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Ajax - Naples - L’héritage divin de Johan Cruyff et Diego Maradona

Chérif Ghemmour

Mis à jour 04/10/2022 à 12:00 GMT+2

LIGUE DES CHAMPIONS - Les ombres portées de Johan Cruyff et de Diego Maradona s’étaleront inévitablement sur les deux rencontres entre l’Ajax Amsterdam et le SSC Napoli, ce mardi et mercredi 12 octobre. Parce que les deux Dieux de foot, sanctifiés pareillement dans les deux villes, ont mené autrefois les peuples ajacied et partenopei en Terre Promise…

Entre l'Ajax et Naples, l’héritage divin de Cruyff et Maradona

Crédit: Marko Popovic

Il est des villes qui ont été personnalisées par des célébrités qui y ont accolé leurs noms, jusqu’à en devenir inséparables. Dublin renvoie à James Joyce ou U2, Lisbonne à Fernando Pessoa, Saint-Pétersbourg à Dostoïevski, Liverpool aux Beatles, Tokyo à Kitano, Rome à Fellini, Madrid à Almodovar, Paris à Prévert et New York rayonne à travers les œuvres et les exploits de Lou Reed, Philip Roth, Woody Allen, Spike Lee ou Di Maggio… Il en va de même pour les "villes foot" : les grandes légendes du ballon rond y ont associé leur illustre patronyme.
Alfredo Di Stefano est Madrid, Pelé est Santos, Eusebio est Lisbonne, George Best est Manchester, Franz Beckenbauer est Munich. Et puis il y a Amsterdam et Naples. Dans la chronologie géographique de la galerie des stars du jeu, Johan Cruyff a rendu Amsterdam célèbre avec l’Ajax dans les années 70. Puis Diego Maradona, bien qu’argentin, en a fait de même lors de la décennie suivante avec le SCC Napoli, club emblématique de la ville-phare de la Campanie. Johan et Diego ont tout simplement "placé sur la carte" leur club-ville, au point que, même relégués aujourd’hui dans le deuxième cercle des places fortes continentales, l’Ajax et le Napoli continuent de fasciner la planète foot.
Voilà pourquoi on suivra avec intérêt le rendez-vous de ce soir qui apparaît comme une confrontation inédite de deux montagnes se rencontrant enfin en Ligue des champions. Elle apparaît "inédite" seulement, parce que les deux clubs se sont en fait déjà affrontés en 1970 en 8e de Coupe des Villes de Foires (ancêtre de la C3). A l’aller au stade San Paolo, l’Ajax privé de Cruyff avait été battu 1-0 puis avait étrillé le Napoli 4-0 au retour au Stade Olympique d’Amsterdam. C’est l’année suivante, avec sa première victoire en C1, que le triptyque Cruyff-Amsterdam-Ajax s’est révélé au monde.

Quelque chose de divin

Propulsée par une star aux initiales bibliques (JC pour Johan Cruyff) et au numéro bientôt légendaire (le 14), l’équipée blanche et rouge (en référence au maillot devenu lui aussi mythique) a fait converger tous les regards admiratifs vers la cité d’Europe du Nord qui, auparavant, ne figurait pas du tout au gotha continental. Avec l’insolence de son talent supersonique et de sa modernité pop-rock, Johan Cruyff incarnait une "rebel attitude" à la fois personnelle, en brisant les codes d’une société néerlandaise alors très conformiste, et à la fois plus large, en réalisant les rêves de grandeur de son coach, Rinus Michels.
En quête de reconnaissance, le père du Football Total était obsédé par une victoire en C1 (la Coupe des clubs champions, à l’époque). Ravalé au rang de petit entraîneur d’un petit club hollandais, Michels avait très peu goûté le mépris nobiliaire de Bill Shankly quand son Ajax avait éliminé les grands Reds en 8e de C1 en 1966 (5-1, 2-2). Le grand Ajax triple champion d’Europe 1971-72-73 est né en grande partie de cette quête, parfois revancharde, de respect et de consécration ultime au niveau européen. Une fois son but atteint en 1971, Rinus Michels mit le cap sur Barcelone…
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Des supporters de l'Ajax vêtus d'un maillot de Johan Cruijff

Crédit: Getty Images

C’est une même célébration divine que Naples a vécu de par la grâce de Diego Armando Maradona de 1984 à 1991. Littéralement descendu du Ciel (par hélicoptère) à son arrivée au San Paolo en juillet 84, le Messie argentin a surmonté son échec au Barça et fait du SCC Napoli une terreur de la Serie A et une place forte européenne. Aussi génial et emblématique que Cruyff, affublé également d’un nom quasi biblique (Maradona, comme la Madonna, Vierge Marie), d’un numéro 10 (el diez) qu’il stylisera ensuite pour l’éternité en D10S (Dieu) et d’une tunique bleu clair qui aujourd’hui encore identifie tout de suite le Napoli, le Pibe de oro a changé le destin d’un club et d’une ville.

