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Premier League : Seul maître à bord à Tottenham, Daniel Levy est renié par les siens

Philippe Auclair

Mis à jour 03/08/2023 à 22:20 GMT+2

Dans sa chronique pour Eurosport.fr, Philippe Auclair évoque le cas de Daniel Levy, président et propriétaire du club de Tottenham depuis de nombreuses années. Si sa gestion du club a, un temps, été salué de tous les observateurs, le président des Spurs semble aujourd'hui plus éloigné que jamais des attentes des supporters. Au point d'être vivement critiqué et renié par les siens.

Daniel Levy

Crédit: Eurosport

Il n'y a pas si longtemps qu'on parlait de Tottenham Hotspur comme d'un modèle de gestion raisonnée et de vertu dans la foire à tout et au reste de la Premier League, et de son président Daniel Levy comme de l'un des tout meilleurs dirigeants du football européen. Le club dont il assumait la présidence depuis 2001 tenait son rang sur le terrain sans mettre en danger son équilibre financier ou céder à la tentation de l'endettement.
Ses supporters étaient certes frustrés, et l'étaient d'autant plus que les voisins d'Arsenal, eux, avaient eu bien mieux qu'une Coupe de la League - le seul trophée de l'ère Levy, en 2008 - à se mettre sous la dent depuis. Mais personne ne pouvait nier que, bon an mal an, Tottenham demeurait un challenger pour le Top 4, sans avoir pu se reposer sur les milliards d'un oligarque russe, comme Chelsea, d'un prince émirati, comme Manchester City, ou d'investisseurs américains comme Arsenal et Liverpool.
Je me demande s'il n'est pas la figure la plus haïe de l'histoire du club.
Tottenham avait aussi emménagé dans un stade magnifique, à une transversale d'Harry Kane de l'emplacement de l'ancien. Tottenham avait participé quatre saisons de rang à la Ligue des Champions, entre 2016 et 2020, atteignant la finale en 2019. Daniel Levy pouvait être fier du travail accompli, avec et sans Mauricio Pochettino. Mais le Tottenham dont il est question dans tout ce qui précède, c'est celui qu'on percevait de l'extérieur, dans lequel très peu de ses fans reconnaîtraient leur club aujourd'hui.
Appellons-le Michael. Michael est un de ces fans. Il est suffisamment âgé pour se souvenir des années de gloire, de Gascoigne, Sheringham, Hoddle et Lineker, de Klinsmann et Ginola, d'Ardiles et de Ricky Villa. Il est né dans le nord de Londres, dans une famille juive dont les ancêtres avaient fuit la Russie des pogroms. Il est Tottenham. Et voilà ce qu'il dit, verbatim, quand on lui parle de Daniel Levy.
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Daniel Levy, Tottenham chairman

Crédit: Getty Images

"Sa gestion a été catastrophique. Epouvantable. Ridicule pour ce qui est des transferts. Ses choix d'entraîneur, pareil. Zéro connection avec les fans, zéro connection avec l'histoire du club. Regarde l'Emirates, regarde les statues là-bas. Chez nous, rien, si ce n'est la vieille horloge de White Hart Lane montée sur un réverbère sur le site présumé de la fondation du club. Je me demande s'il n'est pas la figure la plus haïe de l'histoire du club".
Michael se reprend. "Après Sol Campbell, bien sûr."
Il est bien question du même Daniel Levy, qui avait assisté à son premier match des Spurs dans les années 1960, alors qu'il n'avait que sept ou huit ans. Du Daniel Levy qui avait déjà essayé d'acheter 'son' club en 1998, sans succès, avant de s'associer au millardaire Joe Lewis au sein du groupe ENIC pour en prendre le contrôle trois ans plus tard. Du Daniel Levy qui (dit-on) avait exigé des architectes du nouveau stade des Spurs qu'ils revoient leurs plans initiaux afin d'assurer que l'arène puisse accueillir davantage de spectateurs que celle d'Arsenal. Comment est-il seulement possible qu'on parle de lui de la sorte?

Tottenham, simple tremplin ?

Ce n'est pas que le départ forcé de Mauricio Pochettino qui soit resté en travers de la gorge des supporters. Ce n'est pas que la façon dont Tottenham avait embrassé le projet de Super League en 2021. Ce n'est pas non plus que les choix de Christian Gross, Juande Ramos, Jacques Santini, José Mourinho, Nuno Espirito Santo et quelques autres - Antonio Conte! - pour occuper le poste d'entraîneur d'une équipe qui fut longtemps synonyme du beautiful game en Angleterre, mais ne l'est plus aujourd'hui. Ce ne sont pas que ces incertitudes répétées d'été en été et d'hiver en hiver quant au sort de Harry Kane, dont tout le monde sait, lui le premier, que ce n'est pas à Tottenham qu'il écrira la première ligne de son palmarès. Au Bayern, par contre...
Et sans Kane, meilleur buteur du club neuf saisons de rang, qu'est-ce que Tottenham, sinon un tremplin, comme il le fut pour Luka Modric, Gareth Bale et Dimitar Berbatov ?
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Daniel Levy et Mauricio Pochettino, ancien coach de Tottenham.

