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L'Etoile Rouge de Belgrade, de Bari à Paris...

Loïc TREGOURES

Mis à jour 03/10/2018 à 13:55 GMT+2

LIGUE DES CHAMPIONS - Vainqueur de la Coupe des Champions en 1991 face à l'OM, l'Etoile Rouge de Belgrade a disparu des radars tandis que la Yougoslavie s'enfonçait dans la guerre. Près de trente ans après, revoilà les Serbes en Ligue des champions. Ils défieront le PSG mercredi au Parc des Princes.

L'Etoile Rouge de Belgrade, sacrée championne d'Europe en 1991

Crédit: Getty Images

Que l’attente fut longue pour l’Etoile Rouge de Belgrade, ou "Zvezda" comme on l’appelle couramment. D’innombrables années passées à ressasser un passé glorieux visible dans le musée du club et sur les peintures murales autour du stade, celui d’une époque, celle de la Coupe d’Europe des clubs champions, et d’un pays, la Yougoslavie, désormais disparus.
On ne peut pas comprendre l’euphorie qui s’est emparée des supporters de l’Etoile Rouge, y compris en envahissant le terrain du RB Salzbourg au terme d’un dernier match de barrage complètement fou, si l’on ne se souvient pas d’où revient le club le plus glorieux et el plus populaire de Serbie. Il faut pour cela remonter précisément au 29 mai 1991, à cette nuit magique à Bari au cours de laquelle Zvezda remporta la coupe aux grandes oreilles au terme d’une haletante séance de tirs au but contre l’Olympique de Marseille.
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Robert Prosinecki avec la C1

Crédit: Getty Images

Au moment où les joueurs de l’Etoile Rouge de Belgrade soulèvent le trophée, puis la Coupe intercontinentale en décembre 1991, le club est au faîte de sa gloire. Pourtant, la guerre incite déjà l’UEFA à ordonner au club de jouer ses matches de coupe d’Europe de la saison 1991-1992 sur terrain neutre. Porte-étendard d’un nationalisme serbe triomphant, l’Etoile Rouge est suivie par ses fidèles supporters.

Bouleversement majeur

Le capitaine de l’équipe en 1991-1992, Vladan Lukic, rend visite à ceux qui sont partis sur le front en Croatie et Bosnie, les assurant du soutien de l’équipe et du peuple serbe. Cependant, à l’instar de la Yougoslavie elle-même qui sombre dans la guerre, la pauvreté et le chaos, l’Etoile Rouge passe en très peu de temps de meilleur club du monde à monument du patrimoine en péril. Ce brutal renversement tient principalement à deux raisons.
D’abord, la fin du système communiste marque un bouleversement majeur dans le modèle de fonctionnement des clubs, un constat qui se retrouve partout ailleurs en Europe centrale et orientale où la décennie 1990 a vu des dizaines de clubs glorieux disparaître et d’autres être relégués dans les abîmes du football européen. L’arrêt Bosman de 1995 n’a fait qu’aggraver ce phénomène de concentration des richesses et des meilleurs joueurs dans les quatre principaux grands championnats d’Europe.
Ce phénomène a coïncidé, en Serbie, avec les sanctions sportives votées à l’ONU en mai 1992, soit seulement un an après le triomphe de Bari. Celles-ci ont exclu les clubs serbes de toute compétition pendant trois saisons, avec des conséquences désastreuses. Sur le plan symbolique, elles signifiaient que l’on disait aux Serbes (et aux Monténégrins) qu’ils n’existaient plus, que leurs artistes, leurs scientifiques, leurs sportifs n’étaient plus fréquentables, car leurs immenses talents autrefois reconnus s’effaçaient désormais sur l’autel de l’infamie d’être Serbe.
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Belgrade - Naples

Crédit: Getty Images

Sur le plan pratique, elles signifiaient que le football serbo-monténégrin a continué d’exister, mais uniquement dans ses propres frontières. Les dirigeants ont alors fait en sorte de multiplier les derbies afin d’entretenir un minimum d’engouement et de niveau de jeu. Les clubs ont dû laisser partir tous leurs meilleurs joueurs en très peu de temps à travers des transactions peu orthodoxes, à la frontière bulgare, avec des mallettes remplies de Deutsch Mark ou des comptes off-shore à Chypre compte tenu des sanctions de l’ONU sur les transactions bancaires.

De grands clubs à petits villages

Sur le terrain, les adversaires de l’Etoile Rouge ont cessé d’être les plus grands clubs d’Europe pour devenir des petits villages de Serbie. A son retour sur la scène européenne lors de la saison 1995-1996, l’Etoile Rouge de Belgrade est éliminée dès le tour préliminaire de la Coupe UEFA par le modeste club suisse de Neuchâtel. Dans la Serbie gangstérisée des années 1990, le football est un terrain de choix pour les aventuriers et les bandits. L’ancien chef des supporters de l’Etoile Rouge et criminel de guerre Arkan parvient ainsi en deux saisons à prendre possession du petit club d’Obilic et lui faire remporter le titre de champion en 1998.
Puis l’Etoile Rouge se remet doucement de cette décennie maudite. Il est toujours le club le plus populaire de Serbie, et continue de produire et repérer quelques très bons joueurs, comme Nemanja Vidic, Milan Bisevac, Bosko Jankovic ou Nikola Zigic, qui partent trop tôt pour permettre au club de briller sur la scène européenne mais suffisent pour être le meilleur club du début des années 2000. Un basculement se fait en faveur du Partizan Belgrade à partir de 2007, peut-être avec l’aide du président de la fédération d’alors. Le Partizan forme les meilleurs joueurs comme les Monténégrins Stefan Savic et Stevan Jovetic, il les vend mieux, et enchaîne six titres consécutifs entre 2008 et 2013, avec une participation à la Ligue des Champions.
Le rééquilibrage des forces, y compris dans d’autres sports comme le basket, coïncide bizarrement avec l’arrivée au pouvoir d’Aleksandar Vucic, actuel président serbe, qui n’a jamais caché qu’il était non seulement un grand fan de l’Etoile Rouge, mais qu’il avait aussi été hooligan dans ses jeunes années. Zvezda progresse grâce à son coach actuel Vladan Milojevic arrivé au début de la saison dernière, effectue des recrutements malins depuis quelques saisons (Richmond Boakye, Hugo Vieira, Damien Le Tallec, Aleksandar Pesic récupéré de Toulouse) en dehors de sa propre pépinière (Predrag Rajkovic, Luka Jovic, Marko Grujic, Nemanja Radonjic) qui lui permet d’engranger les titres nationaux (2014, 2016, 2018), de bien vendre, et de revenir sur la scène européenne avec un 16e de finale de l’Europa League l’an passé en compagnie du Partizan Belgrade.
Bien sûr, Zvezda ne connaîtra vraisemblablement plus jamais les derniers tours de coupe d’Europe, sauf si l’UEFA décide de créer une compétition pour les petites fédérations. Mais vu la pauvreté et les affaires de matchs arrangés dans le football serbe, vu la déchéance des années 1990, c’est déjà une immense victoire d’être revenu d’entre les fantômes. D’autant que, dans le groupe de la mort avec le PSG, Napoli et Liverpool, les Serbes sont déjà assurés de ne pas finir à zéro point.
Finalement, le retour de l’Etoile Rouge de Belgrade en Ligue des Champions est une belle nouvelle, non seulement pour les nostalgiques d’un football fait de grands noms aujourd’hui presque tous disparus, mais aussi parce que le cratère du Marakana est en soi un spectacle qui n’a que peu d’équivalent en Europe.
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