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Pablo Correa de retour à Nancy : "Je comprends ceux qui pensent que je suis démodé"

Guillaume Maillard-Pacini

Mis à jour 01/12/2023 à 23:39 GMT+1

Pablo Correa à l'AS Nancy-Lorraine, épisode 3. Déjà passé par le club lorrain entre 2002 et 2011, puis une deuxième fois entre 2013 et 2017, le Franco-Uruguayen de 56 ans a accepté de revenir au chevet d'une équipe qui tente de sauver sa peau en National. Mais avec quel état d'esprit ? Et surtout quelles méthodes, dans un football qui a changé depuis ses débuts sur un banc ? Entretien.

Pablo Correa

Crédit: Getty Images

Pablo Correa est un homme de parole. Après nous avoir donné rendez-vous au centre d'entraînement Michel Platini la veille, le nouveau technicien de l'ASNL est bien là, en ce lundi de fin novembre et de premières neiges à Nancy. Bien au chaud dans son bureau, celui qui a accepté de revenir chez lui, là où il a passé presque vingt dans de sa vie entre son premier passage de joueur (1995-2000) puis ceux d'entraîneur (2002-2011, 2013-2017), est en plein travail vidéo avec l'un de ses adjoints. Cap sur le match face au Mans, vendredi (19h30), après un retour gagnant contre Rouen (1-0) la semaine passée. L'objectif pour le successeur de Benoît Pedretti ? Sortir de la zone rouge, où Nancy, repêché in extremis en National l'été dernier, se trouve actuellement (14e).
Mais à notre arrivée, une chose nous tracasse. Sur la porte de son bureau, en effet, une étiquette indique : "Cabinet médical". Le Franco-Uruguayen de 56 ans se serait-il entre-temps spécialisé dans la médecine, histoire de sauver un club malade depuis plusieurs années ?
"Depuis mon premier passage ici, le bureau de l'entraîneur a toujours été là. Mais à ma surprise, quand je suis revenu, il n'y était plus, tout le staff était à l'étage, nous indique-t-il. László Bölöni, Francis Smerecki... Les coachs ont toujours été ici, même bien avant. Je crois aux évolutions du club, je ne suis pas celui qui veut tout garder comme avant. Mais il y a un coach qui est venu, qui ne parlait pas du tout français (Ndlr : Daniel Stendel, entraîneur allemand passé au club de mai à septembre 2021, au bilan peu flatteur de 0 victoire en 10 matches), seulement via un traducteur, et donc ça ne le dérangeait pas d'aller à l'étage, puisqu'il ne communiquait pas directement avec le groupe. Ma porte est toujours ouverte, comme vous le voyez (il la montre du doigt). Je veux de la proximité, pas de crainte, tout le monde peut entrer me parler. Des joueurs sont même déjà venus pleurer ici. Je ne conçois pas mon métier comme ça, de manière froide. Nous sommes un club familial. Il faut de l'humain."
Nous voilà rassurés, Pablo Correa est donc toujours entraîneur. L'occasion d'évoquer avec lui, entre autres, l'évolution de son métier depuis ses débuts à lui. La télé éteinte, le café servi et sa casquette de coach retirée, l'entretien peut démarrer.
2003, 2013, 2023. Pour Pablo Correa, revenir à l'ASNL, c'est comme rentrer à la maison ?
Pablo Correa : Oui et non. Les temps changent, quand même. Il y a toujours eu un peu d'écart entre mes passages, de mon passé de joueur puis à mon rôle d'entraîneur. C'est toujours un renouveau, avec des scénarios différents et des choses qui changent. Là, par exemple, il n'y a plus le même président (Jacques Rousselot, ndlr), les propriétaires sont loin même si nous sommes en contact, même via d'autres personnes. Mais c'est vrai qu'il existe ce sentiment de revenir dans un endroit où l'on maîtrise les choses, car une partie de l'histoire nous appartient aussi.
Au vu de la situation actuelle, n'avez-vous pas hésité à accepter cette mission ?
P.C : Le fait que ce soit Nancy, ça a grandement joué. Je viens en aide à une institution qui a été capable de me donner beaucoup de choses. Je n'ai ni réfléchi, ni hésité. J'étais récemment au chevet de ma maman, en Uruguay. Mais même cela, ça ne m'a pas fait douter, surtout que les choses se sont maintenant améliorées. J'ai envie de donner. Le retour de Nicolas Holveck (les deux ont travaillé ensemble il y a vingt ans, ndlr) a également été très important, comme la présence de Michaël Chrétien, mon ancien joueur, au poste de directeur sportif. Cela m'a aidé à ne pas hésiter. Avec d'autres personnes, forcément, cela aurait mis plus de temps. Là, on en a tous gagné. Le club aussi, d'ailleurs, au moment de choisir un nouveau coach. Ils savent que je suis de la maison. Et moi, je ne me voyais pas dire non. Ce sont probablement des raisons plus humaines que footballistiques. J'ai tellement de reconnaissance pour ce club.
Comment expliquez-vous ce lien avec Nancy ?
P.C : C'est inexplicable. Je n'ai jamais quitté cette ville depuis 1995, même si j'ai entraîné ailleurs. Je présume qu'il y a beaucoup de raisons. Nous nous sentons bien ici. La taille de la ville, les gens, la famille, les enfants qui grandissent dans un environnement... Je raconte toujours la même anecdote. Juin 1995. Nous nous apprêtons à partir de Montevideo vers Nancy, et nous discutons alors avec Carlos Curbelo (ancien joueur de l'ASNL d'origine uruguayenne, et père de Gaston, ndlr) et sa femme, qui avaient vécu la même chose. Nos compagnes discutent, et l'épouse de Carlos dit à la mienne, en la prenant par le bras : "Sois sereine, tu vas tomber amoureuse de cette ville". Elle a été aussi surprise que marquée. Je suis arrivé ici à 27 ans, Nancy est donc une grande partie de ma vie. En plus du lien avec le club et ma vie de famille. Parfois, on a pensé à rentrer en Uruguay, en pesant le pour et le contre. Et voilà, nous sommes toujours ici.
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La joie de Pablo Correa après la victoire de Nancy en finale de la Coupe de la Ligue 2006 contre Nice

