Lens, Rennes, Nice - "On cherche l'oiseau rare" : Pourquoi tout le monde s'arrache les directeurs sportifs

Bernard Lacombe à Lyon, José Anigo à l'OM, Jean-Michel Moutier au PSG, Pierre Dréossi à Rennes, Eric Roy à Nice et même, bien avant, Robert Budzynski à Nantes ou Pierre Garonnaire à Saint-Etienne. Les directeurs sportifs, responsable du recrutement ou conseiller spécial du président ont toujours existé. Mais ils restaient fidèles à leur club dont ils avaient, en règle générale, défendu les couleurs sur le terrain. Désormais, ils sont une monnaie d'échange comme les autres. Et en Ligue 1, en cette fin de saison, leur destin nourrit davantage le feuilleton quotidien que celui des coaches ou des joueurs.

Quelques mois après le départ de David Frioo de l'OM pour l'OL, Florian Maurice (Rennes), Florent Ghisolfi (Nice et désormais AS Rome), Grégory Lorenzi (Brest), Frédéric Hebert (Lens) ou Carlos Avina (Monaco) nourrissent les ambitions de bon nombre de clubs qui se les arrachent. Eux-mêmes ont désormais des plans de carrière comme Florent Ghisolfi passé de Lens à l'AS Rome via Nice en quelques mois seulement. Fini le bras droit du président qui gère les affaires courantes dans l'ombre. Le directeur sportif est désormais au centre des débats.

"Avant, les clubs étaient dirigés par un triumvirat : président, directeur sportif et entraîneur, nous renseigne Alain Caveglia, directeur sportif de Caen durant huit ans. Ils décidaient du sportif et un peu du financier. Cela s'est perdu avec l'ère des managers comme Arsène Wenger et Gérard Houllier qui avaient des réseaux énormes. Depuis quelques temps, le poste de directeur sportif revient en force."

Il est même devenu la clé de voûte du projet et quand un club veut repartir de zéro ou lancer un nouveau projet, comme Nice ou Rennes aujourd'hui, la première pierre du nouvel édifice est le directeur sportif. C'est lui qui va choisir le coach, insuffler une dynamique et dessiner la trajectoire.

"Aujourd'hui, on cherche l'oiseau rare, confie Jean-Luc Buisine qui fut, lui aussi, convoité par Rennes, Monaco ou Lille il y a une décennie. C'est une histoire de cycle. On ne change plus seulement l'entraîneur mais aussi celui qui est en charge de la vision sportive." "Les actionnaires ont changé, note de son côté Laurent Schmitt, agent sportif. Ils délèguent de plus en plus l'opérationnel à des directeurs généraux et des gens chargés du sportif. S'il y a du mouvement, c'est parce que le poste est de plus en plus friable, comme celui de l'entraîneur. Il y a de l'usure, de la fatigue et quand il faut changer de cycle, on change de directeur sportif."

"Il faut se rendre compte de la pression énorme qui pèse sur les épaules des dirigeants aujourd’hui, encore plus avec les réseaux sociaux, témoigne Buisine. La pression que subit Longoria en ce moment est phénoménale. Déjà, il y a dix ans, quand je me baladais à Monaco à la trêve et qu'on était dernier, je me faisais bouger. Et ce n’était qu’à Monaco… Il faut être costaud pour résister et ça peut expliquer le mouvement actuel." "L'autre raison, c'est l'émergence d'une nouvelle génération très douée", continue Schmitt. Aujourd'hui, beaucoup plus qu'hier, la réussite d'un club porte la marque de celui qui a géré son recrutement.

Ghisolfi à Lens la saison dernière, Grégory Lorenzi à Brest cette année. L'entraîneur et les joueurs ne sont plus les seuls à capitaliser sur un succès inattendu. Désormais, ceux qui sont à l'origine de leur venue peuvent eux aussi s'imaginer une carrière dans un club plus ambitieux. "La principale explication de ce regain d'intérêt pour les directeurs sportifs réside dans les obsessions des nouveaux dirigeants, continue Buisine. Beaucoup d'entre eux sont venus en Europe parce qu'ils se sont rendus compte qu'un joueur peut passer d'une valeur de 2 à 20 millions d'euros en quelques mois. C'est le meilleur placement financier au monde. Le trading est désormais au cœur de tout et le directeur sportif en est le spécialiste."

Parce qu'il a déniché Openda, Clauss, Gradit, Sotoca, Frankowski, parce qu'il a réussi à convaincre Seko Fofana de prolonger, parce qu'il a fait doubler voire tripler leur valeur marchande à Lens, Ghisolfi a une cote d'enfer. Même si, à Nice, ses réussites furent moins éclatantes, l'AS Rome a décidé de lui faire confiance. "C’est un excellent organisateur de secteur sportif, coordonnant pertinemment les forces autour se lui, cellules scouting ou performance, note Laurent Schmitt. Il a fait des très bons choix de coach. Il est malin , habile et bosseur."

Si Eric Roy ou José Anigo ont fini sur des bancs d'entraîneur, les profils d'aujourd'hui semblent davantage les destiner à des postes de direction générale. A l'image d'un Pablo Longoria passé de la direction sportive à la présidence de l'OM en quelques mois seulement. Une trajectoire qui ressemble à celle d'un Olivier Létang, directeur sportif du PSG puis président de Rennes puis Lille. C'est dire l'importance de ces hommes-là dans l'organigramme des clubs dont ils sont devenus la véritable clé de voûte.