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Disponibilité, qualité de passe et axes de progression : décryptage du jeu d'Eduardo Camavinga

Christophe Kuchly

Mis à jour 25/08/2019 à 11:31 GMT+2

LIGUE 1 – D'abord connu pour sa précocité, il est désormais vu comme un joueur capable de faire basculer une rencontre. Mais le Rennais, dont l'équipe va à Strasbourg dimanche, est surtout le prototype du milieu moderne.

Eduardo Camavinga avec Rennes, 2019

Crédit: Getty Images

Sur le terrain, ses gestes sont beaucoup plus nombreux que ses mots. À seulement 16 ans et avec moins de dix matches de Ligue 1, l'inverse serait étonnant. Pourtant, Eduardo Camavinga est déjà devenu un élément important du Stade rennais. Un patron, tel que le définit Xavi : "Si beaucoup de joueurs ne veulent pas le ballon quand la situation est difficile, Andrés (ndlr : Iniesta) la demandait toujours, expliquait le Catalan à Marca en mai 2018. C'est une bénédiction pour ses partenaires, c'est ça avoir de la personnalité et être un vrai leader." Camavinga n'est évidemment pas Iniesta et signerait probablement des deux mains pour avoir la même carrière. Mais il possède déjà un courage difficile à enseigner – et rarissime à cet âge où il est tentant de laisser ses partenaires assumer le poids de la construction.
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Eduardo Camavinga domine Thiago Silva lors de Rennes-PSG

Crédit: Getty Images

Réguler et orienter

La notoriété de l'Angolais, jusque-là limitée, a explosé en un match. Une performance XXL face à Paris, où une superbe passe en profondeur rendue décisive par la tête de Romain Del Castillo a offert une victoire de prestige à son équipe. Un geste difficile à réaliser, qui ne reflète pourtant pas vraiment ce qu'il est. Car Eduardo Camavinga n'est pas un joueur de "moments" mais de régularité, un architecte plus qu'un artiste. Contrairement aux milieux de terrain qui cherchent à être décisifs en trouvant LA passe qui aboutira à une occasion de but, il prend peu de risques et son apport est d'abord dans la conservation. Une passe ratée sur quarante-deux à Montpellier, une sur quarante-et-une contre Paris : pour trouver du déchet, il faut bien chercher.
Prises sans contexte, ces statistiques ne disent cependant rien des zones d'utilisation du ballon et des choix de jeu en possession. Et c'est là que Camavinga sort du lot, et pas seulement parce que sa jeunesse autorise tous les rêves de grandeur. Face à des Parisiens qui imposent un gros pressing – à défaut d'être très intenses à cette période de la saison –, chaque erreur se paye cash et il faut une bonne dose de confiance pour tenter des passes avec plusieurs adversaires prêts à intercepter. Dimanche soir, le Rennais a pourtant multiplié les courses pour se rendre disponible, gagnant le temps suffisant pour s'orienter et servir proprement ses partenaires. Recours systématique en cas de problème, il a permis aux Bretons de tenir jusqu'au bout leur audacieuse stratégie de relance au sol qui a privé les Parisiens de munitions.
Cette volonté de toucher le ballon dans des zones à risque ne fait pas encore de Camavinga l'héritier de Sergio Busquets, habitué à être servi dos au jeu et immunisé à toute forme de pressing. Avec sa défense à cinq, Rennes est en effet en supériorité numérique sur la première relance et le milieu de terrain n'a généralement été trouvé qu'après une phase préparatoire permettant de créer un décalage. Parfois pris en marquage individuel, il a alors alterné : tenir sa place, réclamer le ballon et remettre en retrait… ou servir de leurre pour ouvrir des espaces à ses partenaires. Une attitude dénotant une vraie lucidité sur ses capacités, qui permet de masquer ses faiblesses actuelles.
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Eduardo Camavinga, le phénomène de Rennes

