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Liverpool, but contre son camp... sauvé sur la ligne, ou pas ?

Philippe Auclair

Mis à jour 07/04/2020 à 10:16 GMT+2

PREMIER LEAGUE - Club de tradition prolétarienne et donc de gauche, Liverpool a créé la polémique en annonçant qu'il allait profiter d'un système qui lui permettra de ne payer que 20% de la rémunération de son "petit personnel". Le reste devait être payé par l'Etat britannique et donc le contribuable. Les Reds ont fait machine arrière mais le mal est fait.

Dressing room of Liverpool before the Premier League match between Liverpool FC and Tottenham Hotspur at Anfield on October 27, 2019 in Liverpool, United Kingdom.

Crédit: Getty Images

Ce qui suit est l'histoire d'un renversement de situation comme on en a rarement vu dans le monde du football. Lorsque le communiqué parut samedi sur le site officiel de Liverpool FC certains avaient applaudi dans un premier temps. Une lecture superficielle de ce texte pouvait en effet faire croire que le club s'engageait à continuer à payer 100% de leurs salaires aux membres du "petit personnel" des Reds pendant le hiatus imposé par la pandémie - la paie des joueurs demeurant un sujet épineux dans le bras de fer qui oppose aujourd'hui la Premier League, favorable à une réduction de 30% de ces salaires, au syndicat des footballeurs, la PFA.
La réalité était tout autre, et bien plus difficile à accepter pour les supporters des Reds qui, non sans justification, avaient jusque-là conçu de la fierté pour la réaction de leur club à la crise qui nous frappe tous sans exception. Dès le 13 mars, alors que le reste de l'Angleterre vivait encore presque normalement, oublieuse du démon qui avait déjà passé sa porte, Jürgen Klopp, dans un message justement admiré, avait rappelé cette évidence : contrairement à ce qu'avait dit Bill Shankly (avec un clin d'oeil, ce qu'on oublie souvent), la vie et la mort étaient des questions bien plus importantes que le football. Y compris en cette saison où le titre attendu depuis 1990 tendait les bras aux Reds, un titre dont rien ne dit qu'il sera finalement attribué.

Liverpool montre l'exemple, et pourtant...

Liverpool FC, comme les voisins d'Everton, avait par exemple fait un don substantiel aux banques alimentaires dont dépendent les plus démunis dans leur région. Plusieurs de ses joueurs, dont Sadio Mané, avaient mis la main à la poche sans le crier sur les toits. Liverpool FC, porte-étendard d'une ville qui ne cache pas ses affinités politiques - à gauche, une gauche issue des valeurs et traditions prolétariennes -, était en phase avec ses fans; ce qui, au passage, était aussi un choix des plus heureux en matière économique, parce que populaire, et susceptible de renforcer encore plus les liens de fidélité et de loyauté de la "base" avec les propriétaires américains du club.
Tout cela s'est effondré en l'espace de quelques heures, lorsqu'on a compris ce que signifiait vraiment le communiqué du club.
Oui, ces salariés continueraient de percevoir 100% de leurs rémunérations. Mais Liverpool FC n'en paierait que le cinquième. Suivant l'exemple de Tottenham et de Newcastle, les deux premiers clubs à flairer le bon coup, Liverpool FC compterait sur le gouvernement britannique, et donc sur le contribuable, pour payer les 80% restants. Pour une entreprise, ce système, appellé "furlough" en anglais, consiste à mettre en congés pour une durée déterminée (et renouvelable) le personnel, dont le salaire est alors couvert à 80% par les autorités (jusqu'à un plafond de 2 500 livres mensuels, environ 2 850 euros, dans ce cas précis), l'employeur ayant le choix de verser les 20% restants ou pas.
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The famous Paisley Gates at Liverpool Football Club's Anfield stadium are closed as concerns escalate over the spreading of COVID-19 Coronavirus

Crédit: Getty Images

Aucune entreprise n'est dans l'obligation de faire appel à ce dispositif de mise en congés et aux subventions qui l'accompagnent; bien au contraire, il s'agit d'un ultime recours pour des sociétés qui, sans lui, devraient fermer boutique et licencier leur personnel; bref, mis en place pour aider les entreprises les plus vulnérables, celles sur lesquelles l'impact du Covid-19 est le plus dommageable.

