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À quoi joue Marcelo Bielsa ?

Thibaud Leplat

Mis à jour 25/09/2017 à 18:56 GMT+2

LIGUE 1 - Voilà des jours que le ton monte entre Bielsa et les journalistes. Tâchons d'écouter les arguments de chacun et de comprendre les motifs de la colère...

Marcelo Bielsa, entraîneur de Lille.

Crédit: Getty Images

Marcelo Bielsa est-il populiste ? Il convient de se poser la question tant la réitération récente de ses accidents rhétoriques en conférence de presse semble décourager toute bienveillance à son égard. Il n'est pas depuis la mi-août de séance de questions-réponses qui ne fasse trembler le bielsiste tant le Maître semblait avoir décidé cette saison de ne plus dissimuler son mépris à l'égard de l'incontournable caravane médiatique qui le suit où qu'il aille. L'homme qui était jusqu'alors le centre d'une douce adoration des milieux les plus idéalistes tout à coup, et à la faveur d'une insupportable odeur de défaites, s'était changé en méduse inquiétante transformant en rêve de pierre quelconque mortel oserait lui cracher au visage. Bielsa a-t-il changé ?
Il y aurait, à vrai dire, de quoi s'inquiéter. L'une des séquences dialectiques les plus invraisemblables de la dernière décennie est celle qui eut lieu la semaine passée. Bielsa préparait le match contre Monaco (un 0-4 de triste mémoire, pour ceux qui ne le savent pas encore) et entendait faire ici amende honorable tâchant d'expliquer les raisons du doute et les motifs de l'inquiétude. Mais après plusieurs semaines de sous-entendus réciproques, Bielsa prit son ton le plus pontifiant et, tendant à la salle un miroir, se contracta violemment. "Votre métier consiste, quand des risques surviennent, à les transformer en catastrophes et quand la prospérité est présente, à s'approcher de l'homme prospère. Pour cette raison (Bielsa leva les yeux en direction de l'assistance d'un air insolent), votre compagnie est toujours méprisable". Silence de funérailles.
Marcelo Bielsa (Lille, 2017)

Tous les gens bien intentionnés

Tâchons d'éclairer le reproche pour mieux en comprendre la portée. Que veut-il dire exactement ? La question - trop simple - ne peut être de savoir si les journalistes mentent ou agissent par intérêt personnel. Il n'est sur Terre de profession qui ne soit exempte de "mauvaises intentions" dirait Bielsa, c'est-à-dire de cette façon de motiver son action non par des principes universels mais par son seul intérêt privé ou celui de sa caste. Le journalisme, comme n'importe quelle équipe de football, n'importe quelle entreprise et d'une façon générale, n'importe quel acteur sur un marché donné, n'aura jamais d'autre choix, s'il veut survivre dans ce monde cruel, à poursuivre son intérêt. Ce que reproche, au fond, Bielsa au journalisme, c'est une absence de probité, ou de rigueur dans la pensée (il l'a reproché à plusieurs reprises à ceux qui tâchaient de mettre en doute les motivations de son départ de Marseille) c'est-à-dire une incapacité chronique à penser de manière désintéressée.
Étrange reproche. C'est l'une des stratégies médiatiques les plus utilisées par les démagogues de tout poil : taper sur le thermomètre plutôt que de répondre de la fièvre dont ils sont responsables. Sur ce point, bien sûr, il faudrait concéder au plus hargneux des consultants qu'il avait bien raison. Bielsa attendrit, agace ou énerve mais jamais Bielsa ne convainc. Pire, il "surjoue" c'est-à-dire qu'il force le trait de sa propre figure. Dès lors, à un opportun qui nous sommerait de nous prononcer sur cette caricature, on serait forcé de concéder, la voix tremblotante : "oui, Bielsa a changé. Il est devenu comme tous les autres."

L'évènement du jeudi

Mais pour comprendre ce qui est arrivé cette semaine, il faut faire la généalogie du malentendu entre Bielsa et le journalisme. Reprenons. Le reporter est un homme de l'évènement c'est-à-dire un professionnel dont les pratiques ont pour seul objet la mise en récit, en histoire, du temps qui passe. Rien ne compte plus pour celui qui s'est donné pour mission de raconter l'époque que l'épisode de demain, l'article prochain, le reportage suivant. Cette pratique, en tant qu'elle constitue l'espace public dans lequel chacun peut faire usage de sa liberté d'expression, est incontournable dans un état de droit et une société libre. Le journalisme est une condition nécessaire à la vie démocratique. Quiconque s'en prendrait à l'un de ses représentants, s'en prendrait à la société tout entière. Il n'y pas de liberté, s'il n'y a pas d'expression. La chose est acquise et Bielsa, héritier d'une grande famille de juristes, ne le sait que trop.
Marcelo Bielsa, l'entraîneur du LOSC
D'où vient alors le malentendu ? La réponse était inscrite juste sous son menton énervé. Il n'y avait qu'à lire pour comprendre: "Jouez le jeu" nous conseillait un fabricant de machines à sous qui en voulait à nos économies. C'est bien tout le problème. Bielsa ne joue pas le jeu. Il ne concède rien à l'époque. Pas un centimètre. Et ce qui le distingue très nettement un sophiste qui invoquerait, pour mieux séduire son assistance, les vertus de la rébellion contre les journalistes, de la rigueur éthique de Marcelo Bielsa, c'est une certaine attitude à l'égard de la vérité. Comme sa ferme à Rosario, plantée dans la Pampa très loin des centre-ville urbains et des autoroutes de l'information, Bielsa vit en marge du monde de l'opinion c'est-à-dire en opposition frontale (et hebdomadaire) avec tous ceux qui disent mais ne savent pas, avec tous ceux qui crachent et ne pensent pas. Si Bielsa n'a rien à dire au sophiste - il n'accorde jamais d'interview - c'est que chacun obéit à deux éthiques radicalement opposées : éthique de l'évènement d'un côté, recherche de la vérité de l'autre.

La recherche de la vérité

À quelle condition dans ce cas un dialogue est-il possible ? Bielsa oppose souvent, pour l'expliquer sans doute, la colère que provoque chez lui les questions "mal intentionnées" en l'opposant à la joie qu'il ressent "à tisser des arguments" pour répondre "aux questions qui (le) mettent en difficulté". Il n'y a donc de dialogue pour lui que sur un terrain commun. Quand P. Vidal-Naquet évoque une recherche commune de la vérité comme condition du dialogue on croirait entendre le maître de Rosario invectivant les mal-appris "Un dialogue entre deux hommes, fussent-ils adversaires, suppose un terrain commun, un commun respect, en l'occurrence, de la vérité (…). Imagine-t-on un astrophysicien qui dialoguerait avec un "chercheur" qui affirmerait que la lune est faite de fromage de Roquefort ? C'est à ce niveau que se situent ces personnages."
En somme parler ne suffit pas. Pour Bielsa, la conversation n'a de valeur que si elle est une recherche coopérative de la vérité. C'est par la grâce des arguments échangés que la vérité commune doit émerger. Le sophiste, parce qu'il fait d'un principe éthique un slogan publicitaire, n'a pas sa place au banquet de la vérité. Ce faisant, toute concession à l'intérêt privé ou collectif, parce qu'elle est le symptôme d'un insupportable renoncement à la recherche commune, est à bannir. Si Bielsa n'est pas un populiste, c'est qu'il ne joue jamais le jeu de l'évènement. Non, quand Bielsa parle, il joue pour de vrai.
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