Manchester City vainqueur de la Ligue des champions : l'impossible unanimité
Manchester City a remporté samedi sa première Ligue des champions, à Istanbul. Le club anglais, vainqueur de l'Inter sur la plus petite des marges (1-0), ne fait pas l'unanimité en Angleterre. A part celles de ses fidèles, peu voix s'élèvent pour supporter le nouveau roi d'Europe. Philippe Auclair, dans sa chronique hebdomadaire, nous explique pourquoi.
Guardiola, longtemps à City ? "Il pourrait faire la même chose qu'à Barcelone"
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Dans une lettre adressée au romancier Kingsley Amis, le poète anglais Philip Larkin se plaignait ainsi de ce que leurs professeurs de littérature de l'université d'Oxford attendaient des deux amis.
"Non seulement ces c... exigent que nous admirions des œuvres comme Beowulf [un poème épique écrit avant l'An Mil, composé en anglo-saxon], ce que je peux comprendre, mais ils voudraient en plus que nous les aimions !"
Même s'il est improbable qu'ils aient lu Beowulf, le problème auquel se heurtent les supporters de Manchester City après le triplé de leur club est du même acabit. Il ne leur suffit pas que leur équipe a désormais tout emporté sur son passage. Il faudrait de plus que le reste de l'Angleterre en tombe follement amoureuse et se confonde en hyperboles comme le fit Darren Fletcher, commentateur de la rencontre, à la conclusion de la finale de cette Ligue des Champions.
"Ils l'ont fait !", s'exclama-t-il. "Manchester City l'a fait ! Une fois, deux fois, trois fois champion, enfin champion d'Europe ! L'histoire s'est écrite à Istanbul ! Le triplé est complété ! La plus grande histoire dans l'histoire du football de club a une conclusion, et quel dernier chapitre !".
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Comment classer ce Manchester City ? "C'est une référence au 21e siècle"
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Cette explosion d'enthousiasme fut accueillie avec consternation par quasiment tous ceux qui supportent un autre club que Manchester City. "La plus grande histoire dans l'histoire du football de club", vraiment ? 
Mieux que le quadruplé du Celtic en 1967, acquis avec des joueurs qui étaient tous nés dans un rayon de 50 kilomètres de Parkhead ? Mieux que le triplé de titres européens de l'Ajax de Cruyff - lequel avait aussi fait le triplé coupe d'Europe, coupe nationale et championnat, au passage ? Mieux que le treble de Manchester United en 1998-1999 ? Mieux que le une-deux Coupe de l'UEFA - Ligue des Champions du Porto de José Mourinho ? Mieux que le parcours victorieux du Chelsea de Di Matteo en Europe en 2012, quand les Blues ne mettaient plus un pied devant l'autre en championnat, mais éliminèrent le Barça de Guardiola et battirent le Bayern chez lui en finale ?
Mieux que le triplé tout récent (2019-20 pour les amnésiques) du Bayern de Hansi Flick, qui n'avait hérité du poste d'entraîneur qu'au mois de novembre cette saison-là ?
Et pendant qu'on y est, mieux que la promotion de Luton Town en Premier League il y a quelques semaines, acquise avec un budget de misère et une ascension de division en division sans équivalent dans l'histoire du football anglais ?
Un peu de pudeur, que diable. Mais c'est comme si les supporters de Manchester City savaient eux aussi que les raisons de la tiédeur de l'Angleterre envers son nouveau champion d'Europe ne sont pas futiles ou à mettre sur le seul compte de la jalousie. Des raisons, il y en a au moins 115, comme le nombre d'infractions aux réglementations du fair-play financier dont la Premier League accuse son club-phare des six dernières années.
C'est comme si les supporters de Manchester City savaient, eux aussi, que leurs triomphes ne sont pas ceux d'un outsider qui a chahuté l'Establishment - invraisemblablement, beaucoup d'entre eux le soutiennent - mais le résultat d'un "projet" politico - diplomatico - sportif des Emirats Arabes Unis, une autocratie qui, sur le front des droits de l'homme, n'a rien à envier au Qatar, exécuté sans états d'âme, et sans scrupules, parfois. 
