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Ralf Rangnick à Manchester United : un intérimaire, vraiment ?

Philippe Auclair

Mis à jour 01/12/2021 à 09:41 GMT+1

PREMIER LEAGUE - Ralf Rangnick est-il la solution ultime aux maux profonds de Manchester United ? C'est en tout cas le pari qui a été fait par les Red Devils. L'Allemand arrive pour un intérim de six mois sur le banc, avant de prendre de la hauteur dans le club anglais. Mais Rangnick peut-il se cantonner à ce rôle d'intérimaire ? Et a-t-il les clés pour réveiller MU ?

Ralf Rangnick

Crédit: Getty Images

Ralf Rangnick a donc accepté de prendre la direction de Manchester United jusqu'à la fin de la saison, après quoi - assure-t-il - il se retirera de la zone technique pour contribuer pendant deux années de plus au développement du club en qualité de super-consultant, une fonction qu'il occupait jusqu'à présent au Lokomotiv Moscou, et pour laquelle il était payé 5 millions nets par an. Quand il leur a fallu trouver un successeur à Ole Gunnar Solskjaer, les frères Glazer n'ont donc pas choisi une solution au rabais. Mais ce qu'ils ont choisi, est-ce un homme - ou est-ce une stratégie ?
La question a quelque chose de paradoxal, d'ailleurs, car choisir Ralf Rangnick, comme le sait quiconque aura suivi, même de loin, la carrière du technicien de 63 ans, c'est forcément choisir une stratégie.
Or, si c'est bien d'une stratégie à long terme que United a besoin, est-ce ce dont United et ses propriétaires ont vraiment envie ? Leurs choix précédents suggèrent autrement. Ou, en choisissant Rangnick, n'ont-ils cherché qu'à parer au plus pressé en faisant appel à un manager dont ils savent qu'il sera accueilli avec les égards dûs à son rang de presque-gourou par fans et médias, lui dont le nom suffit à faire se mettre au garde-à-vous Klopp, Tuchel, Nagelsmann et beaucoup d'autres ? Après tout, apaiser la multitude faisait partie des raisons pour lesquelles Ed Woodward était allé chercher la "légende" Solskjaer à Molde. Rangnick lui aussi est une "légende"; d'un autre type, certes, mais une "légende", malgré tout.
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Rangnick est le nouveau manager par intérim de Manchester

Crédit: Getty Images

Il n'était pourtant pas le premier nom qui figurât sur la liste des prétendants dressée par Manchester United, qui aurait préféré nommer un manager permanent, pas un intérimaire, fut-il de luxe. Zinédine Zidane fut le premier entraîneur approché par le club mancunien; et lorsqu'il déclina l'offre - après une longue réflexion -, c'est vers Mauricio Pochettino que MU se tourna. Nouvel échec, cette fois-ci occasionné par la réticence du PSG à se séparer de l'Argentin en pleine saison. Ernesto Valverde, pressenti pour faire une pige d'un semestre, insista pour qu'on la prolongeât au-delà. MU refusa la requête du double vainqueur de la Liga. Rudi Garcia lui aussi fut contacté par le club mancunien.

Huit jours pour tout révolutionner ?

Ce n'est qu'ensuite, alors que Solskjaer avait déjà quitté son bureau du centre d'entraînement de Carrington, que Rangnick reçut la proposition de United. John Murtough, directeur sportif de MU depuis mars dernier, lui parla pour la première fois (*) le dimanche 21 novembre. Deux jours plus tard, Rangnick rencontrait Murtough, Woodward et quelques autres des dirigeants de United au bureau londonien du club. Un accord de principe était trouvé le jeudi; après quoi il ne restait plus qu'à en affiner les détails, ce qui fut fait ce lundi.
Est-ce vraiment ainsi, en huit jours chrono, qu'on se prépare à révolutionner le modus operandi de l'un des plus grands clubs du monde ?
Car les dirigeants de MU ne doivent avoir aucun doute sur les conséquences de leur choix : Rangnick n'a pas pour habitude d'être un sous-fifre, un simple exécutant des désidérata de ses dirigeants. Lorsque Chelsea l'avait contacté pour succéder à Frank Lampard, avant d'opter pour Thomas Tuchel quand celui-ci fut licencié par le PSG, l'Allemand avait mis un terme aux discussions aussitôt qu'il était devenu apparent qu'il ne pouvait mieux espérer qu'un intérim; et lorsque, un an plus tôt, le journaliste anglais Ben Lyttleton lui avait demandé s'il serait intéressé par le poste de directeur sportif à Old Trafford, le “magicien” qui avait transformé, on peut même dire: inventé de toutes pièces 1899 Hoffenheim et le RB Leipzig et, faisant cela, radicalement changé le jeu pratiqué en Bundesliga, avait répondu en ces termes: "Je suis heureux où je suis, mais si quelque club que ce soit veut me parler, la question doit être : 'me permettra-t-on d'être une personne qui puisse avoir de l'influence sur toutes les zones de développement, dans le club tout entier ?’ Autrement, vous n'obtiendrez de moi que la moitié de ce dont je suis capable".
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Ralf Rangnick

