Les plus populaires
Tous les sports
Voir tout

Ligue des champions - L'Ajax Amsterdam, un chef-d'œuvre inachevé de plus dans le football moderne

Philippe Auclair

Mis à jour 08/05/2019 à 19:30 GMT+2

LIGUE DES CHAMPIONS - Alors que son parcours européen ravit le continent entier, l'Ajax Amsterdam risque fort d'être amputée de la majorité de ses cadres cet été. Le prix du succès, devenu une condamnation à mort pour les clubs qui n'appartiennent pas à l'élite du football en Europe.

L'Ajax festeggia il secondo gol, quello di Huntelaar

Crédit: Imago

Pour l'Ajax, cette Ligue des champions n'est pas seulement une course à un titre, mais aussi une course contre la montre. Dans moins d'un mois, l'équipe qui, en cassant tout sur son passage - mais avec un tel style -, a fait rajeunir les quinquas et éveillé chez les millenials l'amour de l'un des plus beaux maillots du monde, ne sera plus. Tout le monde sait qu'aussitôt leur tour d'honneur achevé, si les dieux du football leur prêtent vie aussi longtemps, Van De Beek, De Ligt, De Jong et quelques autres feront comme le font les joueurs de l'Ajax depuis presque toujours : ils s'envoleront du nid.
Les conserver aussi longtemps avait été un exploit, quand une finale de Ligue Europa perdue contre le Manchester United de Mourinho avait déjà attisé la convoitise de beaucoup. Edwin van der Sar a raconté comment il avait convoqué tous ces jeunes surdoués l'an passé, pour leur "vendre" l'idée de demeurer un an de plus. Pour voir jusqu'où pourrait aller ce groupe hors du commun, sans le moindre doute le plus doué depuis celui dont Louis van Gaal fit la meilleure équipe d'Europe au milieu des années 1990.
Hormis Justin Kluivert (1 but en 24 matches de Serie A), qui regrette peut-être aujourd'hui sa décision de partir à l'AS Roma, tous décidèrent de rester une année de plus, une année qui touche à sa fin. L'histoire est belle en soi. Elle est aussi d'une grande tristesse, car nous ne saurons jamais jusqu'où cette équipe aurait pu aller si on l'avait laissé grandir ensemble. Allez savoir : il n'est pas impossible, d'ailleurs, que son parcours soit stoppé dès ce mercredi par Tottenham, auquel cas notre frustration n'en serait que plus grande.
picture

Donny van de Beek (Ajax Amsterdam) célèbre son but lors de la demi-finale aller de la Ligue des champions contre Tottenham

Crédit: Getty Images

15 septembre 1995, la naissance du phénomène

Le phénomène est relativement récent. On peut en fait lui attribuer une date de naissance précise : le 15 décembre 1995, lorsque la Cour Européenne de Justice trancha en faveur de Jean-Marc Bosman dans le litige qui l'opposait au RFC Liège. Jusque-là, la liberté de mouvement des joueurs était doublement restreinte, et par les contrats qui les liaient à leurs clubs, et par les réglementations en vigueur dans la plupart des championnats nationaux, lesquelles limitaient le nombre de footballeurs étrangers qu'une équipe pouvait aligner ensemble sur le terrain.
Cela n'empêchait pas les plus puissants d'aller picorer une, deux ou trois stars par ci-par là, ce dont les clubs français ne se privèrent guère dans la plus faste de leurs périodes au niveau européen. Mais il était impensable qu'une équipe parvenue au faîte de l'élite puisse se faire vider de son sang. Comme, par exemple, ce fut le cas de l'Ajax, justement, après sa victoire sur Milan en finale de la Ligue des champions de 1994-1995, et son malheureux revers lors de l'édition suivante, où la Juve ne s'imposa qu'aux tirs au but.
picture

