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Portrait de Joaquin Sanchez, légende du Real Betis pour toujours

François-Miguel Boudet

Mis à jour 02/05/2022 à 16:00 GMT+2

LIGA - "Je vais m’arrêter alors qu’on commence à gagner ?". A 40 ans, Joaquín Sánchez n’en pas fini avec le football. Après avoir remporté la Coupe d’Espagne, le capitaine du Betis a annoncé qu’il prolongera le plaisir au moins une saison de plus. Joueur charismatique, conteur né et capitaine emblématique du Betis : Joaquín Sánchez, le footballeur le plus aimé d'Espagne. Portrait.

Joaquin (Bétis Séville) et la Coupe du Roi

Crédit: Getty Images

L’éternité, c’est long, surtout vers la fin. On ne sait plus si c’est de Franz Kafka, Woody Allen ou Pierre Desproges. On ne sait pas non plus ce qui a pu se passer dans la tête de Joaquín Sánchez quand Giorgi Mamardashvili, le gardien du Valencia CF, a effleuré du bout des doigts le tir au but du vétéran bético. Quelques centièmes de seconde, une éternité, presque aussi longue que les 17 ans qui séparaient le dernier trophée du Real Betis Balompié, une Copa del Rey déjà, de cette séance étouffante. Le ballon achève sa course chaotique dans les filets. Il n’y a que 2-2 à ce moment-là mais si la légende n’a pas tremblé, alors ses coéquipiers ne failliront pas non plus.

17 chiffre magique

C’était écrit. L’ascension triomphale de Joaquín pour accéder à la loge royale où le roi Felipe l’attendait avec la coupe. Dans un stade de La Cartuja de Séville bien évidemment rempli de supporters verdiblancos, le numéro 17 tape dans les mains qui se présentent à lui. C’est la troisième fois qu’il remporte le trophée mais c’est assurément sa plus belle.
En 2005, Joaquín n’a que 23 berges, un Mondial et un Euro dans les jambes. La Copa n’est pas un trophée majeur. Mais après 28 ans d’attente, le Betis ne fait pas la fine bouche. Il est titulaire lors de cette finale remportée en prolongation contre Osasuna. Une autre époque, y compris pour le Manquepierda (un néologisme local qui peut se traduire par "bien qu’il perde").
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Joaquin

Crédit: Eurosport

"Il s’en est passé du temps entre ces deux victoires, explique Capi, 261 matches avec le Betis et ancien coéquipier de Joaquín. Il n’y a pas beaucoup de similitudes entre les deux équipes car les effectifs sont totalement différents. En 2005, la moitié des joueurs sortait de la cantera. Non seulement on remporte la Copa mais en plus on se qualifie pour la Ligue des Champions. C’est peut-être la meilleure saison de toute l’histoire du club. Ce serait magnifique qu’en 2022, cette performance soit égalée".
Dix-sept ans plus tard, après des tribulations qui l’ont porté de Valencia à la Fiorentina en passant par Málaga, 774 matches de Liga dont 483 avec le Betis, Joaquín est toujours là, revenu chez lui en 2015 après une fin difficile à la Viola, son unique passage à l’étranger. Il n’a pas fait partie de la génération dorée de cette Roja inarrêtable de 2008 à 2012. Pour autant, par sa façon d’être, il est assurément l’un des footballeurs les plus appréciés du pays.
"Vivir con arte", son livre de conseils qui vaut largement les bouquins de coaching de vie, en est déjà à sa quatrième édition et il y a fort à parier qu’une cinquième verra bientôt le jour. "J’ai eu la chance d’être son coéquipier pendant plusieurs années et il a toujours eu cette façon d’être, explique Alfonso Pérez. Il est charismatique et joyeux de nature. Il est comme on le voit à la télé : il dit ce qu’il pense, il raconte des blagues. Et en plus, c’est un très grand joueur qui démontre encore de grandes capacités. Certes, à 40 ans, il n’est plus aussi déséquilibrant qu’avant, c’est logique, mais il fait tous les efforts nécessaires pour rester dans les meilleures conditions.".

Une histoire de train

Avant d’être Joaquín "el del Betis", il y a eu Joaqui el Chino, un surnom qu’il partage avec le reste de sa famille, par rapport au nom du bar que tenait son oncle dans leur fief, El Puerto de Santa María, dans la province de Cádiz. Joaquín est le dernier d’une fratrie de 8 enfants. Mordu de corrida, il a envisagé très sérieusement de prendre l’alternative pour devenir torero. Mais c’est finalement le football qui l’a emporté.
Pourtant, ses débuts de joueur, à 6 ans, n’auguraient rien de bon : "pour mon premier match, je me suis fait remarquer. Et pas en bien : j’ai provoqué deux penalties. Et ce n’était pas parce que j’étais un défenseur agressif et brillant… mais parce que j’ai pris le ballon avec les mains !". Mais Joaqui a persévéré et suivi les pas de ses frères Lucas, qui a évolué en deuxième division à Cádiz, et Ricardo, repéré par le Betis et qui a soufflé le nom du frangin d’un an son cadet aux entraîneurs de la cantera verdiblanca.
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Joaquín, Betis