Crédit: AFP

Ressentez-vous l'urgence de la situation, avec un club qui joue actuellement sa survie en National ?
P.C : Dans le football, on vit toujours avec une certaine forme d'urgence. Surtout les entraîneurs. Le résultat prime. Mais la sensation que le club se laissait un peu aller, cela m'a indiqué qu'il y avait des choses à faire. Maintenant, nous vivons au jour le jour. L'important, c'est le match qui vient. A chaque fois, avec Nancy, on reparle de l'histoire du club, du blason etc... La première chose demandée à mes joueurs, c'est l'humilité. Vous ne gagnez pas le match avec votre histoire ou votre passé. Je ne crois pas au fait de jouer le maintien jusqu'au bout. Peut-être que nous serons sauvés avant, peut-être tout l'inverse. Le groupe ne doit pas penser qu'il a le temps. Dans un match, oui, pour la réflexion, la concentration... Je veux qu'il soit dans cette dynamique du prochain match, surtout avec le format actuel du championnat avec six descentes. Il n'y a pas de confort, de ventre mou.
Votre premier passage à Nancy remonte à 2003, et vous n'avez plus eu de club en France depuis votre passage à Auxerre (2017-2019). Est-ce difficile pour un entraîneur de se moderniser et de se mettre au goût du jour, notamment dans un football qui ne cesse d'évoluer ?
P.C : Le football a évolué, avec beaucoup de nouvelles données, dont les datas. Comme à l'époque avec la vidéo. Il y a toujours eu des évolutions dans ce sport, même des postes sur le terrain. Ce qui me dérange un peu plus, c'est ce langage un peu moderne sur des choses qui ont déjà existé dans le football. Il faut être "tendance". Pour moi, le football reste un rapport de force : physique, mental, technique, tactique. Mais des choses évoluent, oui. En France, notamment, on pense qu'un entraîneur qui a un temps mort, c'est un temps de lassitude. Qu'il s'est lassé et qu'il ne fait rien. Mais c'est tout l'inverse. On a accès à des réunions, à des congrès. On a du temps pour lire, découvrir, apprendre...
Vous avez donc tenté de vous renouveler ?
P.C : Je peux dire que j'ai eu un bon temps de formation. Parfois, j'ai été confronté à des commentaires du genre : "Oui, il n'entraîne pas depuis longtemps". Mais quand je suis parti d'ici la première fois, en 2011, c'était par lassitude, j'avais l'impression d'être dans une lessiveuse. Une pause, ça permet de voir des matches avec un certain recul et détachement. Parfois, j'allais voir des rencontres uniquement pour voir le boulot des latéraux. J'ai continué à travailler, regardez ! (il montre un carnet rempli de notes, avec des matches répertoriés, dont notamment ASSE-Grenoble et Annecy-Guingamp cette saison). J'ai vu des matches de Ligue 2, de National, à l'étranger... Je n'ai aucune limite, je peux voir des matches de n'importe quel championnat. J'ai lu les autres coachs, on fait le même métier, c'est vrai, mais c'est important de piocher ici et là. J'aurais aimé discuter avec certains autour d'un verre, mais quand vous êtes sur la touche, c'est difficile, vous avez peut-être tendance à vous renfermer un peu.
Si je ne me pensais pas capable, je n'aurais pas accepté
Mais vous n'avez jamais eu peur d'être démodé ou dépassé ?
