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Anonymes en L1, salués ailleurs : Guarín, Saint-Etienne et ses guerres intestines

Julien Pereira

Mis à jour 08/05/2020 à 10:23 GMT+2

LIGUE 1 - Ils sont passés par le championnat de France mais n'ont pas laissé un souvenir impérissable aux amateurs du football tricolore. Pourtant, ces déceptions ont ensuite explosé pour réaliser de grandes carrières. Fredy Guarín, milieu de terrain à la frappe de mule que Saint-Etienne n'a pas su valoriser, est le joueur du cinquième volet de notre série.

Fredy Guarin et Bafétimbi Gomis après le but du Colombien lors du match Saint-Etienne - Troyes, le 17 mars 2007

Crédit: Getty Images

Boca Juniors est une machine à vous ratisser tout un continent. Ce jour-là, comme tant d'autres, le mythique club argentin met à l'essai de jeunes joueurs que son réseau tentaculaire lui a permis de dégoter aux quatre coins de l'Amérique du Sud. Les meilleurs d'entre eux peuvent, dans un premier temps, intégrer l'équipe "juvenil" du géant de Buenos Aires, avant de côtoyer les pros.
Non loin des terrains d'entraînement, Omar Da Fonseca observe. Il est alors un membre de la cellule de recrutement de l'AS Saint-Étienne mais s'il est là, c'est avant tout pour rendre visite à son ami, le légendaire Carlos Bianchi, devenu directeur sportif de Boca. Après l'entraînement, les deux compatriotes filent au restaurant du coin. Par le plus grand des hasards - celui qui fait bien les choses - deux joueurs y débarquent aussi, accompagnés de leur agent. L'un d'eux a particulièrement attiré l'oeil de Da Fonseca. "Punaise, celui-là, je l'ai vu taper fort !", glisse-t-il alors à son acolyte.
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Fredy Guarin avec la Coupe du monde des moins de 20 ans, le 12 juin 2005

Crédit: Getty Images

Bianchi lui indique que le joueur a effectivement beaucoup plu à son staff. Mais à terme, les Xeneizes ne pourront pas le conserver. "Il me dit : 'essaie de voir ce que tu peux faire'", se souvient celui qui est aujourd'hui consultant pour beIN SPORTS. Le dirigeant stéphanois n'hésite pas longtemps. "Cette frappe de mule, c'était quelque chose d'extraordinaire, nous raconte-t-il. Comme on dit chez nous, il avait des fessiers !" Ce jeune joueur aux cuissots hors normes, c'est Fredy Guarín. Il a 19 ans et est rapidement mis à l'essai, avant de s'engager avec l'ASSE, d'abord sous la forme d'un prêt.

Un premier match alléchant, une première saison encougeante

Lui n'a pas tergiversé non plus : "En Amérique du Sud et en Colombie particulièrement, il faut s'expatrier pour pouvoir subvenir aux besoins de sa famille et faire décoller sa carrière", confie-t-il alors au Progrès à son arrivée, sans s'inquiéter de ce grand saut dans l'inconnu. Piatti et Bilos, deux autres Sud-Américains de l'effectif stéphanois, "le conseillent pour [lui] permettre de s'intégrer le mieux et le plus vite possible." Avec le numéro 10 sur le dos en hommage à son idole Carlos Valderrama et un doublé pour son premier match avec les Verts face à l'Espanyol, en amical, Guarín donne l'impression qu'il est dans le Forez comme il était à 11 000 km de là, lorsqu'il envoyait des missiles sol-sol dans les cages de la capitale argentine.
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Fredy Guarin à la lutte avec Damien Perquis lors de Sochaux - Saint-Etienne, le 12 avril 2008

Crédit: Getty Images

Ses premiers mois rappellent finalement qu'il est comme tous les autres, y compris les prodiges. Il a besoin de temps. Ivan Hašek, le coach des Verts, l'installe dans la rotation, en complément du duo Landrin - Sablé. "Il manquait parfois d'un peu de discernement dans le jeu, se rappelle Omar Da Fonseca. Il lui arrivait de perdre des ballons faciles. Mais c'est parce qu'il voulait inventer et créer." Guarín dispute 18 rencontres de Ligue 1, quelques-unes seulement dans la peau d'un titulaire. C'est peu. Qu'importe car finalement, une seule action lui permet de montrer tout ce qu'il est capable de faire. 17 mars 2007, 29e journée de championnat : Saint-Etienne reçoit Troyes et prend le match par le bon bout.

