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Quand les "petits" font la loi en Premier League

Philippe Auclair

Mis à jour 14/05/2020 à 14:03 GMT+2

PREMIER LEAGUE - L'arrêt forcé du championnat outre-Manche pour motif de coronavirus a des conséquences inattendues. On ne pensait ainsi pas les mal classés Brighton, West Ham, Watford, Bournemouth, Aston Villa et Norwich capable d'entraîner les tout-puissants Arsenal, Chelsea et Tottenham dans leur refus du principe de terrain neutre.

Javier Hernandez buteur pour West Ham United contre Brighton & Hove Albion en Premier League le 17 août 2019

Crédit: Getty Images

Richard Scudamore, le Bismarck de la Premier League, qui quitta son poste de président exécutif de l'organisation en novembre 2018 après vingt ans passés à sa tête, avait coutume de dire que les principes qui la guidaient étaient "une forme de communisme". Le charismatique Scudamore, c'est vrai, ne détestait pas prendre son auditoire à contre-pied, ce qui ne veut pas dire qu'il usât de contre-vérités pour cela. La Premier League construisit bien son succès sur un mélange d'ultra-libéralisme et de collectivisme unique en son genre parmi les grandes ligues du football mondial, et dont les derniers développements du projet de reprise de la compétition - le fameux Project Restart, déjà évoqué ici - fournissent une illustration saisissante.
Après avoir insisté sur la nécessité de jouer les neuf journées de championnat restantes sur terrain neutre (et à huis-clos, cela va de soi), voilà que la Premier League, suite à une vidéo-conférence qui s'est tenue ce lundi, a fait savoir que, tout compte fait, il n'était pas impossible que ces matches se jouent finalement 'à domicile', les services de sécurité ayant assoupli leur position sur la question.
La raison de ce qui est bien un revirement est simple: les "petits" ont fait bloc ; et les petits ont finalement fait la loi. Ces "petits", ce sont les six clubs qui se trouvent aujourd'hui dans la zone rouge ou pourraient y replonger en l'espace de quelques mauvais résultats, c'est à dire Brighton, West Ham, Watford, Bournemouth, Aston Villa et Norwich, par ordre d'apparition au tableau actuel du classement. Pour ceux-là, avec ou sans public, recevoir, même sans le soutien de leurs fans, constituait bien un avantage qu'ils ne désiraient pas sacrifier au nom d'une reprise qui, pour eux, pouvait être synonyme de relégation.
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Callum Wilson (Bournemouth) célèbre son but contre Sheffield United en Premier League le 9 février 2020

Crédit: Getty Images

Arsenal, Chelsea et Tottenham changent d'avis

Dans d'autres ligues, leur avis n'aurait sans doute pas pesé bien lourd. Les caïds auraient imposé leur volonté. Il y a quelques jours seulement, cette volonté était encore d'achever la saison le plus vite possible, et sur terrains neutres. Liverpool se verrait attribuer un titre amplement mérité, dont personne ne remettrait la légitimité en cause. On pourrait aussi déterminer qui jouerait dans quelle compétition européenne en 2020-21 en respectant les desiderata de l'UEFA - laquelle a exigé que chaque ligue concernée lui communique son calendrier de reprise de la saison au moins deux jours avant la vidéo-réunion cruciale des cinquante-cinq associations-membres qui se tiendra ce 27 mai.
Mais voilà : les statuts de la Premier League font qu'elle ne peut prendre ce genre de décision - jouer sur terrain neutre - qu'à la majorité des deux tiers. La rébellion des six "petits" a fini par se trouver des alliés, parmi lesquels des clubs comme Arsenal, Chelsea et Tottenham, lesquels avaient pourtant accepté de jouer leurs matches "à domicile" restants hors de leurs murs dans un premier temps. Le ballon est désormais dans le camp des pouvoirs publics, de la police en particulier, laquelle avait exprimé son hostilité à la proposition... avant d'entrouvrir la porte à une solution négociée.
Qu'une "solution" soit trouvée en temps, au passage, n'est en rien garanti. Un nouveau sondage de l'institut YouGov a confirmé les résultats d'une enquête précédente d'Opinium ; une très large majorité de l'opinion publique (73%) demeure hostile à l'idée d'une reprise de la Premier League. Certains joueurs, dont Danny Rose, ont dit tout haut ce que beaucoup de leurs collègues pensent de moins en moins bas, à savoir qu'"on ne devrait même pas parler de football" alors que le bilan de la pandémie continue de s'alourdir à un rythme plus élevé que partout ailleurs en Europe : le nombre officiel de victimes du virus dépasse désormais officiellement les 40 000. Le maire de Londres, Sadiq Khan, lequel se trouve être un supporter des Reds, s'est dit opposé à un restart au mois de juin, rejoignant en cela l'avis des maires de Manchester et Liverpool. On a le droit de douter que le second coup d'envoi de la saison soit donné le 12 juin, comme la PL s'en est donné l'objectif.
Willian lors de Arsenal-Chelsea

FA vs PL

En attendant, on a eu une nouvelle démonstration des conséquences inattendues de la structuration de la Premier League, laquelle est en fait une Limited Company, à savoir une SARL par actions, dont le président (Gary Hoffman, qui prendra officiellement ses fonctions le 1er juin, mais est de facto déjà attelé à la tâche) et le directeur exécutif (Richard Masters) sont des employés ; des influenceurs, des guides, oui, mais pas des décideurs. Les vrais décideurs, ce sont les vingt actionnaires de la société, c'est-à-dire les vingt clubs qui prennent part au championnat, plus la FA, le vingt-et-unième actionnaire qui ne bénéficie pas d'un droit de vote ordinaire, mais dont l'autorité est suprême en ce qui concerne les statuts et règlements de la compétition elle-même.
Ceci n'est pas un détail. La FA, dont les relations avec la PL ont toujours été pour le moins tendues, a en effet fait savoir qu'elle bloquerait (comme elle en a le pouvoir statutaire) l'annulation pure et simple de la saison, ainsi qu'une non-relégation des trois clubs fermant la marche du classement, ce qui réduit évidemment considérablement la marge de manoeuvre de la Premier League.
Les créateurs de celle-ci ne s'imaginaient certainement pas qu'un jour viendrait où le modèle qu'elle avait conçu pour faire entrer l'élite du football anglais dans l'âge du libéralisme économique pourrait engendrer la situation actuelle, quand c'est justement la FA, qu'elle avait tout fait pour éloigner au maximum du processus décisionnel, et ses actionnaires les plus fragilisés qui feraient la loi. C'est pourtant bien le cas aujourd'hui.
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