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Erling Haaland
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Ils le nient pourtant, contre toute évidence. Voilà pourquoi l'ambivalence, l'indifférence et même le dégoût d'une grande partie du public anglais envers leurs triomphes les agace tant. Tout ce qui pourrait les contraindre à réviser l'inconditionnalité de leur foi est de l'ordre du blasphème, des fake news et du complot. Ils sont l'anti-Millwall, dont les fans chantent "personne ne nous aime, mais on s'en fiche". Plus ils gagneront, plus ils seront difficiles à aimer, et plus leur frustration sera grande. 
A cela s'ajoutent les ambigüités du grand architecte de leur réussite, Pep Guardiola, qui n'est pas que le manager du nouveau champion d'Europe, mais aussi son porte-parole par défaut. Manchester City ne communique que par communiqués. Son président, Khaldoun al-Moubarak, n'accorde pas plus d'interviews que le reste de sa hiérarchie, du Catalan Txiki Beguiristain à l'Australien Simon Pearce. Le propriétaire nominal du club, Sheikh Mansour, qu'on n'avait pas vu dans un stade depuis treize ans avant la finale d'Istanbul, pourrait aussi bien ne pas exister.
Admiration et respect
C'est donc à Guardiola qu'il incombe de faire face aux questions qu'on est bien obligé de lui poser. C'est un exercice qu'il déteste et qu'il ne se cache pas de détester, pas plus qu'il ne cache son mépris pour ceux qui le questionnent. Ce ne sont pourtant pas les questions qui manquent, même si certaines sont clairement hors-jeu en ce qui le concerne.
Sa suspension pour dopage, confirmée en appel, pour usage d'anabolisants lorsqu'il jouait pour Brescia, en fait partie, même s'il parvint à l'expurger de son casier en arguant d'un vice de procédure. 
Son soutien public véhément pour la cause indépendantiste catalane et pour ses partisans emprisonnés, au nom des "droits de l'homme" et des "valeurs démocratiques", aurait été plus convaincant s'il avait appliqué les mêmes critères dans le cas de ses employeurs émiratis, ce qu'il refusa de faire en disant : "chaque pays décide de la façon dont il doit vivre". Il en avait été de même lorsqu'il avait accepté d'être l'un des ambassadeurs de Qatar 2022.
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Pep Guardiola
Crédit: Getty Images
En ce sens comme en d'autres, cette incarnation de Manchester City est à l'image de son principal créateur : admirée, respectée, mais pas plus. Guardiola n'est pas la légende qu'on croirait à Barcelone, malgré deux saisons (2008-09 et 2010-11) qui ressemblaient à des chefs d'œuvre. Ses rapports complexes, et conflictuels, avec son ancien adjoint et successeur Tito Vilanova, qui décéda tragiquement d'un cancer en 2014 et dont la veuve interdit à Guardiola de se rendre aux funérailles, y sont pour beaucoup. 
Au Bayern, malgré les titres (trois Bundesliga, deux Pokal, une Coupe du monde des clubs), ce dont on se souvient, c'est d'abord des échecs répétés en Europe, et d'un manager qui semblait avoir beaucoup de mal à comprendre - ou accepter ? -  ce que représentaient les cultures de son club bavarois et de la Buli en général, ce qui renforça l'image d'un technicien qui avait une part de génie mais en était prisonnier.
L'Angleterre n'a pas changé Pep Guardiola dans le sens où il serait devenu autre. Ce serait plutôt l'inverse. Quand il parle, on sent qu'il n'a plus à rendre de comptes à personne, pas plus que son club vis-à-vis de l'UEFA ou de la Premier League. Il n'a plus de politesses à faire à qui que ce soit, et Manchester City non plus. L'amour peut naître de beaucoup de choses, mais pas ainsi.
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