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Premier League - Angleterre, le prix de l'exceptionnalisme

Philippe Auclair

Mis à jour 16/03/2020 à 21:33 GMT+1

PREMIER LEAGUE - Le Royaume-Uni a tardé à prendre les décisions drastiques que la crise liée à la pandémie de coronavirus réclamaient. Sans les cas de Mikel Arteta et Callum Hudson-Odoi, la 30e journée se serait disputée ce week-end. Les images d'Anfield plein pour le 8e de finale retour en Ligue des champions ont beaucoup choqué.

Liverpool fans celebrate during the UEFA Champions League round of 16 second leg match between Liverpool and Atletico Madrid at Anfield on March 11, 2020.

Crédit: Getty Images

Exceptionnalisme n'est pas un mot des plus élégants, dans son orthographe comme dans sa prononciation. Ce qu'il recouvre ne l'est pas non plus, car "nous sommes différents des autres" sous-entend le plus souvent "nous sommes meilleurs qu'eux". Je ne ferai pas l'injure à mon pays d'adoption de voir en lui la mère-patrie de cet "exceptionnalisme", un défaut des mieux partagés. Je ne me gênerai cependant pas pour utiliser le terme en rapport avec la réaction de ceux qui dirigent le football anglais depuis qu'il est confronté à l'évidence d'une pandémie.
Vous l'ignorez peut-être, mais la suspension du championnat d'Angleterre dans ses quatre divisions professionnelles n'est intervenue que parce que la Premier League, en particulier, n'avait plus d'autre choix. Jeudi soir encore, les indications qui me parvenaient excluaient une mesure aussi radicale. On parlait encore de rencontres à huis clos. Mais c'était avant que les faits se chargent de rappeler aux instances du football anglais - et écossais, qui se réveilla à deux jours d'un Old Firm Derby - que le temps de l'atermoiement était passé.

Il était moins une

Si Mikel Arteta et Callum Hudson-Odoi n'avaient pas été testés positifs, la 30e journée de Premier League se serait tenue normalement. Comme s'est déroulé le plus grand festival hippique de la saison à Cheltenham, où 60 000 spectateurs se sont retrouvés et entassés chaque jour autour de l'hippodrome, des bars et des cahutes de bookmakers depuis mardi dernier et comme faillit bien se dérouler "normalement" le match Galles-Ecosse du Tournoi des 6 Nations avant que la raison ne prime, à 24 heures seulement du coup d'envoi, et alors que des milliers d'Ecossais se trouvaient déjà à Cardiff.
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Mikel Arteta - FC Arsenal

Crédit: Getty Images

Jusqu'au dernier moment, le football anglais - le sport anglais - a voulu tirer sur l'élastique. Mercredi soir encore, sous les yeux affolés des services de santé, Anfield avait accueilli 52 267 spectateurs pour la venue de l'Atlético de Madrid en Ligue des Champions. On dira que c'était peut-être à l'UEFA de faire en sorte qu'on empêche un rassemblement de la sorte; ne s'agit-il pas de sa compétition, après tout, qu'elle a d'ailleurs décidé de suspendre, tout comme la Ligue Europa, deux jours plus tard seulement ? Mais on aura tort. L'UEFA avait certes toute autorité pour trancher dans le vif. Mais Liverpool l'avait tout autant, et le gouvernement de Boris Johnson plus que tout autre.
S'agit-il d'un choix, d'une sorte de pari ? D'un côté, soutenir un football qui génère des milliards de revenus pour ses clubs, les entreprises de paris en ligne et le Trésor Public. De l'autre, la perspective d'infliger un sérieux coup d'arrêt à une activité économique qui est aussi un pilier de la culture nationale. Ce choix, évidemment, n'en est pas un, comme Jürgen Klopp le rappela avec beaucoup d'éloquence dans un message publié vendredi après-midi sur le site des Reds. Pour paraphraser Jorge Valdano, "de toutes les choses qui n'ont aucune importance, le football est celle qui compte le plus"; et n'est certainement pas une question de vie ou de mort (comme on le fit dire, à tort, à Bill Shankly), sauf, justement, dans le contexte qui est le sien aujourd'hui en Europe. Où il est précisément cela, une question de vie ou de mort pour les plus vulnérables d'entre nous.

Une reprise le 4 avril, vraiment ?

Mais le football anglais, encouragé dans ses pulsions cupides par un gouvernement qui n'a cessé de minimiser l'étendue de la crise, a choisi d'ignorer cela aussi longtemps que possible. Avec quelles conséquences, nous ne le saurons que dans quelques mois, quand nous compterons les fosses dans les cimetières. Les conseillers de Boris Johnson ont activement soutenu la thèse plus que bancale de "l'immunité du troupeau" - grosso modo, laisser l'infection se propager afin de bâtir l'immunité du plus grand nombre - avant de se rendre compte que le bilan humain, et économique, serait une catastrophe sans précédent pour le pays depuis les jours les plus sombres de la Seconde Guerre mondiale.
Mais c'était le message que souhaitait entendre le football-business anglais et, hélas, une partie de ses supporters, dont le fanatisme est tel qu'il s'accommode de l'idée que d'autres puissent mourir pour que son équipe soit sacrée championne ou ne soit pas reléguée.
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Virgil van Dijk und Jürgen Klopp vom FC Liverpool

Crédit: Imago

Ce déni de la réalité se poursuit hélas jusque dans les mesures prises en commun par la FA, la Premier League, la English Football League et la Women's Super League, annoncées ce vendredi. Oui, le football est bien suspendu...mais jusqu'au 4 avril seulement. Personne n'est dupe du fait que la crise n'aura fait que devenir plus aigüe - certainement au Royaume-Uni, "en retard" de deux semaines environ sur le reste du continent - et qu'une reprise des compétitions à cette date est une vue de l'esprit.

La Premier League a tant à perdre

En privé, certains dirigeants sont beaucoup plus directs, et parlent d'un horizon beaucoup plus lointain pour ce qui est d'un retour tout relatif à la "normalité", à savoir le mois de septembre. Pourquoi alors parler du 4 avril comme d'une possibilité, quand il s'agit d'un leurre ? Parce qu'il convient d'entretenir l'illusion du "ce sera comme avant", et bientôt.
C'est qu'il y a tant à perdre, évidemment, pour le championnat le plus riche du monde, et qui est aussi celui sur lequel les parieurs misent le plus d'argent - une dimension essentielle de la problématique actuelle, presque toujours passée sous silence, alors que les spécialistes estiment que le marché global des paris sur le football, Asie comprise, est d'environ 1 000 milliards de dollars par an.
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Raheem Sterling (Manchester City) contre Manchester United

Crédit: Getty Images

Jusqu'à présent, la seule inquiétude qu'aient vraiment manifestée les dirigeants du football anglais, quand on décape le vernis des mots de circonstances, est vis-à-vis de leur manque à gagner; leur seule préoccupation, le désir de minimiser l'impact de la crise sur leurs finances; il fallait donc jouer, et le plus longtemps possible, de même que le gouvernement de Boris Johnson n'a cessé de dire "continuez comme avant" jusqu'à ce l'épidémie se propage. Comme si, parce qu'on était une île, on pouvait exister autrement dans un monde où l'aéroport d'Heathrow voit - voyait - 1 300 vols atterrir ou s'envoler de ses postes chaque jour. Et cela, le football anglais, et toute l'Angleterre, est en passe de le découvrir.
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