L'Ajax Amsterdam vainqueur de la Ligue des champions 1995

Crédit: Getty Images

Passées ces deux saisons, pendant lesquelles la merveilleuse équipe de van Gaal gagna aussi deux titres de champion national, la Supercoupe d'Europe, la Coupe Intercontinentale et la Coupe des Pays-Bas, il ne restait plus guère de l'ossature de ce groupe prodigieux que les frères De Boer, Jari Litmanen et Edwin van der Sar. Seedorf, Davids, Kanu, Overmars, Kluivert Sr, Reiziger, tous avaient été vendus, la plupart aux clubs italiens qu'ils avaient tant fait souffrir en Europe. Le déclin était inévitable.
Demi-finaliste de C1 en 1996-97, quart-de finaliste de la Coupe de l'UEFA la saison suivante, l'Ajax ne sortit qu'une seule fois de la phase de groupe de la Ligue des champions entre 1998 et 2018. Le parallèle avec la première des grandes incarnations du club d'Amsterdam s'imposait : si l'équipe de Cruyff et Neeskens (et tant d'autres) avait pu régner sur l'Europe pendant tant d'années, c'est qu'elle avait eu le temps de se développer. Le grand Johan ne partit pour Barcelone qu'à vingt-six ans révolus. Six ans après avoir gagné son premier doublé avec l'Ajax, et après avoir disputé quatre finales de Coupes d'Europe, dont trois victorieuses.

Le succès est devenu une condamnation à mort

Voilà bien l'un des paradoxes les plus nuisibles du football du 21ème siècle : le succès est le plus souvent une condamnation à mort, pour ces clubs qui n'appartiennent pas à la super-élite du football européen. On peut espérer que l'Ajax, club admirablement géré, dont la stratégie a précisément été conçue pour pouvoir digérer la victoire, ne souffrira pas autant du pillage de son groupe que le fit Monaco, un club au profil bien différent il est vrai, après ses récents exploits en Ligue 1 et en Ligue des Champions.
Le Borussia Dortmund a également montré comment survivre à l'assaut des pilleurs - dans leur cas, du Bayern Munich en particulier - en développant une politique de formation/vente de ses meilleurs éléments, qui a connu une telle réussite que le BvB a un chiffre d'affaires qui dépasse aujourd'hui le demi-milliard d'euros lorsqu'on prend en compte les bénéfices générés sur le marché des transferts (*). Ce qui en fait un membre, eh oui, de la super-élite.
picture

Bernardo Silva, Kylian Mbappé et Thomas Lemar ont tous fini par quitter Monaco malgré le parcours européen réussi en 2017

Crédit: Getty Images

Si encore la distribution des revenus de la C1 équilibrait quelque peu la donne, et donnait au Monaco d'hier et à l'Ajax d'aujourd'hui une chance de s'installer au moins un temps au sommet... mais non. Ces revenus provenant en majeure partie de la vente des droits TV, la répartition est calculée - en partie - sur la base de la part de marché que représentent le pays d'où provient tel ou tel club (**). Autant dire qu'un club des Pays-Bas, d'Ecosse ou même du Portugal ne pèse pas lourd face à un concurrent anglais.
Autrefois, quand une équipe engagée sur la voie de la grandeur voyait son chemin coupé avant la fin de son cycle naturel, c'était à cause d'une catastrophe, d'une tragédie comme celle qui faucha les Busby Babes en 1958, ou d'un bouleversement politique comme la fragmentation de la Yougoslavie, qui survint juste alors que l'Etoile Rouge de Belgrade avait réuni un groupe exceptionnel et remporté la Coupe d'Europe de 1990-1991. Ce n'est plus le cas. C'est, hélas, dans l'ordre des choses. Et c'est pourquoi tant d'entre nous souhaitons aux jeunes de l'Ajax d'aller jusqu'au bout de leur rêve. C'est parce que nous savons qu'il est devenu impossible.
(*) Un facteur qui, bizarrement, n'est pas pris en compte dans les calculs du cabinet Deloitte lorsque celui-ci établit sa fameuse Rich List annuelle.
(**) Un exemple: le Real Madrid empocha 15 M€ pour sa victoire en 2017-2018. C'êtait presque trois fois moins que ce que la Juve, éliminée en quarts, gagna en parts de droits TV.
Rejoignez Plus de 3M d'utilisateurs sur l'app
Restez connecté aux dernières infos, résultats et suivez le sport en direct
Télécharger
Partager cet article
Publicité
Publicité