P.C : Je comprends que certains puissent penser ça, c'est normal d'avoir des doutes. Et je vais être sincère, j'ai eu un gros moment de doute. Quand les mois commencent à défiler, que les opportunités continuent de passer... Vous vous demandez forcément si vous servez encore au football. Il faut alors avoir la capacité de se remettre en question, de voir comment les équipes évoluent. Moi, je ne suis plus pareil devant un groupe aujourd'hui par rapport à il y a vingt ans. Le football a évolué, mais l'individu aussi. Je parlais de temps de formation, mais c'est aussi un temps de doute. Vous êtes hors circuit, ce n'est pas facile. Après, je pense qu'il y a des gens qui sont dans le circuit mais qui, au fond, sont en dehors (rires). Moi, je n'ai jamais pensé à arrêter. J'ai envie de continuer mon métier. Je me sens assez lucide pour savoir quand stopper les choses, même avec Nancy. Là, je me sens encore en capacité d'aider, de donner un coup de main. Parfois, on pense revenir en aide à un club alors que finalement, l'inverse se produit et on repousse simplement une échéance. Pas là. Si je ne me pensais pas capable, je n'aurais pas accepté.
Dans le football d'aujourd'hui, est-il possible de différencier le contenu du résultat ?
P.C : Vous savez, les nouvelles tendances... Je pense que les joueurs ont besoin d'un langage correct. Cela permet de mieux comprendre la consigne. Pour moi, séparer le contenu du résultat, c'est le travail de l'entraîneur et de son staff. Je pense qu'avec les joueurs, il est important de parler des attentes, des objectifs... Le football est un rapport de force (répétition). Moi, ce qui m'intéresse, c'est gagner. Si tu connais bien ton groupe, que tu travailles avec lui depuis longtemps, alors tu peux dissocier le contenu du résultat. Moi, j'ai terriblement peur qu'un joueur tombe dans le confort en se disant que de toute façon, ça viendra.
Quel regard portez-vous sur le débat qui s'est installé autour du niveau de la Ligue 1 entre Michel Der Zakarian et Thierry Henry ?
P.C : Je comprends les deux points de vue, et il y a plusieurs facteurs à prendre en compte. En France, on a toujours tendance à coller des étiquettes aux entraîneurs. Ma dernière montée avec Nancy en Ligue 1 : meilleure défense, deuxième meilleure attaque et plus grand nombre de victoires. Et après, on a dit : "Oui mais Correa...". En France, il y a toujours eu des cases. Je comprends Der Zakarian. C'est difficile de travailler avec une équipe qui change au fil des années, Wahi qui s'en va cet été... C'est le jeu, et c'est compréhensible. Il connaît très bien les besoins de Montpellier en tant que club. Si, un jour, nous nous dirigeons vers une Ligue fermée, je suis certain que les choses seront différentes, sans risque de descente.
Après, je comprends aussi Thierry Henry qui vient d'un pays ultra-libéral, dans tous les sens, comme l'Angleterre. Le championnat est riche, le jeu y est plus décousu. Mais depuis que je suis né (1967), la sélection anglaise n'a rien gagné ! Est-ce que cela s'explique par ça aussi ? J'ai entendu Arsène Wenger dire aussi qu'il y avait trop d'entraîneurs étrangers en France. Mais qu'est-ce qui nous va finalement ? Est-ce qu'on peut résoudre ce "problème" de jeu via la venue d'autres techniciens ? Je ne crois pas. Si on va vers un football spectacle, il faudra donner les moyens aux clubs. Au fond, Henry et Der Zakarian veulent la même chose : améliorer le football en France. L'équipe de France a été championne du monde sans avoir développé un jeu exceptionnel, mais simplement fait pour cette compétition.
Ne tombons pas dans le piège de penser que la qualité du football se résume aux buts marqués. Enfin, le temps de formation a également été réduit. Dans les années 2000, on avait le temps de former, profiter des prestations, développer les joueurs puis les vendre ensuite. Quand je suis revenu la décennie suivante, certains joueurs sont partis après six mois, un an. On perdait presque une équipe. Que voulez-vous faire face à ça, même si vous avez l'idée de football la plus offensive ?
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