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"L'arbitrage a dévié"

Eurosport
ParEurosport

Mis à jour 23/09/2010 à 19:57 GMT+2

Notre site entame une série d'entretiens sur l'arbitrage. Bernard Saules, président de l'UNAF, Union nationale des arbitres de football, regrette que la multiplication des consignes ait conduit les arbitres à devenir des gestionnaires de match. Il présente trois réformes indispensables à ses yeux.

FOOTBALL 2010 France Bernard Saules

Crédit: AFP

BERNARD SAULES, quel regard portez-vous sur la condition des arbitres aujourd'hui ?

B. S. : C'est toujours commode de parler de l'arbitrage. Celui qui perd dit que c'est de la faute de l'arbitre, cela lui évite de parler des problèmes de son équipe. Celui qui a gagné sur un penalty bidon dit que l'arbitre fait partie du jeu. On se trompe toujours de cible. Tout ce que je peux dire, c'est : aidez-nous. Arrêtons de comparer trois paires d'yeux, demain cinq, avec les moyens technologiques. C'est mission impossible.
Vous ne croyez pas à l'arbitrage à cinq ?

B. S. : Le jour où Michel Platini m'a dit que l'avenir était à l'arbitrage à cinq, je lui ai dit : "Michel tu es un fou. A Nice, à Ajaccio, à Bastia, tu les habilles comment tes arbitres derrière le but? Ce sont des cibles ambulantes". En plus, c'est le pire endroit pour voir. On verra la main d'Henry, mais on ne verra pas s'il y a penalty ou pas dans la limite des 16,50 mètres. Pour ça, il faut être en tribunes.

Ou la vidéo...

B. S. : Effectivement, je suis un fou de la vidéo et depuis toujours. On pourrait retrouver des interviews de l'époque où j'étais en activité. Quand je le disais, d'ailleurs, Michel Vautrot me tapait sur les doigts puisque la FIFA et l'UEFA n'en voulaient pas. C'est pour ça que Marc Batta, le directeur de l'arbitrage, ne vous dira pas aujourd'hui qu'il veut la vidéo. Pourtant elle permet d'éviter des erreurs. Vous croyez que ça leur fait plaisir, aux arbitres, de faire une connerie? Si j'ai une oreillette, que je peux consulter un assistant qui a un écran, et que celui-ci me dit : "Tu t'es planté, il n'y a pas penalty, c'est une simulation", moi je mets un carton à l'attaquant et ça me va très bien. La vidéo évite l'erreur, elle évite d'en entendre parler toute la semaine, elle évite tout. On me dit que ça ne résoudra pas tous les problèmes. Je réponds qu'on a réduit la vitesse sur les autoroutes, qu'on a baissé le nombre de morts, et que même si on n'en est pas à zéro mort, c'est un progrès. Toutes les disciplines majeures l'utilisent, surtout celles où il y a de l'argent. Sauf le football. Sous prétexte que nous, nous sommes les plus gros...
Justement, que pensez-vous de l'argument : le football, sport universel ?

B. S. : Mais on en est déjà au football à cinq, six, sept vitesses. On n'arbitre pas pareil en D1 en France et en D4 au Guatemala. Quelle image donne-t-on au monde entier à chaque Coupe du monde, avec des matches faussés? On donne des consignes, on change les consignes... Or, à ma connaissance, le règlement ne change pas. Comment peut-il y avoir des consignes différentes selon les compétitions? "Cette année, on met l'accent sur ça..." Mais c'est une hérésie! Je suis stupéfait de voir l'arbitre de la finale de la Coupe du monde être content de son match sous prétexte que la FIFA l'a soutenu. Si j'avais fait ça en championnat de France, j'étais en D2 la saison d'après. Si on peut aller mettre le pied sur le thorax d'un adversaire sans prendre de rouge, ou faucher par derrière, il faut qu'on m'explique. On nous dit : "C'était une finale de Coupe du monde, on n'a pas voulu déséquilibrer le match". On ne lui demande pas de ne pas déséquilibrer, on lui demande d'arbitrer. Enfin, non... Aujourd'hui, on demande aux arbitres de gérer des matches. De prendre en compte l'environnement, le public, les incidents du dimanche d'avant... Moi, si je fais ça, je n'arbitre plus.
On leur demande comment ? Explicitement ?

