Chelsea et le spectre du scénario catastrophe

Où va Chelsea ? Difficile d'y répondre, lorsque l'on suit les résultats des Blues depuis que Todd Boehly en est à la tête, ainsi que les recrutements massifs effectués lors des dernières fenêtres de transferts. Mais ce qui est encore plus inquiétant pour les supporters du club londonien, c'est l'horizon d'un scénario catastrophe dessiné par un combat de coqs entre Boehly et ses co-investisseurs...

Todd Boehly, co-propriétaire de Chelsea, ici le 11 mars 2024

Crédit: Getty Images

Comme si Chelsea avait besoin de cela, en sus de ses problèmes de sureffectif (et de gestion des égos qui va avec), de ses résultats en dents de scie (le déplacement de ce week-end à Bournemouth, toujours invaincu, ne sera pas une partie de plaisir) et des acrobaties auxquelles ses comptables sont contraints de se soumettre pour équilibrer le bilan du club. Mais non. Voilà que ses propriétaires ont choisi de livrer un nouveau propre combat - dont les protagonistes sont eux-mêmes, cette fois.
Ceci ne constitue pas une surprise en soi. L'alliance entre Todd Boehly, président des Blues, et ses co-investisseurs, au premier rang desquels figure le fonds d'investissement Clearlake, actionnaire majoritaire mais pas décideur ultime, n'a jamais reposé que sur des intérêts communs - et une conviction partagée que ce dont Chelsea avait avant tout besoin était de transformer son modus operandi. Selon Boehly et son principal associé Behdad Eghbali, le co-fondateur de Clearlake, le temps était venu d'accepter un nouveau modèle de fonctionnement, basé sur les méthodes qui ont fait leurs preuves dans le sport US.
Ce type de discours n'est pas nouveau. C'est en fait celui qu'on entend de la plupart des investisseurs d'Outre-Atlantique qui ont fondu sur le football de l'Ancien Monde depuis une dizaine d'années. Selon eux, le soccer, et surtout le soccer anglais demeure sous-évalué et sous-exploité au regard de ce qui serait possible s'il adoptait des méthodes de gestion plus proches de celles qui ont fait la richesse de la NBA ou de la NFL.

Le projet est en échec

Ce en quoi Boehly et Eghbali diffèrent est la façon dont ils ont entrepris de transformer Chelsea, en ne cachant pas leur mépris pour la vision old school de la plupart de leurs rivaux. Mais plus les mois ont passé, plus les contours de leur stratégie sont devenus flous, au point qu'on ne sait plus trop en quoi elle consiste. On en a déjà suffisamment parlé ici, notamment en ce qui concerne leur approche pour le moins inhabituelle du marché des transferts et de la multi-propriété de clubs, pour ne pas s'y attarder.
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Behdad Eghbali en marge du match entre Chelsea et le Servette

Crédit: Getty Images

Auraient-ils maintenu Chelsea au niveau qui fut le sien tout au long de l'ère Abramovitch qu'on leur aurait passé, bon gré mal gré, ce que leur approche pouvait avoir de fantaisiste et, parfois, d'arrogant. Ils avaient tout de même hérité d'un club sacré champion d'Europe et du monde un an plus tôt, et qualifié pour la Ligue des champions ; mais aucun titre n'a été ajouté au palmarès des Blues depuis. Deux ans et quatre mois après leur reprise du club, le "projet" est un échec cuisant.
Au vu des personnalités impliquées dans la direction de Chelsea, dont l'humilité n'a jamais été un trait évident, il aurait été étonnant que les principaux responsables du déclin des Blues se livrent à un mea culpa. On devient rarement multimilliardaire en doutant de ses capacités. Aussi en sont-ils arrivés maintenant à se rejeter mutuellement la faute de la stagnation du club, puisque ce ne pouvait évidemment pas être la leur propre.