Carragher et Collymore, les anciens montent au créneau

Mais Liverpool, vraiment ? Liverpool qui fait appel à l'argent du gouvernement pour payer son petit personnel, stadiers, jardiniers, réceptionnistes, agents de sécurité, secrétaires, vendeurs et vendeuses du mégastore d'Anfield ? Tout en continuant de rétribuer plein tarif ses dirigeants et ses stars? Le club "de gauche" qui se comporte comme un parasite de l'assistance sociale? Liverpool FC, 7e au classement des clubs les plus riches du monde, dont les derniers comptes font état d'un bénéfice de 42 millions de livres (quasiment 48 millions d'euros) sur la saison 2018-19 ? Liverpool FC, qui, cette même saison, a versé 43,8 millions de livres (environ 50 millions d'euros) en commissions diverses aux agents de ses joueurs ?
Et cela, alors que Jordan Henderson, le capitaine des Reds, montre l'exemple en réunissant les dix-neuf autres skippers des clubs de Premier League au sein d'un comité encore informel pour voir comment se mobiliser pour aider - financièrement - les services essentiels à la vie de la nation, ceux de la santé publique en premier. Passé le premier moment, quand l'incompréhension le disputait à l'incrédulité, c'est la colère qui est montée dans les rangs des supporters, mais a aussi été exprimée par d'anciens joueurs des Reds comme Jamie Carragher et Stan Collymore.
"Jürgen Klopp a montré de la compassion pour tous au début de la pandémie, des joueurs cadres sont impliqués [dans la discussion avec] la Premier League sur la réduction des salaires des joueurs. Et puis tout le respect et toute la bienveillance sont perdus, pas bien, ça, LFC", tweeta le premier. Le second choisit des termes plus crus, mais le sentiment était le même. "Je ne connais pas de supporter de Liverpool digne de ce nom qui ressentira autre chose que du dégoût pour la mise en congés de membres du personnel par le club". Le reste se passait de traduction.

Une insulte à l'héritage de Shankly

Joe Blott, le président de la plus influente des associations de supporters de Liverpool, Spirit of Shankly, a publié une lettre ouverte adressée au directeur exécutif de LFC Peter Moore, dont le ton se voulait conciliant - ce sont les fidèles d'entre les fidèles qui s'exprimaient ici - mais qui posait néanmoins des questions délicates aux dirigeants des Reds. "Nous comprenons qu'il s'agit avant tout d'une question entre employés et employeur, lisait-on, mais, en qualité de représentants officiellement reconnus des supporters de LFC, nous nous inquiétons du dommage que cela [la décision de mise en congé subventionnée] cause à la réputation et aux valeurs de notre club".
Quand Henry Winter, l'un des "barons" du journalisme de football anglais, connu pour sa diplomatie et son penchant à voir et célébrer le bon côté des choses, fustige les actions du club dans un article/éditorial qui court sur deux pages dans le Times de ce lundi, des actions qu'il décrit comme une "insulte à l'héritage de Shankly - et à Klopp", il y a de quoi s'inquiéter pour l'image solidaire et "éclairée" soigneusement entretenue par les dirigeants de Liverpool FC, et qui les a si bien servis jusque là.
Et le fait est qu'eux-mêmes ont fini par le comprendre. Après deux journées passées à essuyer critique sur critique, le board des Reds a fait machine arrière ce lundi en fin de journée. Il a même fait des excuses publiques. "Nous croyons être parvenus à la mauvaise conclusion et en sommes sincèrement désolés", a déclaré Peter Moore, ajoutant que Liverpool avait opté pour d'autres moyens de payer leur personnel.
Si l'on est généreux, on dira qu'il s'agissait d'un faux pas, d'une glissade, d'une passe dans les tribunes. Tout le monde en fait. Jamie Carragher a d'ailleurs aussitôt salué le revirement de son club de coeur. Si on l'est moins, ce qui est le cas de l'Angleterre aujourd'hui, on dira plutôt qu'un masque est tombé, et qu'on n'oubliera pas forcément ce qu'il cachait.
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