Crédit: Eurosport

Pour devenir professionnel, Joaquín s’en est donné les moyens. Après le collège, pour aller s’entraîner à Séville, c’étaient deux trains, deux heures aller, deux heures retour. Efforts, constance, régularité. Malgré une image de noceur, Joaquín a su faire les sacrifices, même s’il a failli tout abandonner, avant un match avec la sélection andalouse, puis après une première moitié de saison observée depuis le banc de touche quand il portait le maillot du Deportivo Betis, le filial verdiblanco.
"Quand est venu le temps de choisir entre faire des sacrifices ou passer du bon temps, beaucoup ont préféré la fête. Au début, tu penses avoir fait le bon choix : tu bois des coups avec tes amis, tu sors tard, tu rencontres plein de filles… Mais au bout du compte, tu as manqué un train qui ne repasse pas souvent dans la vie".

Ailier supersonique

Joaquín débute en 2000 avec le Betis. Quelques mois plus tôt, le Manquepierda a terminé antépénultième de Liga et l’Ankou a également emporté Séville et l’Atlético de Madrid en Segunda. Un an de purgatoire pour se lancer puis, dès ses premières foulées parmi l’élite, une qualification en Coupe de l’UEFA, des débuts avec la Selección.
Après une saison pleine dans la peau d’un titulaire indiscutable (le magazine Don Balón le désigne joueur révélation de l’année et il termine 3e du classement du meilleur joueur de la saison, derrière Raúl et Zinedine Zidane), il dispute le Mondial 2002 qu’il achève dans les larmes après un tir au but manqué contre la Corée du Sud en quart de finale. Il a expliqué comment il s’était consolé mais ce n’est pas forcément racontable. L’époque où, selon ses propres dires, il sortait "plus qu’un camion-poubelle" !
Joaqui el Chino devient définitivement Joaquín El del Betis : "cette année-là fut pléthorique. En peu de temps, je suis passé de vouloir arrêter le football à représenter mon pays dans le plus grand tournoi qui existe". Sa saison post-Coupe du Monde est statistiquement sa meilleure, même sans qualification européenne au bout : 45 matches, 12 buts et 13 passes décisives. Sa plus belle est assurément la 2004-2005 avec la Copa del Rey et une quatrième place en Liga synonyme de Ligue des Champions. Mais sa dernière saison est sa moins prolifique : 3 buts et 9 passes décisives en 51 matches. Le moment est venu de partir.

Non à Mourinho

Joaquín a souvent fait chauffer les rotatives. Son transfert à Chelsea était quasiment bouclé : 39 millions d’euros pour le Betis et un contrat de 5 ans pour 6M€ par an. Même José Mourinho avait effectué le voyage à Séville pour achever de convaincre l’ailier. Et malgré l’accord de Manuel Ruiz de Lopera, le président du Betis avec qui il entretiendra des relations complexes, Joaquín refuse.
"J’étais heureux à Séville, dans mon Betis. Pourquoi partir ? Ça existe l’argent qui achète le bonheur ? Non. Je n’ai pas été ambitieux pour l’argent ; je l’ai été pour mon bonheur. Si j’étais parti à Londres, j’aurais gagné plus d’argent et certainement remporté des titres importants. Mais à ce moment-là, je valorisais plus le fait d’être proche des miens, dans ma ville. Je ne regrette pas. C’était ce que je voulais et ma plus grande richesse a été d’avoir pu décider."
Le club où ce fan absolu de Luis Figo aurait certainement préféré jouer, c’est le Real Madrid. L’anecdote est tout à fait improbable. Joaquín dîne dans un restaurant de Barcelone avec des coéquipiers de la Roja. Quand il se lève pour aller aux toilettes, Raúl, qui était alors le capitaine, le suit. Sitôt entrés, un troisième homme pousse la porte : Florentino Pérez !
"Raúl, tu ne trouves pas que le blanc irait bien à Joaquinito ? », demande le président merengue qui assure qu’il parlera à Don Manuel. En mai 2021, à l’occasion de la présentation de "Vivir con arte", invité sur le plateau d’El Hormiguero, Joaquín est revenu sur ce transfert avorté, à sa manière : "à mon avis, il a mal noté mon numéro de téléphone, parce qu’il ne m’a jamais rappelé !".
La relation de Joaquín avec Lopera atteint un point de non-retour au terme de la saison 2006, et pas uniquement parce qu’il avait payé un détective privé pour le suivre à la trace. Le Valencia CF veut absolument arracher sa signature. Réponse en substance de Lopera : "Tu veux un maillot blanc ? Ça tombe bien, je t’envoie à Albacete !".
Une clause dans le contrat stipulait que le président verdiblanco pouvait expédier le joueur où il le voulait, sous peine d’amende. Alors que tout était quasiment fait avec les Murciélagos, l’éventualité d’un prêt est vraiment prise au sérieux. Joaquín prend sa voiture pour monter à la "New York de la Mancha" et faire constater par huissier qu’il s’est bien présenté à la porte des bureaux du club…sans personne pour le recevoir !