Combat de coqs

Selon le Financial Times, Boehly est à ce point frustré par ce qu'il estime être l'incapacité du club à progresser sur le plan stratégique qu'il envisage maintenant de lever les fonds nécessaires à l'acquisition des parts de ses associés. Le hic est que Clearlake, qui détient 60% du capital, n'a pas l'intention de s'en séparer.
C'est même tout l'inverse. Clearlake serait disposé à prendre le contrôle des actions de Boehly, dont les prérogatives en termes de prises de décision sont égales à celles de ses partenaires. Autrement dit, quand il s'agit de définir la direction à prendre par le club, Boehly et son groupe d'investisseurs privés (*) ont besoin de l'aval de Clearlake; et inversement. Nous nous trouvons donc dans une impasse dont personne n'entend sortir à reculons.
Aucune offre concrète n'a encore été mise sur la table, d'un côté comme de l'autre, et des sources proches du club ont assuré au FT que la relation entre Boehly et Eghbali demeurait "cordiale". Chelsea ne peut cependant pas se satisfaire d'un statu quo qui aurait pour conséquence une forme de paralysie décisionnelle, pile au moment où le club n'a pas d'autre choix...que de s'activer, à commencer pour assainir ses finances, un domaine dans lequel la situation des Blues est bien plus préoccupante que sur le plan purement sportif.
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Video credit: Eurosport

Le manque à gagner consécutif à l'absence de Chelsea de la C1 en 2023-24 se fera sentir lorsque le temps sera venu de découvrir le montant des pertes du club pour cette saison-là, qui suivra des bilans négatifs de 153 et 95 millions d'euros pour les deux exercices précédents, quand les Blues avaient disputé les quarts de finale de C1.
Or Chelsea doit impérativement se soumettre aux règles de fair-play financier en vigueur dans la Premier League, sous peine de se voir infliger des sanctions comparables à celles qui ont frappé Everton et Nottingham Forest il y a quelques mois, et auxquelles Leicester City n'a échappé que par miracle, sur un point de procédure qui est resté en travers de la gorge des autres clubs de PL.

Leur propre fortune est en jeu

Aussi Chelsea a-t-il eu recours à des opérations financières pour le moins inhabituelles (mais entérinées par la Premier League) pour redresser - mais pas complètement - une situation désastreuse, en se vendant deux hôtels à lui-même, par exemple, ainsi que ses féminines, et son centre d'entraînement de Cobham. Mais ces ventes n'étaient qu'une manière de parer au plus pressé, de placer un bandage sur une hémorragie qui n'est pas stoppée pour autant.
Boehly et Clearlake sont conscients de la gravité de la situation. Il n'aura pas non plus échappé au premier que, comme l'a révélé Bloomberg, au moins 10 des 80 milliards de dollars que gère Clearlake sont ce que les économistes appellent des "créances sinistrées", voire "irrécouvrables", dont la valeur est proche de zéro après le choc de l'explosion des taux d'intérêts de 2021. Nous n'en sommes pas encore à une implosion comme celle qui a causé l'explosion de 777 Partners, et qui vaut aujourd'hui aux supporters du Standard de Liège, du Hertha et de quelques autres de leurs anciens clubs de passer des nuits blanches.
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Video credit: Eurosport

Cela ne suffira pas à rassurer les fans du RC Strasbourg, la deuxième roue du monocycle de Boehly ; car ce risque est néanmoins réel. Ce n'est pas un désaccord sur les choix sportifs de Chelsea qui est à l'origine du bras-de-fer qui oppose aujourd'hui ses propriétaires. C'est bien plus grave. C'est la crainte de voir un projet dans lequel ils ont investi 2,5 milliards de livres de leur propre argent (et se sont engagés à investir deux milliards de plus d'ici 2032) perdre tant de sa valeur qu'il mettrait en danger l'édifice de leur fortune tout entier. Les deux parties sont convaincues que ce scénario-catastrophe peut être évité - mais à une condition : que ce soit elles, et elles seules qui décident comment.
(*) dont les membres les plus conséquents sont le milliardaire suisse Hansjörg Wyss et le directeur exécutif de la firme Guggenheim Partners Mark Walter.
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