reus Deportiu né en 1909 a disparu en 2020 et c’est précisément le Fútbol Popular qui ressuscite le club catalan.
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"Quand un club se convertit en SAD, tu ne peux plus contribuer aux assemblées générales, hormis si tu as des milliers d’euros pour devenir actionnaire. Il est impossible de faire entendre sa voix", résume Emilio Abejón, également membre de SD Europe qui fédère les clubs de socios dans toute l’Europe et de la Federación de Accionistas y Socios del Fútbol Español (FASFE). Une nouvelle fois, c’est le sentiment d’appartenance qui est mis en valeur par les clubs de Fútbol Popular, car il serait capable d’assurer la pérennité financière. "Au début, l’actionnaire majoritaire apporte de l’argent mais quand il décide de vouloir récupérer son argent, notamment car il ne partage pas ce lien identitaire profond avec les supporters, alors les problèmes sérieux commencent, constate José Uriarte. Trop de clubs dépensent plus que ce qu’ils ne génèrent réellement. C’est déjà difficile quand il s’agit d’un club de Liga alors quand il s’agit d’un club de Segunda B ou de Tercera, c’est bien simple : vous le détruisez."
Aimer le club de sa terre, contribuer à sa vie quotidienne, redonner la parole aux supporters. Face à un football toujours plus déshumanisé par les sommes exorbitantes qui transitent, la vidéo qui confère au concours de géométrie et des projets pharaoniques qui ne mènent qu’à la perte de sens et d’intérêt, ce groupe de 19 clubs amené à grossir dans les prochains mois a le mérite de rappeler l’essence de ce sport. Sur leur écusson, les Unionistas de Salamanca ont inscrit la locution latine "Per aspera ad astra". Par des sentiers ardus jusqu'aux étoiles. Si le Fútbol Popular est une utopie, alors c’en est une belle.
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Unionistas - Real Madrid / Copa del Rey

Crédit: Getty Images

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