Koeman, ennemi intime la mauvaise année

Joaquín a finalement bien signé à Valencia, pour un transfert record de 25M€. Une arrivée à contre-temps. Le club blanquinegro a un effectif de qualité mais la crise guette. Et la venue de Ronald Koeman au beau milieu de la saison 2007-2008 lui a coûté bien plus que des séjours sur le banc. Proche de Santiago Cañizares, David Albelda et Miguel Ángulo, tous écartés sans motif par le Néerlandais, il est puni pour un retard à l’entraînement… quand Ever Banega, pour la même infraction (et dans un état peu indiqué pour un joueur professionnel), est titularisé le week-end.
Lors de la finale de la Copa del Rey contre Getafe, Koeman l’envoie s’échauffer tout le match, sans le faire entrer. Il qualifiera Joaquín de "joueur de 25 millions qui ne valait même pas 25 euros". Malgré la victoire et une photo mythique de Joaquín nu comme un ver prenant la pose devant le trophée (la version 2022 est plus chaste, avec Palmerín, la mascotte bética, pour cacher ce qu’il y a à cacher), le trophée ne sera pas fêté et Koeman viré dans l’avion qui ramène l’équipe dans la capitale du Turia.
Avant les "retrouvailles" en Liga en novembre 2020, le vétéran avait fait marrer beaucoup d’auditeurs d’El Larguero en disant "Koeman, je ne le prends même pas pour ramasser les plots". Si Joaquín lui voue toujours une haine farouche, c’est parce après avoir accumulé 52 sélections avec la Roja, il n’est pas appelé par Luis Aragonés pour disputer l’Euro 2008, celui qui a tout changé pour l’Espagne. Malgré un passage de deux saisons réussies à Málaga où, sous les ordres d’un certain Manuel Pellegrini, il atteint les quarts de finale de la Ligue des Champions, il ne sera plus jamais convoqué.
Le public de Mestalla a souvent la dent dure mais Joaquín est toujours applaudi quand il revient. Cinq saisons, et pas les plus simples vu la situation économique du club, et un statut de capitaine, ce n’est pas rien. Malgré la défaite cruelle, les Valencianistas se sont consolés en le voyant heureux comme un pape, multipliant les passes avec son capote de torero sous les yeux humides de Curro Romero, matador mythique, 88 ans aujourd’hui, et éternel supporter bético.
"Je sais qu’en son for intérieur, et même s’il était fier, il a eu un peu d’amertume de gagner contre Valencia, estime Alfonso. Par rapport à sa relation avec les supporters blanquinegros, il aurait aimé gagner contre une autre équipe".

"Hulio" comme philosophie de vie

Brosser le portrait de Joaquín sans évoquer ses blagues est rigoureusement impossible. Avec son accent andalou à couper au cuchillo, il est un excellent client pour les radios et les émissions de télévision. Alors qu’il évolue à Málaga, un présentateur lui demande quel est son loisir préféré. Le reste est légende .
"Je n’avais aucune réponse alors j’ai improvisé. J’ai répondu le tennis. De l’autre côté de la caméra, Julio Baptista ne pouvait plus s’arrêter de rire. Il savait très bien que je n’avais jamais joué au tennis de ma vie et que j’inventais pour me sortir d’un mauvais pas. Entre deux éclats de rire, j’ai sorti la fameuse phrase : 'je ne sais même pas tenir la raquette, Hulio !'". Voilà comment "Hulio" est devenue une philosophie de vie à la façon de Joaquín, un leitmotiv tellement populaire qu’il avait failli le floquer sur son maillot, à la place de son propre prénom !
Ce qui plaît, c’est que non seulement Joaquín est un conteur né, mais il a aussi beaucoup d’auto-dérision. Il est capable de répondre à un journaliste transalpin dans un italien des plus approximatifs : "il me posait beaucoup de questions comme si je parlais parfaitement la langue. Quelle fut ma réaction ? Lui répondre dans un italien parfait…mais un italien très très proche de l’espagnol".
Ainsi est Joaquín : un type qui n’aime rien de plus que les boulettes à la sauce tomate de sa mère à s’en tâcher la chemise, s’ouvrir aux autres plutôt que se renfermer, oser plutôt que tergiverser, rire plutôt que se plaindre, et même manger des légumes si ça peut l’aider à continuer de porter le maillot verdiblanco. Un type capable de claquer un million d’euros pour devenir le troisième actionnaire du club, même si cela n’a guère plu à son épouse Susana (qui est d’ailleurs souvent protagoniste de ses histoires drôles) : "quand elle a su le montant, j’ai dormi une semaine sur le canapé !". Un type qui, sous ses airs rigolards, a toujours su ce qu’il voulait.
Pour conclure, une petite blague de Joaquín est indispensable :
  • "José, ma femme m’a quitté…
  • Ah, et pourquoi ?
  • Elle dit que je ne pense qu’au football.
  • Ça faisait combien de temps que vous étiez ensemble ?
  • Neuf saisons !"
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