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VAR et esprit des lois

Philippe Auclair

Mis à jour 23/08/2019 à 15:05 GMT+2

PREMIER LEAGUE - L'Angleterre fait cette saison connaissance avec le VAR. Non sans mal comme l'a montré le City-Tottenham du weekend dernier. Sur l'île, plus encore qu'ailleurs sans doute, tradition oblige, on débat du bien-fondé de son apparition et de l'esprit des lois du jeu.

The big screen shows the VAR decision of No Goal for Gabriel Jesus of Manchester City third goal during the Premier League

Crédit: Getty Images

Les sujets de débat ne manquaient après le haletant 2-2 entre Manchester City et Tottenham du week-end dernier, qu'il s'agisse du football parfois somptueux qu'avaient offert Kevin De Bruyne, Raheem Sterling et leurs coéquipiers, de la capacité qu'ont les Spurs de Pochettino de batailler pour des résultats improbables, ou encore du don qu'a Lucas Moura de surgir de sa boîte à surprise pile au moment où les Spurs ont le plus besoin de lui. Au lieu de quoi les consultants de Sky Sports nous régalèrent - ou pas - d'une nouvelle discussion, reprise ad nauseam sur les réseaux sociaux, sur le rôle qu'avait joué le VAR sur le sort du match, lorsque le "but" victorieux de Gabriel Jesus avait été annulé pour une faute de main d'Aymeric Laporte, laquelle avait échappé à tous les acteurs présents sur le terrain, l'excellent arbitre Michael Oliver compris.
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Lucas Moura of Tottenham Hotspur celebrates after he scores his sides second goal during the Premier League match between Manchester City and Tottenham Hotspur at Etihad Stadium on August 17, 2019 in Manchester, United Kingdom.

Crédit: Getty Images

Nous qui espérions que l'adoption de l'assistance vidéo par la Premier League (une décision prise en novembre 2018, à la queue des autres grands championnats européens) mettrait fin à la dissection d'incidents prêtant à controverse, nous en étions pour nos frais. En fait, chaque fois qu'elle est intervenue dans une rencontre de PL cette saison, elle a fourni aux "pundits" un matériau de choix dans leur analyse - et un excellent prétexte pour ne pas parler du jeu lui-même. Comme si le football, c'était d'abord des "incidents" sur lesquels tous sont libres d'avancer une opinion, qu'ils connaissent ses lois ou pas.
L'Angleterre, c'est vrai, a tendance à ne rien faire comme les autres. Nulle part ailleurs en Europe n'a-t-on montré davantage de résistance à l'adoption du système en place en Serie A et en Bundesliga depuis deux ans déjà; et encore, quand la Premier League finit par céder, ce fut à sa façon, en altérant, par exemple, les recommandations expresses de la FIFA sur la sanction de fautes de main dans la surface (les Anglais, et pas sans raison, ont choisi d'être moins stricts que les continentaux), ou en refusant tout net d'appliquer à la lettre la nouvelle règle qui veut que les gardiens doivent avoir au moins un pied sur leur ligne de but quand ils font face à un penalty. Mais la résistance de la PL va au-delà de ces points de règlement, ou de l'interprétation de ce qui constitue une main ou pas: le scepticisme règne toujours en Angleterre, pour des raisons qui peuvent paraître paradoxales.

Une marge d'erreur de 38 centimètres...