Crédit: Getty Images

Or ce dont il est capable est encore à découvrir dans un contexte comme celui de Manchester United. Rangnick est passé par dix clubs, mais aucun de ceux-là ne pouvait être comparé au géant anglais en termes d'histoire, de ressources ou d'ambition. Les seuls titres qui figurent à son palmarès sont ceux de champion d'Allemagne de D3 (avec Ulm 1846, en 1998) et de D2 (avec Hannovre 96, en 2002), ainsi qu'une Coupe d'Allemagne remportée lors de son second (et très bref) passage à Schalke 04 en 2011. Son talent, certains disent même son génie, est ailleurs : il est d'abord un incomparable bâtisseur.
Mais c'est une chose que bâtir un Hoffenheim, un RB Leipzig, un RB Salzbourg, et c'en est une autre de reconstruire Manchester United. Avec les premiers, il était parti de presque rien, à tout le moins en termes de structure (car on ne doit pas oublier les moyens financiers conséquents dont disposaient ses propriétaires, les milliardaires Dietmar Hopp et Dietrich Mateschitz); il avait été l'architecte, mais aussi le maître d'oeuvre de la métamorphose de ces clubs qui, d'une certaine façon, n'avaient rien à perdre, parce qu'ils n'avaient jamais rien gagné.
A Manchester United, il hérite d'un effectif hétéroclite, dont beaucoup des éléments ne semblent pas taillés sur mesure pour pratiquer le football à haute tension qu'il affectionne, avec ce que cela exige de concentration et d'implication sur le terrain d'entraînement. Avec Solskjaer, Manchester United avait de temps à autre ce qui pouvait ressembler à un style, si rudimentaire soit-il, basé sur la rapidité de ses contres et les qualités de ses individualités; mais de véritable fond de jeu, point. Ce sera toujours ça de moins que Rangnick aura à faire désapprendre à ses charges.

Le temps en juge de paix

Il est difficile de prédire à quoi ressemblera United à la fin de son intérim. Les perspectives sont fascinantes au vu de la richesse du squad qui va le découvrir cette semaine - et un brin inquiétantes pour la concurrence. "Malheureusement, c'est comme ça, un bon coach débarque en Angleterre, à Manchester United", lâcha un Jürgen Klopp très pince-sans rire lors de sa dernière conférence de presse. "United sera organisé sur la pelouse, ce qui, évidemment, n'est pas une bonne nouvelle pour les autres équipes !"
Cela dit, le manager de Liverpool ne s'arrêta pas à ces deux phrases, les seules que reprirent tous les médias anglais. "Tous les coachs du monde ont besoin de temps pour entraîner leurs équipes", ajouta-t-il, "et Ralf va vite se rendre compte qu'il ne l'aura pas, parce qu'on joue tout le temps [en Angleterre], et ça rendra les choses un peu compliquées pour lui". Or nul n'est mieux placé pour dire cela que Klopp, dont la première saison à Liverpool fut loin d'être un triomphe, précisément pour cette raison qu'il n'avait pas eu le temps de façonner l'équipe que lui avait léguée Brendan Rodgers comme il l'entendait.
Si les Reds atteignirent les finales de la Coupe de la League et de l'Europa League (les perdant toutes les deux), ils finirent huitièmes de la Premier League, soit deux places plus bas que la saison précédente. Les dirigeants de Liverpool avaient fait un choix à long terme, et grand bien leur fit de s'y tenir. Ceux de Manchester United ? Si telle était leur intention, pourquoi ne s'étaient-ils pas tournés plus tôt vers Rangnick ? Et pourquoi ne lui proposer qu'un intérim, quand ils ont affaire à un technicien qui a toujours travaillé sur la durée ? Serait-ce que Rangnick lui-même, qui dut mettre fin à son deuxième mandat à Schalke après huit mois parce qu'il souffrait d'un burnout, n'entend pas se tester plus longtemps dans un club où la pression sera tellement plus forte qu'à la Veltins-Arena ?
Le paradoxe est là. Un grand club qui cherche le nord depuis qu'Alex Ferguson a emporté la boussole avec lui a fini par choisir, un peu par défaut, un homme qui sait exactement où il entend aller, mais qui n'a que six mois pour trouver le moyen de se faire accompagner. C'est bien peu.
(*) Les deux hommes s'étaient déjà rencontrés à l'automne 2019, lorsque Murtough, alors directeur du développement du football de MU, était venu étudier le modèle du Red Bull Leipzig et s'était longuement entretenu avec Rangnick à cette occasion.
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