Premier League - Manchester City : En football, on pardonnera tout, sauf la perfection

PREMIER LEAGUE - Dans l'ombre de ses résultats impressionnants et de son monstre Erling Haaland, quelque chose manque au club de Manchester City : l'amour. La faute à un modèle de "nouveau riche" et d'un actionnaire, Abu Dhabi United Group, trop proche du pouvoir aux Emirats Arabes Unis. Mais aussi à cause de Pep Guardiola, dont le jeu "parfait" lui enlève la sympathie des amoureux du football.

"S'il continue comme ça, Haaland terminera à 76 buts… en championnat !"

Video credit: Eurosport

On dit que les artisans musulmans prennent soin d'inclure une erreur dans le tissage des tapis de prière, la perfection n'étant le fait que du Créateur et de personne d'autre. Mais peut-être est-il une autre raison pour leur choix : les visages aux traits les plus beaux ne respectent pas les règles de la symétrie. Un ciel éternellement bleu est moins envoûtant qu'un ciel où l'on peut suivre la course des nuages. Qui dit perfection dans l'acte dit répétition, et qu'est-il de plus ennuyeux qu'une répétition as infinitum? Au bout du compte, il y a un pas qu'aucun géant ne franchira jamais, celui de l'admiration à l'amour.
Si les supporters de Manchester City sont parmi les plus chatouilleux qui soient, et ils le sont, confusément, ils savent que pour ce qui est de leur club, ce pas ne sera franchi par personne d'autre qu'eux. Et ce quelles que soient les louanges - légitimes - qui pleuvront sur leur équipe chaque fois qu'elle offrira le genre de spectacle qu'elle nous a proposé en première mi-temps du démantèlement de Manchester United, ce dimanche.

City souffre de la comparaison avec Liverpool

Même dans les commentaires les plus élogieux, on devine toujours une part de réticence, et ces fans des Cityzens en sont douloureusement conscients. Ils se souviennent aussi que cette réticence était absente lorsque c'était Liverpool qui avait été sacré en Angleterre, comme en Europe. On s'était alors enflammé pour Firmino, Mané et Salah comme on ne s'enflamme pas pour Grealish, Haaland et Foden, quels que soient les superlatifs dont débordaient les compte-rendus du derby de Manchester, ou le 10 sur 10 que L'Équipe accorda à leur numéro 9.
Le choix des adjectifs accolés à celui-ci était significatif. 'Monstrueux', 'extraterrestre', 'surhumain'. Ce ne sont pas des mots d'amour que ceux-là. Ce ne sont pas ceux dont on s'était servi pour Mo Salah - ou pour le Karim Benzema de la saison passée, ou pour Dennis Bergkamp, Roberto Baggio et Diego Maradona. Lorsqu'on avait pu s'en servir pour Ronaldo Fenomeno, c'était autrement. Il entrait une note d'affection dans ces qualificatifs. On savait le Brésilien fragile - le souvenir de la finale de la Coupe du monde de 1998 suffisait à nous le rappeler. On devinait sa générosité. On sentait que ce “monstre” était demeuré un enfant. Le sourire, peut-être, la coupe de cheveux, absurde et si peu narcissique, la joie de jouer, en toute liberté. Ce monstre-là ne faisait pas vraiment peur. Haaland, oui.
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Erling Braut Haaland et Pep Guardiola

Crédit: Getty Images

On se tromperait si l'on attribuait cette réticence au seul 'modèle' Man City, transformé en l'espace de quelques saisons, et de beaucoup plus de millions, d'objet de dérision affectueuse en vainqueur en série par le plus gros investissement net jamais consenti par un propriétaire. En l'occurrence, Cheikh Mansour ben Zayed Al Nahyan et son Abu Dhabi United Group, cette feuille de vigne qui cache plutôt mal l'implication des Emirats Arabes Unis, dont Cheikh Mansour est l'actuel vice-premier ministre et ministre des affaires présidentielles, le président étant son frère Mohamed ben Zayed Al Nahyan.