B. S. : C'est devenu assez clair. L'arbitre est un gestionnaire de match. C'est un discours tenu par les plus hautes instances internationales. Si M. Webb se permet de dire que c'est une finale et qu'il adapte son arbitrage, c'est pour cette raison... Pour moi, on n'a pas le droit. Les joueurs, d'ailleurs, ne le comprennent pas. Ils voient que lorsqu' ils commettent une faute, Mr X lui met un jaune, Mr Y laisse jouer et Mr Z fera encore autre chose. En finale de la Coupe du monde, il y avait toute la panoplie de ce qu'il ne faut pas faire. Pourtant M. Webb est l'un des meilleurs du monde. C'est bien qu'on le lui a demandé. Gérer, c'est la pire des choses qu'on peut demander au corps arbitral. On le transforme en juge.
Juge et arbitre, où est la différence ?

B. S. : Le juge évalue une faute en tenant compte du "palmarès" de celui qui se trouve à la barre, des antécédents, des circonstances atténuantes. Un arbitre a face à lui un état de fait et il applique ou il n'applique pas le règlement. Aujourd'hui, on a des arbitres auxquels on fait comprendre qu'ils sont des juges. Or, je reste choqué d'entendre qu'on n'a pas mis un carton à un joueur compte tenu de l'ensemble de son oeuvre. Je suis désolé, on n'arbitre pas un match en fonction de ce que les joueurs ont fait avant. On n'a pas le droit. On a dévié. Demain, les consignes vont être de siffler moins pour favoriser le jeu. Mais en réalité, il y a faute ou pas, avantage ou pas. J'applique une loi ou pas. Sinon, il faut enlever des textes qu'un tacle par derrière est puni par un rouge. Je n'accorde à aucun arbitre le droit de faire ça.
Vous avez commencé cet entretien en disant : "aidez-nous". Comment ?

B. S. : Trois choses. La première : injecter la vidéo sur les matches de haut niveau. Le foot, ce n'est pas un jeu, c'est du business, il y a des milliards sur la table (il toque sur son bureau). Le foot est un jeu en Aveyron quand les joueurs, avec un gros ventre, jouent pour éliminer de la graisse avant d'aller prendre dix bières. Au niveau pro, c'est autre chose. Deuxièmement : corriger le vide qui existe entre le carton jaune et le carton rouge. Le football est le seul sport collectif où il n'y a pas d'exclusion temporaire. Déjà, il faut changer la couleur du carton rouge. Cette couleur est catastrophique, c'est la couleur qui fait démarrer le taureau, c'est le stop... Prenons un mec qui a déjà un carton jaune. S'il continue, ce ne serait pas génial de montrer un petit carton blanc en lui demandant de se faire remettre la tête en place par son coach dix minutes? Aujourd'hui, on le fait dans les districts et les ligues car la FIFA l'interdit autrement que caché, et tous les gens qui l'utilisent disent que c'est une bonne chose. Dix minutes, ça lèse une équipe, et ça permet d'en mettre deux ou trois par équipe sur le côté. On sait comment ça se passe. Un entraîneur dit à ses joueurs qu'il faut casser le 9. Il envoie le 2 faire la première faute, puis le 4 pour la deuxième, puis le 5, puis le 6. Tout le monde sait que ça fonctionne comme ça. Avec un carton blanc, celui qui fait la première faute prend dix minutes, le suivant aussi, etc...
Et la troisième chose...

B. S. : Reculons le jeu de dix mètres à chaque fois que ça conteste. J'en reviens à la finale de la Coupe du monde. Au cours de cette faillite de l'arbitrage, il y avait régulièrement cinq mecs autour de l'arbitre pour protester. On ne va pas mettre cinq cartons rouges. Pourquoi ne reculerait-on pas de dix mètres comme au rugby ? "Tu rouspètes encore? Dix mètres supplémentaires. Ah, on est dans la surface ! Penalty !" Je pense qu'on n'aurait plus de contestation. Mais bon, ils ne veulent pas régler tous ces problèmes.
Pourquoi ?

B.S. : Parce qu'il n'y a pas de volonté de le faire. Tant que vous parlez des arbitres, vous ne parlez pas des autres problèmes.
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