Guarín, le joueur qui ne passe pas par la science

Feindouno ouvre le score en moins d'une minute, Gomis double la mise peu après le premier quart d'heure mais Nivet, sur penalty, sème le doute avant la pause. Quatre minutes après le retour des vestiaires, le Colombien intercepte le ballon à 40 mètres du but adverse, prend son vis-à-vis de vitesse et fusille Ronan le Crom. Plus tard, il donne d'autres sueurs froides au portier de l'ESTAC, fracassant successivement son poteau, puis la barre. A la fin de la saison, l'ASSE se décide à le signer définitivement pour quelques centaines de milliers d'euros, "un sandwich et un coca", précise Da Fonseca. A ce moment-là, les Verts ne se doutent pas encore que le surdoué de Puerto Boyacá va mettre en exergue certains maux de leur fonctionnement interne, et, plus globalement, du foot hexagonal.
Fredy Guarin après son but lors de Saint-Etienne - Troyes, le 17 mars 2007
Hašek limogé pour ses résultats décevants, son ancien adjoint Laurent Roussey le remplace. Le nouveau coach des Verts est sorti du même moule que la plupart de ses confrères tricolores. "Traditionnellement, en France, les entraîneurs préfèrent échouer avec leurs certitudes, analyse Omar Da Fonseca. Ils privilégient des types de joueurs qu'ils connaissent. Ceux qui entrent dans des cases, réussissent les exercices fractionnés, les sprints de 80 mètres en moins de quelques secondes. Quitte à oublier les joueurs différents, ceux qui ne passent pas par la science."

Changement d'entraîneur, remplacement accablant

Sur le terrain, Guarín est encore imparfait mais il a de moins en moins l'occasion de progresser. Il doit maintenant se contenter de bouts de matches et va comprendre, en mai 2008, soit un peu plus d'un an après son seul et unique but en compétition officielle, que la situation est irréversible.
Sur le banc au coup d'envoi de Saint-Etienne - Lille, le milieu de terrain est lancé en lieu et place de Dimitri Payet, peu après l'heure de jeu d'une rencontre verrouillée. Roussey ne supporte sa présence sur le terrain qu'une vingtaine de minutes, avant de le remplacer par Ilan. "Je me suis exprimé concernant cette situation dans le vestiaire auprès des joueurs, justifie le technicien après le match. Pour un remplaçant, on attend qu'il amène du dynamisme et de la percussion. Guarín a ce qu'il faut pour nous amener cela. Or, nous l'avons senti, je dirais, en difficulté."
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Fredy Guarin avec le trophée de la Ligue Europa, après la victoire de Porto en finale face à Braga, le 18 mai 2011

Crédit: Getty Images

La bataille du pré est perdue. Celle des coulisses aussi : "On ne lui a pas donné les moyens, on ne l'a pas mis dans les bonnes conditions, assure l'ancien dirigeant des Verts. Dans les clubs, il faut réussir à trouver des compromis. Il y a des problèmes d'ego, des intérêts divergents... Moi, je tentais d'intégrer des Sud-Américains, et il y avait une autre filière qui faisait venir des Africains. Il y avait une espèce de concurrence interne."

Guarín, maillon fort du Porto "pornographique"

L'été suivant, Porto offre un million d'euros pour recruter le milieu de terrain. La direction stéphanoise se frotte les mains : elle double la mise sur un élément devenu indésirable. Mais elle se trompe. "Quand un joueur de cet âge joue en équipe nationale colombienne alors qu'il y a des milliers d'autres jeunes talentueux, qu'il a été détecté par Boca Juniors dont les émissaires ont des yeux partout en Amérique du Sud, ça veut dire quelque chose, martèle Da Fonseca. Évidemment, avant de venir, Porto avait vu ses matches en Colombie. Au Portugal comme en Espagne, on hésite beaucoup moins à lancer un jeune étranger, à croire en lui, à l'aider."
Les Dragons lui font effectivement confiance. Sur les bords du Douro, Jesualdo Ferreira, le coach, n'a aucun mal à intégrer les jeunes joueurs. Ici, il s'agit même d'un processus nécessaire pour la santé économique et sportive du club. André Villas-Boas, son successeur, apprécie aussi les qualités de Guarín. Problème (de riche), il dispose d'un effectif qu'il qualifiera plus tard de "pornographique". Au milieu, il a l'embarras du choix : Fernando, Belluschi, João Moutinho, James Rodriguez...
Qu'importe. Guarín va briller par des qualités que certains avaient refusé de voir à Saint-Étienne. Le 7 octobre 2010, il écœure l'entrejeu du rival Benfica lors de la raclée infligée au club lisboète (5-0), amorçant une montée en puissance. En championnat, face au Maritimo, il inscrit deux buts, dont un absolument mémorable : un coup de canon hors norme, de 40 mètres, qui le pousse même à s'écrouler émotionnellement. The Guardian finira par l'élire "but de l'année" devant d'autres chefs d'oeuvre de Rooney, Cavani, Messi ou Hazard.
Maillon fort de l'équipe portista, il mène la bande à Hulk à la victoire en Ligue Europa. En finale, face à Braga, il récupère un ballon au cœur du jeu - un peu comme il l'avait fait face à Troyes, quelques années plus tôt. Mais cette fois-ci, il décide d'arrêter sa course. Il lève la tête, voit Falcao rôder aux abords de la surface et dépose un centre millimétré pour son compatriote. Aux yeux de l'Europe, Guarín n'est plus seulement un pur sang aux cuissots sur-développés. A l'Inter, durant trois saisons pleines, il démontre qu'il est surtout un excellent joueur de foot. Mais à Saint-Étienne, personne ou presque n'a pu s'en rendre compte.
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