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L'exil à domicile : le drôle de quotidien de ces supporters londoniens

Louis Pillot

Publié 09/03/2018 à 22:50 GMT+1

LONDRES : IDENTITÉ, FIDÉLITÉ, RIVALITÉS - Quand on aime une équipe, c’est pour la vie. Mais à Londres comme ailleurs, le développement économique des clubs et le merchandising à tout prix ont éloigné certains fans des stades et du football.

Les supporters de West Ham

Crédit: Getty Images

À l’angle de Barking road et de Green Street, dans l’est londonien, se dresse The Boleyn. La devanture si particulière de ce pub tranche avec les enseignes vieillottes des magasins qui l’entourent. Ses couleurs évoquent le “claret and sky blue” des maillots de West Ham, et pour cause : The Boleyn était le rendez-vous des fans des Hammers les jours de match à domicile.
Les supporters venaient y boire la “pre-match pint”, à deux pas de la mythique statue des “champions” qui représente Bobby Moore, Geoffrey Hurst et Martin Peters, trois légendes de West Ham vainqueurs de la Coupe du monde avec l’Angleterre en 1966. À deux pas, également, de leur maison, le stade de Boleyn Ground, situé à Upton Park. Mais aujourd’hui, l’enceinte est détruite. Et The Boleyn reste désespérément vide.
Depuis l’été 2016, West Ham a élu domicile au stade Olympique de Londres, construit pour les JO 2012 et situé cinq kilomètres plus à l’ouest. L’occasion était trop belle pour le club qui n’a eu, au prix d’accord passés avec l’organisme en charge de la réutilisation du stade, que 15 millions de livres à verser (plus 2,5 millions de rente annuelle). Le déménagement a pourtant laissé une partie des fans des Hammers orphelins. Upton Park, quartier peu accueillant au demeurant, a été le domicile de West Ham pendant 112 ans.
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La "statue des champions" de West Ham, devant The Boleyn

Crédit: Eurosport

De quoi provoquer une sensation de déracinement chez les habitués du club londonien qui a sans doute le plus conservé ses attaches ouvrières. Sur un mur, on peut lire, tagué en bleu ciel, “Long live the Boleyn”. Sur la devanture du pub, une affiche attire l’oeil : elle appelle à se battre pour conserver la “statue des champions” à Green Street, et empêcher son déménagement près du stade Olympique. Quelques supporters des Hammers sont réfugiés dans un pub voisin, le Black Lion. “Notre maison, c’était Upton Park, lance l’un d’eux. Le déménagement nous fait partir, et ne nous apporte rien sportivement. On a l’impression d’avoir perdu sur tous les tableaux.

"On voit des perches à selfie partout"

West Ham n’est pas le premier club à se voir déraciné de son enceinte historique. Arsenal est notamment passé de Highbury à l’Emirates stadium, quelques centaines de mètres plus loin. Tottenham s’apprête également à voir son stade de White Hart Lane, typique des enceintes anglaises, rénové dans un style plus moderne. Les clubs de divisions inférieures n’ont pas été épargnés : le Barnet FC (League Two, soit la quatrième division anglaise) a ainsi quitté en 2013 Underhill, son stade mythique en pente, pour s’installer au Hive Stadium.
Qui dit nouveaux stades, dit nouveau public. “La Premier League s’est gentrifiée, juge Richard, supporter des Gunners. Je suis allé seulement une poignée de fois au stade compte tenu du prix des billets.” Le jeune homme évoque une centaine de livres pour un match lambda de Premier League. Et rappelle que l’Emirates possède encore le season ticket (abonnement) le plus cher d’Angleterre, et parmi les plus chers d’Europe. Comme lui, une partie des supporters londoniens historiques ne se rendent plus aux matches à domicile.
Certains, parmi les ex-pensionnaires d’Highbury, stade réputé à l’époque pour son ambiance, ne se rendent plus qu’aux "away games". Et l’augmentation générale du prix des billets, initiée en partie pour éloigner les hooligans de l’intérieur des stades, a attiré un autre public dans les stades, plus touristique. “Arsenal est réputé pour le prix exorbitant des billets, mais c’est comme ça dans tout Londres et dans toute l’Angleterre, ajoute Richard. Je suis sûr que Crystal Palace, malgré son stade typique, n’hésitera pas quand il faudra augmenter les prix par exemple”.
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Pour les supporters historiques, l'Emirates Stadium sonne creux

Crédit: Getty Images

Le constat : l’ambiance des stades en pâtit, et avec elle le sentiment d’appartenance à un véritable groupe. Matt, casquette d’Arsenal vissée sur la tête et debout à l’intérieur des Twelve Pins, pub des supporters d’Arsenal, regrette : “Quand je vais au stade, parfois j’entonne un chant et je relève la tête : à côté de moi, personne ne reprend ! On voit des perches à selfie partout, des touristes. Ici, au pub, on conserve une partie de l’ambiance d’Highbury”. Certains, à Londres, ont même fait un pari, quitte à laisser sur le côté les fans historiques : pour enrayer son déclin suite à sa relégation, et amener de nouvelles personnes au stade, Fulham a ainsi ouvert une tribune aux supporters de tous horizons.

Récupérer son club

Les bénéfices économiques censés découler de la construction des stades ont aussi créé des attentes sportives frustrant les supporters. À Arsenal bien sûr, sixième club le plus riche du monde, le manque d’investissement dans des joueurs de classe mondiale a longtemps été un sujet de contestation, un peu moins vivace aujourd’hui. West Ham connaît désormais le même phénomène. Un groupe, “The real West Ham fans”, a ainsi organisé une marche ce samedi 10 mars pour protester contre la politique sportive du club et le déménagement au stade Olympique. La manifestation a été annulée depuis, après des discussions avec le board des Hammers. Mais beaucoup prévoient néanmoins de marcher, “pour récupérer [leur] club”, comme l’écrit un fan du club sur un forum.
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Les immeubles en arrière-plan ont remplacé Boleyn Ground, mais West Ham vit toujours à Upton Park

Crédit: Eurosport

Ce sentiment de détachement, ressenti surtout par les supporters des clubs de Premier League, pousse une partie des fans à chercher leur bonheur dans les divisions inférieures. Là bas, la passion intacte du “Sunday league football”, ce football du dimanche de bas niveau qui sent le gazon et la bière, unifie toujours. Certains clubs deviennent même des effets de mode : le Dulwich Hamlet FC, qui évolue au niveau régional dans le sud-est de Londres, a notamment attiré nombre de hipsters et d’activistes venus profiter du football pour faire passer des messages anti-discrimination.
Mais, dans l’extrême majorité des cas, l’attachement à son club est éternel. Wimbledon en est la preuve. Le club originel, le Wimbledon FC fondé en 1882, s’est ainsi vu forcé de quitter son stade historique de Plough Lane après la vente du terrain à une chaîne de supermarchés en 1998. L’équipe, empêtrée alors dans des soucis économiques, a dû déménager hors de Londres, pour devenir le Milton Keynes Dons FC en 2004. Des supporters ont, en réponse, créé le nouveau club de l’AFC Wimbledon, à Londres. L’équipe a grimpé les échelons jusqu’à rejoindre MK Dons en League One (3e division anglaise). Et elle est, aujourd’hui, un condensé de ce qui fait le football londonien : identité forte, fidélité à toute épreuve, et rivalités prononcées.
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