Premier League - Y'a-t-il un pilote dans l'avion Arsenal ?
PREMIER LEAGUE - Plongeant sans fin dans une crise sportive, Arsenal semble surtout ne plus savoir qui il est. La lente érosion de l'identité des Gunners a conduit à une situation complexe dont il sera bien difficile de sortir.
Arsenal - Emirates Stadium
Crédit: Getty Images
Il se peut que Mikel Arteta soit devenu entraîneur d'Arsenal quand vous lirez ces lignes. Ou il se peut que nous devions attendre jusqu'au weekend et au déplacement des Gunners à Everton pour que l'annonce de sa nomination soit officialisée par le club - voire plus longtemps encore. Il se peut également que les négociations reprises depuis plusieurs jours, car Arteta avait été pressenti avant qu'Unai Emery soit choisi, ne débouchent sur rien. Rien n'est simple à Arsenal de nos jours, ce qui ne veut pas dire qu'expliquer comment nous avons pu en arriver là soit si compliqué que cela.
/origin-imgresizer.eurosport.com/2019/12/18/2738737-56596750-2560-1440.jpg)
Les joueurs d'Arsenal déçus (Aubameyang Özil)
Crédit: Getty Images
'Là", c'est une dixième place au classement du championnat d'Angleterre, après avoir pris sept points sur vingt-sept, à sept longueurs de Chelsea, qui ferme la marche du top 4, mais aussi de Southampton, premier relégable, alors qu'on approche de la fin des matches aller de cette saison de Premier League. "Là", c'est un stade dans lequel trouver une place était quasiment impossible il y a deux saisons de cela, aujourd'hui désaffecté (un mot que j'emploie à dessein) par plus d'un tiers de ses supporters à chaque rencontre. "Là", ce sont des joueurs habités par la peur, qui bégaient en possession du ballon, et lui courent après comme des chiots effarés lorsqu'il appartient à leurs adversaires.
Arsenal perd son identité profonde
"Là", c'est un club en passe de perdre ce qu'il a de plus précieux, son identité. Entendons-nous: pas son identité de jeu, car celle-ci peut et doit changer au fil du temps. Herbert Chapman, ce révolutionnaire, privilégiait la rapidité des transmissions en contre-attaque. George Graham, ce pragmatique, se reposait sur une défense de fer et les qualités de finisseur de Ian Wright. Arsène Wenger, ce rêveur, avait transformé son équipe en une machine à éblouir. Unai Emery...on ne saura jamais. Malgré une finale de Ligue Europa, il n'aura été, bien malgré lui, qu'un trait de désunion de plus.
L'identité dont je parle est intangible. Quiconque est supporter d'un club n'aura pas besoin d'explications. C'est ce je-ne-sais-quoi qui fait qu'un fan ne fait pas qu'aimer son club, mais se l'approprie; et c'est dans cette appropriation que nait une identité distincte. C'est un sens du "soi" si profond qu'on le vit par instinct, viscéralement. Et quand cette identité est trahie, c'est la fin.
/origin-imgresizer.eurosport.com/2019/11/10/2714213-56106290-2560-1440.jpg)
Unai Emery (Arsenal) - Premier League 2019-2020
Crédit: Getty Images
Cette fin n'arrive pas par accident. L'avion ne tombe pas du ciel d'un coup, frappé par la foudre. Il tourne en rond, comme s'il n'avait plus de destination, jusqu'à ce que les dernières gouttes de kérosène aient été brûlées. Après quoi les pales cessent de tourner, et il s'écrase.
On dira que, de nos jours, quand un demi-milliard d'euros de chiffre d'affaires annuel ne vous donne même plus une place dans le Top 5 de la Rich List du cabinet Deloittes, on ne doit plus parler d'identité, mais de marque, de branding. Je ne suis pas convaincu du tout que l'une doive inévitablement exclure l'autre. Référez-vous au magistral Building The Yellow Wall que Uli Hesse consacra à l'ascension du Borussia Dortmund, et qui fut justement récompensé du Prix du "Livre de Football de l'Année" par la FWA en juin dernier, avec le tout aussi magistral Red Card de Ken Bensinger.
Wenger, caution consentante
Si Dortmund est devenu ce qu'il est aujourd'hui, à savoir le "second club" de tant de fans du monde entier, c'est précisément parce qu'il est parvenu à rendre son identité indissociable de sa "marque". Liverpool est un autre exemple de cette osmose. Mais pas Arsenal, oh non, pas Arsenal. Arsenal, depuis que le loup Kroenke est entré dans la bergerie en 2007, souffre d'une hémorragie identitaire que quelques sparadraps (comme la fameuse 'arsenalisation' de l'Emirates, projet fétiche de l'ancien directeur exécutif du club Ivan Gazidis) ont été incapables de stopper.