Crédit: Getty Images

La gestion de Daniel Levy ne peut plus lui servir de rempart. Tottenham, qui avait établi un nouveau record du monde des bénéfices pour un club de football sur une saison (132 millions d'euros, en 2017-18, après impôts de surcroît), a perdu plus de 250 millions depuis 2020, et affiche un déficit de presque 400 millions net sur le marché des transferts pour la même période.
Le modèle de vertu n'en est plus un. Tottenham est à vendre, mais les acheteurs potentiels s'en sont éloignés. Les Saoudiens ont préféré Newcastle aux Spurs. Todd Boehly, qui avait approché Levy en 2019, s'est allié au fond Clearlake pour acquérir Chelsea. L'Irano-Américain Nahm Najafi et son fond d'investissement MSP Sports Capital se sont eux aussi retirés de la course. ENIC, dont Levy contrôle près d'un tiers des parts, cherche toujours repreneur.

Levy seul maître à bord

Là est le noeud du problème : Levy n'est pas que le président du club. Il en est aussi l'un des propriétaires et n'a de comptes à rendre qu'à lui-même. Celui qu'on pensait être l'actionnaire majoritaire du club, Joe Lewis, un exilé fiscal de 86 ans, lui avait laissé carte blanche depuis longtemps, depuis toujours. Lewis a d'ailleurs d'autres sujets de préoccupation en ce moment. Fin juillet, les autorités américaines l'ont inculpé de multiples délits d'initié - seize au total. S'il était reconnu coupable, le spéculateur anglais domicilié aux Bahamas, arrêté par le FBI, puis libéré sous une caution de 300 millions de dollars, finirait sa vie derrière les barreaux.
Personne, d'ailleurs, n'est plus trop sûr de l'implication de Lewis dans Tottenham. En octobre 2022, un jeu d'écritures a transféré la propriété de ses actions du club à un trust dont des membres de sa famille pourraient être les bénéficiares. Lesquels, on l'ignore. Voilà la toile de fond devant laquelle se joue le 'partira, partira pas' dont Harry Kane est le protagoniste.
Levy, qui n'est en rien mêlé à l'affaire, se retrouve dans une situation familière : seul maître à bord. Mais cette fois, c'est pour de bon. Le directeur sportif sur lequel il entendait se reposer, Fabio Paratici, a été frappé d'une suspension de trente mois pour son rôle dans le scandale de la falsification des comptes de la Juventus et a démissionné de son poste en avril dernier, quelques jours après qu'Antonio Conte avait été démis de ses fonctions de manager. Il n'existe pas ou plus de contre-pouvoir à Tottenham, Levy s'étant entouré de collaborateurs trop prudents pour ne pas obéir à la voix de leur maître.

Le dossier Kane sur toutes les lèvres

Cette situation est unique dans le football européen. Le président et de facto directeur sportif de Tottenham en est aussi le propriétaire, à tout le moins en partie. David Dein avait tenu un rôle similaire à Arsenal pendant un temps; mais Dein avait Wenger à ses côtés, et un board qui n'hésita pas à se séparer brutalement de lui quand il lui parut trop encombrant. Dein était aussi l'un des hommes les mieux connectés du football mondial, ce que Levy n'est pas, quoi qu'il en pense lui-même.
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Harry Kane

Crédit: Getty Images

"Dieu seul sait ce qu'il se passerait si Kane partait", dit Michael. Et Dieu seul sait ce qu'il se passera s'il reste. Le nouvel entraîneur des Spurs, Ange Postecoglou, qui n'était pas le plus mauvais des choix, s'est plaint de l'incertitude qui entoure le sort de son capitaine. "Il ne faut pas que ça traîne, dit-il. Je ne crois pas que ce soit bon pour Harry ou pour le club". Deux semaines se sont écoulées depuis. Daniel Levy campe sur ses positions dans les discussions qui ont eu lieu avec le Bayern, et ça traîne, comme le craignait le manager australien. La seule certitude est que, quelle que soit la destination du Soulier d'or du Mondial de 2018, Daniel Levy, lui, sera toujours là, même renié par les siens.
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