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Les miracles n'existent pas : changer d'entraineur pour se sauver reste la pire des idées

Philippe Auclair

Mis à jour 19/03/2021 à 09:11 GMT+1

PREMIER LEAGUE - Le refrain est connu mais sonne pourtant faux : changer d'entraineur, comme Sheffield United l'a récemment fait, pour se sauver n'est pas une solution viable. Quelques exceptions confirment la règle, en Angleterre ou ailleurs, mais au final, la stabilité reste la meilleure des solutions possibles dans un monde où les miracles n'existent pas.

Sheffield United manager Chris Wilder

Crédit: Getty Images

C'est l'un des mythes les plus tenaces du football : ce que les Anglais appellent le new manager bounce, "le rebond du nouvel entraîneur".
A l'en croire, quand les choses vont mal, vraiment mal, licencier le manager qui était à la tête de l'équipe lorsqu'elle plongea est le meilleur moyen de lui donner une chance de refaire surface. Les exemples, après tout, ne manquent pas, en Premier League comme ailleurs. Roy Hodgson sauva Fulham de la relégation quand la cause semblait désespérée, en 2007-08. Plus près de nous, Ralph Hasenhüttl s'acquitta de la même mission lorsqu'il prit la relève de Mark Hughes à Southampton, onze saisons plus tard. Il n'y a parfois pas d'autre solution que de trancher dans le vif. Mais de là à s'imaginer que cette solution soit la seule, il y a un gouffre à franchir, un gouffre dans lequel tant de présidents et propriétaires de clubs continuent de tomber.
Le dernier en date de ces clubs est Sheffield United, qui s'est séparé de Chris Wilder ce 13 mars, alors que la relégation à venir ne faisait plus de doute pour personne. Les Blades, avec 14 points en en 28 matches, étaient en course pour finir la saison avec un total de 19 points, ce qui en ferait l'une des pires équipes de l'histoire de la PL sur le plan comptable, à égalité avec le Sunderland de 2002-03 (qui avala et recracha trois entraîneurs en une saison : Peter Reid, Howard Wilkinson et Mick McCarthy).
Jurgen Klopp et Chris Wilder
Si son propriétaire, prince Abdullah bin Musa'ad bin Abdulaziz Al Saud, (qu'on assure être sur le point d'ajouter Châteauroux à un portefeuille de clubs qui comprend déjà, outre Sheffield United, Beershot en Belgique, Kerala United en Inde et Al Hilal United aux EAU), espérait que le licenciement de Wilder serait le coup de fouet qui réveillerait ses troupes, c'est manqué. Les Blades se sont inclinées 0-5 à Leicester ce weekend. Le “rebond” attendra.
Il attendra aussi pour West Brom, qui continue de traîner sa misère en queue du peloton. Avec Slaven Bilić, l'orchestrateur de la promotion de 2020, les Baggies avaient recueilli sept points en treize matches. Avec Sam Allardyce, qui remplaça le Croate à la mi-décembre - le lendemain de la meilleure performance de WBA cette saison, d'ailleurs, un 1-1 plein de courage sur la pelouse de Manchester City -, la récolte fut de onze points en seize rencontres. A ce rythme-là, West Brom finira 2020-21 avec un solde de vingt-six points, qui lui garantirait une place dans le monte-charge vers le soi-disant enfer du Championship, et Allardyce ne pourra plus se vanter de ne jamais avoir été relégué.
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Le "rebond" est une chimère

Plusieurs études statistiques ont été consacrées à l'effet d'un changement d'entraîneur en pleine saison, qui ont toutes menées à la même conclusion: l'idée du “rebond” est une chimère. Les changements observés dans les performances des clubs qui ont changé de manager ne diffèrent pas de ceux qu'on constate dans les équipes qui restent fidèles au même technicien. Les statisticiens appellent ce phénomène un “retour (ou une régression) à la moyenne”. L'universitaire et économiste néerlandais Bas ter Weel a pu ainsi procéder à une étude sur dix-huit saisons d'Eredivisie qui montrait clairement que, sur la durée, les variations enregistrées dans le nombre de points recueillis par une équipe qui avait pris un nouveau manager en cours d'exercice étaient en fait quasiment identiques à celles qu'on remarque au cours de n'importe quelle saison.
Bien souvent, en regardant de beaucoup plus près, on se rendait compte que ces variations dépendaient d'abord du plus mystérieux de ces facteurs: la chance. Poteau sortant, poteau rentrant, carton jaune plutôt que rouge, faute dans la surface, faute en dehors, à cause d'un écart de quelques millimètres ou d'un coup de vent. Mais notre désir de rationaliser le chaos du football est si puissant que nous sous-estimons presque toujours ce “facteur chance”, pour une raison toute simple: nous ne le contrôlons pas. Il n'y a rien à “comprendre” ou “analyser”; et combien de journalistes ont dû revoir leur copie à la 5e minute du temps additionnel à cause d'un but concédé sur une bourde qui ne prouvait rien, sinon que le football lui aussi avait sa part d'aléatoire. Pourquoi, alors, est-ce si difficile à accepter ? Comment s'imaginer qu'il existe vraiment des recettes miraculeuses pour sauver une équipe qui sombre ?
 Rafael Benitez
Un exemple n'est pas une preuve, dans un sens comme dans l'autre, ce qui, en clair, signifie que changer d'entraîneur peut aboutir au résultat espéré… mais un résultat qui aurait pu être aussi obtenu si l'entraîneur en question était demeuré en fonction. Songez au redressement du Borussia Dortmund lors de la dernière saison de Jürgen Klopp à sa tête (2014-15): bon dernier de la Bundesliga à la fin de la 19e journée après une défaite contre Augsburg à domicile, le BvB finit septième au bout du compte. La tentation aurait été de penser que Klopp avait fait son temps, qu'il avait usé ses joueurs au point que seul un autre manager pourrait leur permettre de redresser la tête. Mais Dortmund ne paniqua pas. La chance tourna. L'équipe de Klopp remporta ses quatre matches suivants.
De la même façon, ces clubs pour qui la relégation, toute douloureuse qu'elle soit, n'est pas la fin de tout pour autant, et qui gardent leur confiance à un manager qu'ils savent être la victime des circonstances, ou d'un manque de moyens, s'en tirent presque toujours à leur avantage. Burnley conserva Sean Dyche malgré la descente des Clarets en Championship. La remontée fut immédiate. Newcastle fit tout pour conserver Rafa Benitez - ce qui se comprend. Là aussi, le retour dans l'élite fut assuré. Fulham, qui avait sans doute dit adieu à Slavisa Jokanovic trop tôt, soutint Scott Parker malgré la relégation des Cottagers. Fulham, promu par les barrages, a connu de grosses difficultés depuis, mais ses dirigeants n'ont pas paniqué, et en seront - je l'espère et le crois, comme beaucoup d'autres “neutres” - récompensés.
La leçon ? Peut-être que ceux qui privilégient le long terme tendent à mieux s'en sortir sur le court terme également; et que, pour un club, le changement brutal de personnel n'est pas en lui-même la garantie d'un changement de son destin.
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