Parlant de Kroenke, Peter Hill-Wood, le président d'alors des Gunners, disparu il y aura bientôt un an de cela, avait dit à l'époque: "nous n'avons pas besoin de son argent, et nous ne voulons pas de ce genre de personnes [au club]'. Cette déclaration lui avait valu bien des critiques, et même quelques insultes; aujourd'hui, on la lit d'un autre oeil, comme l'avertissement lancé par un homme dont la famille était associée au club depuis 1929, qui "saignait rouge et blanc", et avait flairé d'emblée le danger que représentait l'irruption du milliardaire américain sur la scène. Douze ans plus tard, nous sommes fixés. L'avion a bien un propriétaire, mais plus de pilote.
Il était possible de l'ignorer tant qu'Arsène Wenger était là, Wenger dont l'aura et l'autorité morale étaient telles qu'on méprenait sa présence comme le signe que, quoi qu'il arrive, le good old Arsenal de la chanson survivrait. Il servait de caution - consentante, ne l'oublions pas - à son directoire. Lorsque le petit peuple grognait aux Assemblées générales des actionnaires, immanquablement, c'était Arsène qui lui répondait le mieux, pour la raison toute simple qu'il était bien le seul à sentir à quel rythme battait le coeur des supporters: c'était aussi le sien.
/origin-imgresizer.eurosport.com/2018/05/06/2329235-48483470-2560-1440.jpg)
Arsène Wenger
Crédit: Getty Images
Le gouffre qui s'est ouvert après son départ n'est pas moins abyssal que celui dans lequel Manchester United a chuté depuis qu'Alex Ferguson et David Gill ont laissé la place à X, Y et à Ed Woodward. Wenger n'avait pas toujours respecté la culture de son club, qu'il connaissait peut-être moins bien qu'il le croyait. Il avait mis fin à des traditions qui pouvaient paraître un peu compassées (comme l'équipe saluant les quatre tribunes tout à tour avant le coup d'envoi), mais signifiaient tant pour la foule de l'Emirates.
Gallas, Vermaelen et Chamakh, capitaines, vraiment ?
Il n'avait pas compris l'importance que revêtait le rôle de capitaine dans le club de Charlie Buchan, Eddie Hapgood, Joe Mercer, Frank McLintock, David O'Leary et Tony Adams. Patrick Vieira ? Oui, absolument. Gilberto Silva, certainement. Mais William Gallas, Thomas Vermaelen et, le temps d'un match ou deux, Marouane Chamakh et quelques autres qui prenaient le brassard comme on tire le pompon du manège ?
De ce point de vue, remarquez, Unai Emery fit encore mieux, puisque pas moins de neuf de ses joueurs se virent bombardés capitaines en l'espace d'un peu plus d'une saison (Laurent Koscielny, Granit Xhaka, Petr Cech, Mesut Özil, Nacho Monreal, Aaron Ramsey, Pierre-Emerick Aubameyang, Hector Bellerin et Rob Holding). Le rôle du "skipper" est sans doute exagéré dans le football anglais; mais dans une institution telle qu'Arsenal, ce genre de "détail" est crucial. Je doute beaucoup que quiconque a quelque pouvoir que ce soit dans ce club en 2019 le sache encore ou y accorde la moindre importance. Ce n'est pas le problème le plus urgent du club, non, mais c'est une autre manifestation de ce qu'il est devenu.
S'imaginer que nommer untel ou un autre manager changera la donne à terme est un leurre. Mikel Arteta, si c'est bien lui, parviendra peut-être à redonner une certaine cohésion à une équipe traumatisée, déséquilibrée, dont beaucoup des éléments qu'on croyait les plus prometteurs marquent le pas ou régressent, Maitland-Niles et Guendouzi en particulier. Ce que je remarque, c'est que les noms mentionnés après le licenciement d'Emery n'ont presque rien en commun pour ce qui est de leur "philosophie". Allegri, Arteta, Vieira, Espirito Santo, Ancelotti...Je cherche en vain ce qu'ils partageraient pour ce qui est de leur approche du métier d'entraîneur.
On dira, "oui, mais commercialement, la Chine...", ce qui est exact. Commercialement, la Chine, où Arsenal a beaucoup investi, notamment dans la restauration est un marché primordial. Doit-on alors laisser la direction du club aux responsables du marketing ? A Arsenal, visiblement, oui. Tant que l'avion tourne en rond, tout va bien.
Sur le même sujet
Publicité
Publicité
/origin-imgresizer.eurosport.com/2025/09/24/image-0f5b5ecf-f8d6-4b24-8227-3e8855a17ca0-68-310-310.jpeg)