Pour un Ian Holloway, par exemple, il s'agit d'une prise de position politique, de la réticence viscérale qu'ont beaucoup de Britanniques vis-à-vis de ce qu'ils perçoivent comme une atteinte à leur indépendance et à leur souveraineté. Invité mardi soir à une discussion sur le plateau de Sky Sports, l'ancien entraîneur de Blackpool et de QPR alla même jusqu'à associer dans la même invective les législateurs de l'IFAB - ce qui, pour lui, revenait à dire "la FIFA" - et ceux de l'Union Européenne, se servant d'un langage malhabile qui pouvait faire croire que, une fois le Brexit consommé, le football anglais serait à nouveau libre de définir ses propres lois sans interférences extérieures.
Il tenta de clarifier son propos ensuite, mais semble toujours ignorer que les lois de football, pour être modifiées, doivent avoir l'assentiment d'au moins six des huit membres de l'IFAB: la FIFA est donc incapable de forcer la main des gardiens des lois du football sans l'accord d'au moins deux des quatre représentants des Home Nations, Ecosse, Irlande du Nord, Pays de Galles et Angleterre. Et en fait, tous les quatre se prononcèrent en faveur de l'adoption du nouveau texte sur les fautes de main, comme tous les quatre avaient entériné l'adoption du VAR dans les compétitions internationales. Oups.
Mais Holloway ne représente qu'un pan de l'opinion "anti-VARiste" outre-Manche. Il n'est pas négligeable pour ce qui est du nombre de ceux et celles qui, instinctivement, partagent son discours; mais son impact ne peut être qu'insulaire, à la différence des questions soulevées dès la seconde journée de championnat par James Sharpe et Adim Shafiq du Mail on Sunday sur la fiabilité du système en place. L'exemple dont les deux journalistes se servaient était celui du "but" refusé à Gabriel Jesus, décidément bien malheureux, lors du 5-0 de Man City à West Ham, le passeur décisif Raheem Sterling ayant été jugé en position de hors-jeu lorsqu'il reçut le ballon ensuite transmis à l'attaquant brésilien. De 24 millimètres. Alors que la marge d'erreur de la technologie utilisée pour délivrer un verdict serait de quelques 38 centimètres. La vidéo haute définition défile en effet au rythme de cinquante images par seconde, deux fois plus vite qu'un film analogique, certes, mais de manière suffisamment discontinue pour qu'on puisse avoir des doutes sur le moment précis où le ballon fut frappé.
En d'autres termes, il était impossible de déterminer absolument si Sterling était au delà du second dernier défenseur des Hammers ou pas lorsqu'il le reçut. Et là est bien le problème pour l'ancien international anglais Danny Murphy, chroniqueur du Mail on Sunday et intervenant régulier sur Match of the Day, l'émission-référence de la BBC. En faisant du relatif un absolu, selon Murphy, on dénature l'esprit des lois du football, qui voudraient qu'en cas de doute, on ne punisse pas le "buteur" comme ce fut le cas pour Jesus. L'ancien milieu de Liverpool souhaiterait même qu'on fasse machine arrière et qu'on remise le VAR au placard sur ce type de décisions en attendant que les outils technologiques puissent délivrer des verdicts qui ne souffrent aucune discussion.
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Gabriel Jesus

Crédit: Getty Images

Cette Angleterre a le mérite de refuser le soi-disant inéluctable

L'argument se défend aisément : on voulait remédier à des injustices, fort bien. Mais si cela signifie en commettre d'autres, à quoi bon ? Mais s'il se défend, cela ne veut pas dire que l'attaquer est impossible, comme l'ont fait plusieurs représentants du corps arbitral, qui soulignent que nous sommes encore dans une phase de transition, laquelle pourrait bien durer plusieurs saisons. Et faire machine arrière dans ce domaine n'est pas aussi simple que lorsque la FIFA décida de consigner buts en argent et buts en or aux oubliettes. Le progrès technologique n'est en effet pas un processus mécanique, mais organique; dès qu'il est en place, d'une certaine façon, il est déjà trop tard pour le stopper, au risque de tout stopper avec lui.
Cela n'implique pas qu'il soit impensable de contrôler ce processus et de nuancer ses effets immédiats, et c'est là où l'Angleterre, qui n'a jamais été à un paradoxe près, pourrait montrer le chemin de l'avenir alors qu'elle semblerait à première vue monter son bivouac dans le camp de la réaction, à la manière des "Luddites", ces ouvriers des manufactures de la révolution industrielle qui brisèrent les machines ennemies, pour eux et elles synonymes de chômage. Cette Angleterre a au moins le mérite de questionner, de refuser le soi-disant inéluctable, et au nom de quoi ? De l'esprit des lois du football qui, quand on y réfléchit un instant, ont si peu évolué depuis 1863, et qui n'ont pas "fait leur temps" pour autant.
Ce questionnement est sain, tout comme l'est la décision de la Premier League de convier consultants et journalistes de football (de radio, de presse écrite et de télévision) à des ateliers de travail sur le VAR - le dernier s'est tenu ce mercredi, dirigé par deux anciens arbitres, Neil Swarbrick et Mike Riley - pendant lesquels ils peuvent se familiariser avec le fonctionnement du système et comprendre ainsi pourquoi, par exemple, lors de ce Man City-Spurs, Michael Oliver ne siffla pas penalty pour une "faute" d'Erik Lamela sur Rodri dans la surface et finit par invalider le "but" de Gabriel Jesus. Les décisions faisaient débat ? Eh bien, organisons-le pour de bon, ce débat, mais en toute connaissance de cause: scepticisme et refus ne sont pas synonymes. Choisir d'attendre ne veut pas nécessairement dire être en retard. D'autres ligues feraient peut-être bien d'adopter une pareille démarche.
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