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Liverpool champion d'Angleterre : Le plus étrange des titres, le plus juste aussi

Philippe Auclair

Mis à jour 26/06/2020 à 09:50 GMT+2

PREMIER LEAGUE - Liverpool n'a pas été sacré de manière "normale". Le titre est définitivement revenu aux Reds à Londres, au bout d'un choc entre Chelsea à Manchester City qui n'avait pas grand-chose de banal, lui non plus. Notre chroniqueur Philippe Auclair raconte cette soirée.

Un fan célèbre le titre de Liverpool devant Anfield, le 25 juin 2020

Crédit: Getty Images

Un ami fan de Chelsea m'a envoyé ce message après le penalty de Willian : "Ce sera une question posée dans les quiz plus tard : combien y avait-il de spectateurs au match qui donna le titre à Liverpool après trente ans d'attente ?"
La réponse est : trois cents, et j'étais de ceux-là, histoire d'ajouter, à titre tout personnel, un peu plus d'étrangeté à une saison qui, décidément, n'aura rien fait comme les autres. Est-ce ainsi qu'on sort d'un mauvais rêve, en se réfugiant dans un autre type d'irréalité ? Car tout, en cette soirée du 25 juin, était irréel, à commencer par la fournaise dans laquelle fut donné le coup d'envoi de ce Chelsea-Manchester City, pourtant programmé en soirée. Etait-ce Londres ou Guadalajara ?
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Olivier Giroud lors de Chelsea-Manchester City / Premier League

Crédit: Getty Images

Masque en poche, j'avais pris le chemin du stade, pris place dans un autobus vide que pas une seule personne ne héla de North End Road à Fulham Broadway, une première dans ce trajet que je fais depuis vingt-cinq ans. Sur les trottoirs, Londoniens et Londoniennes sont groupés autour des quelques pubs qui ont "ouvert" - c'est-à-dire qui distribuent leur lager dans des pintes en plastique qui finiront sans doute dans le caniveau. En fond sonore, les sirènes, constamment, voitures de police, ambulances, impossible à dire. C'est notre soundtrack depuis des mois maintenant, mais on ne s'y fera jamais. Un gus taillé comme un colosse, vêtu d'un collant de lycra transparent, pieds nus, fait les cent pas devant la station de Fulham Broadway.

Un choc, pas de bruit

D'ordinaire - le match commencera dans une heure et demie -, la rue serait bloquée à la circulation, la chaussée un ruban de supporters en bleu, les stands de burgers empesteraient l'atmosphère (mais comme on l'aime), et, comme toujours, Threesa et Brian, qui doivent bien avoir cent cinquante ans à eux deux, nous accueilleraient à la salle de presse.
Pas cette fois. C'est mon tout premier "huis clos". J'ai perdu mes repères, les raccourcis auxquels je ne pense même plus, et les deux-trois confrères que j'aperçois sur le parvis du Millennium Hotel semblent tout aussi perdus que moi. J'ai dû remplir une fiche de santé, qui est tamponnée après qu'on ait vérifié que ma température n'excédait pas 37.8. C'est bon. Une cohorte de stadiers, tous plus aimables et charmants les uns que les autres, nous mènent à nos places. Nouvelle surprise, celles-ci ne sont pas en tribune de presse, mais dans le East Stand, suffisamment près de la pelouse, fort heureusement, pour que nous puissions tout entendre de ce qui se dira sur le banc des remplaçants et capter un "puta madre !" tonitruant de César Azpilicueta en fin de rencontre.
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Cesar Azpilicueta au duel avec Kevin De Bruyne lors de Chelsea - Manchester City, le 25 juin 2020

Crédit: Getty Images

Chelsea a bien fait les choses. Une bouteille d'eau glacée nous attend aux sièges où nous nous sommes sagement assis à deux mètres de distance l'un et l'une de l'autre. Le wifi fonctionne. Tablettes de travail, prises, tout est en place. Ne manque qu'une chose, et ce n'est pas le public, ou plutôt, pas le public lui-même, mais son bruit. Les voix manquent bien plus que les corps. Je ne parle même pas des chants. Je parle du bourdon incessant qui émane d'une foule de 40 000 personnes.
Là, c'est une nappe de silence qu'on a posée sur le stade, déroutante, tout comme le spectacle d'équipes n'émergeant pas ensemble du tunnel des vestiaires. Le DJ du stade est pourtant là, qui trouve le moyen de balancer Oasis dans les enceintes - un comble, au vu de l'adversaire du soir - avant le classique enchaînement Clash (London Calling) - Blur (Parklife) - Harry J All Stars (The Liquidator) que les habitués du Bridge connaissent par coeur. Là, les refrains entendus mille fois ajoutent au silence. Comme un soundcheck, une "balance" comme on disait autrefois, dans un théâtre vide, qui donne une présence à l'absence.

Non, cette saison n'a rien d'inachevé

Nous savons tous pourquoi nous sommes là, et ce n'est pas parce que ce match est crucial pour Chelsea, qui talonne désormais Leicester pour la troisième place. C'est parce qu'une attente de trente années peut prendre fin ce soir. Le match s'anime néanmoins après un round d'observation qui avait paru interminable, et la seconde période offre probablement le meilleur spectacle, le plus intense aussi, qu'on ait vu en Premier League depuis la reprise. Kevin de Bruyne y est pour beaucoup.
Je suis à quarante mètres tout au plus de la cage de Kepa lorsque son coup franc trouve la lucarne. En des temps dits "normaux", (mais le redeviendront-ils ?), la Shed End, devant laquelle il vient de marquer, et dans laquelle se trouve habituellement la section des supporters des visiteurs, aurait explosé. Là, nous avons entendu le son - délicieux, c'est vrai - du ballon fouettant le filet, et rien d'autre, si ce n'est les "yes !" du banc de Guardiola. Nous sommes descendus d'un cran de plus dans l'irréalité.
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Kevin de Bruyne frappe un coup franc qui finira au fond des filets lors du match Chelsea - Manchester City, le 25 juin 2020

Crédit: Getty Images

Nous sommes les témoins de quelque chose qui, en fait, se passe ailleurs, à Liverpool, dans les coeurs et les têtes de ceux et celles qui supportent les Reds dans le monde entier, et dont pas un ou une seule ne sont avec nous ce soir. David Moyes est ici, par contre. Comment, pourquoi, c'est difficile à dire. David Moyes, M. Everton en personne. Dans la série des gags que nous sert le destin, celui-là sort tout droit du rayon "poil à gratter". C'est qu'il y a toujours une forme de logique dans le surréel. Le surréel, en fait, n'est qu'une forme de logique exagérée jusqu'à l'absurde, si l'on suit Alice dans sa chute jusqu'au fond du terrier.
Le sauvetage in extremis de Kyle Walker sur sa ligne était extraordinaire ; celui de Fernandinho plutôt cocasse, bien que dans la logique de cette saison si étrange. Il fallait bien aussi que la VAR intervienne d'une façon ou d'une autre dans le sacre de Liverpool, comme Hawkeye était intervenu pour donner un coup de pouce à City l'an dernier, sur un autre sauvetage sur la ligne, signé John Stones celui-là. Liverpool avait peut-être loupé le titre de onze millimètres ; pas cette fois-ci. Alors, que l'on ne parle pas de cette saison comme si elle avait un goût d'inachevé. Sa conclusion était dans la droite ligne de ce qui l'avait précédée. Le scénario ne fut jamais aussi étrange, mais son verdict n'en est pas moins juste ou moins beau pour cela.
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Liverpool, un champion record… et ce n’est pas fini

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