Crédit: Getty Images

Placement et déplacement

Car, même si toute l'Europe du foot s'intéresse au prodige, il est encore loin d'être complet. Pas encore doté du dribble de dégagement que possède notamment Marco Verratti dans le camp d'en face, son placement devant la défense rappelle un peu celui d'İlkay Gündoğan à Manchester City lors des absences de Fernandinho l'an dernier : déplacements et disponibilité à la relance, passes simples qui font vivre le jeu, projections balle au pied quand l'espace s'ouvre et capacité à obtenir des fautes, mais aussi quelques incertitudes dans la zone à occuper en défense placée et une trop grande politesse dans les contacts. Et, donc, cette réticence à dribbler (deux réussis en trois matches cette saison).
Ce profil assez singulier dans le championnat de France a vu ses limites exposées lors du Trophée des champions. Placé à gauche du milieu à trois, Clément Grenier occupant alors l'axe, Camavinga s'est souvent retrouvé bloqué par la ligne de touche. Obligé d'adapter ses déplacements à ceux de son partenaire et de s'orienter vers l'axe, il a eu des difficultés à gérer les mouvements de Pablo Sarabia et à trouver des solutions pour construire. Lui qui est capable de créer des trois contre deux en envoyant le ballon dans la bonne zone ne gagne pas encore de un contre un lorsqu'il est à l'arrêt, et ne peut donc pas s'ouvrir facilement le terrain. Lors du match suivant, un succès 1-0 à Montpellier, Grenier et Camavinga ont naturellement échangé leurs positions, le pied de l'international complétant la vision à 360 degrés de son benjamin.
Toujours juste dans ses choix avec le ballon, une constante depuis ses débuts professionnels, l'Angolais avait alors également montré une bonne volonté défensive (six tacles réussis contre les Héraultais) et de vraies capacités à répéter les efforts. Un "moteur" essentiel dans un football moderne où les créatifs Christian Eriksen et Bernardo Silva courent plus que les travailleurs de l'ombre, qui permet de rattraper d'éventuelles erreurs de lecture. La semaine suivante, tiraillé entre l'envie d'empêcher Verratti de construire le jeu et celle de défendre sa zone, éternel dilemme entre défendre le passeur ou la passe, il a parfois eu le don d'ubiquité : monter au pressing pour forcer le Parisien à donner le ballon, puis revenir pour embêter le porteur. Avec une certaine timidité dans le duel à l'épaule mais une vraie capacité à anticiper les trajectoires.
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Marco Verratti à la lutte avec le Rennais Eduardo Camavinga durant le trophée des champions 2019

Crédit: Getty Images

Contexte et perspectives

À ce stade, Eduardo Camavinga est probablement loin d'être un produit fini mais il a déjà suffisamment d'atouts pour espérer viser plus haut. Avec sa capacité à prendre immédiatement l'information pour adapter son jeu et à maintenir un niveau d'intensité élevé, il coche les principales cases pour occuper l'entrejeu dans un grand club. D'autant que sa qualité de passe, faite pour les équipes de possession, s'accompagne d'une capacité à percuter quand l'espace s'ouvre essentielle en transition. Entouré de bons joueurs mais d'aucune superstar qui serait systématiquement prise à deux, il se crée seul les espaces qu'il utilise pour animer le jeu. De quoi espérer encore mieux dans un collectif de plus haut niveau et notamment un avenir comme relayeur où, contrairement au Trophée des champions, il ne serait sollicité qu'une fois dans le camp adverse.
Au-delà de sa capacité à confirmer sur la durée, ce que n'a pas fait un Maxime Lopez dont on a vite oublié les excellents débuts dans un rôle similaire il y a trois ans, Camavinga a encore quelques étapes devant lui. La capacité à défendre en avançant d'abord, qui dépendra de la volonté de Julien Stéphan de presser ou non et requiert des attitudes différentes de la défense en bloc médian/bas – notamment la capacité à faire la décriée mais si utile faute tactique. La sûreté dans le dribble ensuite, qualité qui fait passer Frenkie de Jong de très bon joueur à fuoriclasse tant il peut manipuler la structure de l'adversaire en prenant des initiatives individuelles. L'adaptation à différents systèmes enfin, celui à cinq défenseurs le mettant dans les meilleures conditions pour évoluer en meneur reculé.
Désormais bien identifiée, la menace sera traitée avec attention par les prochains adversaires du Stade rennais, qui pourraient lui assigner un joueur en marquage individuel comme ceux de Chelsea l'ont fait avec Jorginho… ou au contraire se replier et le laisser jouer les quaterbacks face à une défense regroupée. Un nouveau test pour le gaucher, dont le principal atout n'est pas le pied mais ce qui le commande. "On peut apprendre à tirer et à contrôler le ballon, mais être conscient de tout ce qu’il se passe sur le terrain, c’est quelque chose avec laquelle on est né ou qu’on n’a pas", a un jour dit Juan Román Riquelme au site de la FIFA. Il doit encore grandir mais, sur ce point, Eduardo Camavinga semble être bien né.
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