Un actionnaire qui fait tâche

Là encore, ces supporters le savent - comme le fait désormais une frange importante de la Toon Army, désormais inféodée à l'Arabie Saoudite et au prince Mohammed ben Salmane - qui se lèvent en masse sur les réseaux sociaux dès qu'un journaliste a le toupet de rappeler d'où vient l'argent qui leur a permis d'aller si haut, et si vite. Gagner ne leur suffit pas. Il faudrait de plus qu'on les aime. Et comme on ne les aime pas, qu'on se contente, au mieux, de les admirer, cela les rend furieux. Au plus profond d'eux-mêmes, ils ont conscience de ce que vaut leur modèle : très cher, et rien. Ils savent que le titre de Leicester City de 2016 pèsera toujours davantage dans la balance des coeurs que les quatorze trophées ajoutés au palmarès de Cityzens depuis que les EAU, pardon, Cheikh Mansour, acquiert le club en 2008, plus tous ceux qu'ils gagneront ensuite.
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La parade de Manchester City

Crédit: Getty Images

Ce modèle, tant par les libertés qu'il prend avec les principes de l'équité sportive que par l'identité du propriétaire en question, l'un des hommes-clé d'un gouvernement qui présente toutes les caractéristiques d'une dictature (*), n'a rien de séduisant en soi. Mais quelles que soient les réserves d'ordre moral ou politique qu'on puisse et doive émettre sur le modus operandi de Manchester City, celles-ci n'expliquent pas à elles seules la froideur avec laquelle on accueille les chefs-d'œuvre que nous proposent Guardiola et les siens semaine après semaine.
Il est vrai que cette froideur accompagnait déjà Guardiola quand il dirigeait Barcelone ("Une équipe de handball", souvenez-vous) et le Bayern ("Il ne comprend rien au football allemand, son Bayern est chiant à mourir"). L'intéressé n'a jamais rien fait pour corriger cette perception. Consumé qu'il est par son projet, il a beaucoup de mal à cacher son impatience, son irritation et même son mépris vis-à-vis de ceux qui le questionnent. Et pourquoi pas ? Oui, Guardiola n'est pas simpatico. Il n'a pas le charisme de Klopp, le charme de Pochettino, la passion désarmante d'Arteta. Mais il a au moins le mérite de ne pas courtiser ses critiques, à la différence de certains de ses collègues. Là encore, il faut aller au-delà. Et viser la perfection, comme Pep la vise lui-même.

Pep Guardiola, trop parfait ?

Le jeu guardiolien n'a, au fond, rien de romantique. Ce n'est pas celui de Zeman ou de Bielsa, qui peut toucher à la déraison. Ce n'est pas le jeu wengérien qui, dans sa forme la plus aboutie, est une forme de jazz à la Charlie Mingus, où un thème choisi d'avance est confié à un groupe d'improvisateurs hors-pair. Ce n'est pas le heavy metal de Klopp, avec tout ce que cela suppose de prise de risques. Les risques, Guardiola n'en prend qu'en apparence, ou tant qu'ils sont partie intégrante d'une évolution dont le but est de les éliminer. Ederson prend-il des risques dans ses sorties et ses relances ? Oui et non. Il les aura répétées mille fois. Balle au pied, il vaut bien des joueurs de champ. Il suffit de consulter les statistiques : combien de buts Man City aura-t-il concédés sur un coup de sang de son gardien?
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Pep Guardiola

Crédit: Getty Images

Réponse : aucun. Car aucune de ces sorties n'était un coup de sang. Guardiola n'est pas un joueur de dés. Guardiola veut se débarrasser du hasard, et, par moments, nous ferait presque croire qu'il va y parvenir. Or, se débarrasser du hasard, c'est dire adieu au chaos. Et le football n'est pas fait pour être contemplé, mais vécu. Plus Manchester City se rapprochera de la perfection, moins on le lui pardonnera.
(*) : Extrait de la notice consacrée aux EAU par Human Rights Watch.
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