Entre Cruyff et Maradona, une estime réciproque

Personnalité rebelle incarnant alors une cité rebelle, Maradona a offert au peuple napolitain une revanche sociale sur l’Italie du Nord et ses grands clubs, tels le Milan AC de Berlusconi, l’Inter de Moratti et la Juve des Agnelli. Grâce au Dieu Maradona, les "pouilleux du Sud" (tels que les Napolitains ont surnommés avec mépris dans le reste du pays) célébreront deux titres de Serie A (1987, 1990), la Coupe d’Italie (pour le doublé 1987) et une coupe UEFA (1989).
Si Johan et Diego ne se sont pas affrontés sur le terrain, ils se portaient une estime réciproque. Leur génie et leur personnalité XXL les associaient déjà à un autre seigneur de leur caste, Alfredo Di Stefano, leur idole commune dont ils adoptèrent le registre exceptionnel de buteur et meneur de jeu. Lorsque Johan avait dressé dans ses mémoires son Onze personnel, la nouvelle Dream Team qu’il aurait rêvé de coacher, il plaça d’office Maradona en attaque, à côté de Pelé.
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"S'il continue comme ça, Haaland terminera à 76 buts… en championnat !"

Questionné en 2012 sur la meilleure équipe de son choix, Diego n’hésita pas un instant ("la Hollande 74 était incomparable, incroyable, comme une symphonie"), rendant hommage indirect mais certain à son chef d’orchestre, Johan 1er. La carrière de Diego Maradona peut sans doute être aussi connectée à Buenos Aires et Boca Juniors mais il n’y resta qu’un an (1981) et Roman Riquelme y imprima ensuite une gloire tout aussi durable. Cruyff est associé aussi en tant que joueur puis entraîneur au Barça et à la capitale catalane, mais l’aura gigantesque récente de Messi et Guardiola y a sensiblement éclipsé celle du Maître.
Diego reste donc napolitain et Cruyff amstellodamois. L’Argentin a retrouvé à Naples le fort caractère des villes de mer qu’il avait connue à Buenos Aires et Johan Cruyff, petit footeux des faubourgs, a grandi lui aussi dans une grande cité du nord ouverte sur l’océan, sur l’aventure. Les grandes villes portuaires, riches (Amsterdam) ou pauvres (Naples), abritent souvent des grands clubs à forte identité populaire. Derrière un statut footballistique très aristocratique, Diego et Johan usaient d’un langage très familier et de la ruse canaille en lesquelles les peuples partenopei et ajacied se reconnaissaient…

Amsterdam et Naples encore imprégnés aujourd'hui

Une même ferveur anime la Johan Cruyff ArenA et le Stadio Diego Armando Maradona. Si le premier a été honoré de son vivant en voyant le stade de l’Ajax Amsterdam baptisé de son nom, c’est à la mort du second en novembre 2020 que le San Paolo a pris son patronyme complet. Comme si les deux villes voulaient perpétuer avec gratitude sous la forme de monuments majestueux aux capacités jumelles (55 000 personnes !) les deux héros qui leur ont apporté un prestige planétaire. Comme une évidence, l’Ajax et le Napoli ont respectivement retiré le numéro 14, étendu fièrement en oriflammes aux poutrelles de l’ArenA, et le numéro 10, toujours brandi dans les travées de l’ancien San Paolo.
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Une fresque de Diego Maradona dans les rues de Naples

Crédit: Getty Images

Avec ses innombrables petits autels ornés d’icônes religieuses du D1OS, le fantôme bienveillant de Maradona hante un peu partout les rues de Naples comme un saint protecteur. En mars 2019, la municipalité d’Amsterdam avait décidé, elle, de rendre hommage à Johan 1er à l’occasion des trois ans de sa mort en décorant tous les abribus de la ville avec un vitrail tout aussi religieux à son effigie et paré du numéro 14 !
Non loin d’Amsterdam, depuis septembre 2021, le théâtre de Leusden entretient également la mémoire de Cruyff avec "14, la comédie musicale", un spectacle sur sa vie qui rencontre encore un grand succès puisqu’il jouera les prolongations jusqu’en cours d’année 2023… A moins d’un regrettable supportérisme idiot, on se plaît à rêver et à souhaiter que l’esprit divin des charismatiques Johan et Diego plane sur les deux rencontres entre leur club de cœur et qu’il inspire aux joueurs et aux fans le spectacle de deux grandes fêtes du football.
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