Richesses non partagées, disparition du suspense : le foot européen est-il devenu sans saveur ?

"Passionnant" : voilà un mot qui n’a pas été prononcé souvent cette saison pour décrire les cinq "grands" championnats. A quelques semaines de leur terme, trois sacres ont déjà été célébrés (PSG, Bayern Munich, Manchester City) et ceux attendus du FC Barcelone et de la Juventus Turin pourraient rapidement leur succéder.

Une domination sans partage en Europe qui s’explique évidemment par les écarts de richesse entre les puissants clubs cités et leurs concurrents nationaux. En Espagne, par exemple, "vous n’avez aucune chance d’être champion si vous n’êtes pas le Real Madrid ou Barcelone", affirme Gonzalo Vazquez. Le journaliste d’eurosport.es rappelle notamment que le partage des droits TV en Liga se fait très nettement en faveur des deux mastodontes et accorde, "allez, 5% de chances à l’Atlético de Madrid."

Le déséquilibre financier existe aussi bien en Serie A, en Ligue 1 ou en Bundesliga, championnat au sein duquel "le Bayern est de loin celui qui possède le plus d’argent", nous dit Florian Bogner d’eurosport.de. Une manne financière, couplée à une outrageuse domination au pays, qui lui permet d’acheter "d’excellents joueurs à l’étranger (Thiago, Vidal, James, Martinez)" mais aussi d'attirer "les meilleurs joueurs de ses concurrents".

Et Bogner de détailler que, ces dernières années, le club munichois a arraché Lewandowski, Hummels et Götze à Dortmund, Neuer à Schalke 04, Süle, Rudy et Wagner à Hoffenheim, tandis que Goretzka, la star montante de Schalke, débarquera dès l’an prochain en Bavière. Piller ses adversaires, parfois sans avoir à débourser le moindre euro, est l’un des grands classiques pour maîtriser (et écœurer) la concurrence année après année. Sur les six dernières saisons, le FCB a remporté tous les championnats.

Même en Premier League, sûrement le championnat le plus "équitable" des cinq du point de vue de la répartition des droits TV, l’absence de suspense cette saison pose question. "Manchester City s’est bâti l’équipe la plus chère de l’histoire du football", rappelle Alex Chick pour eurosport.com, lui qui accorde toutefois du crédit à Pep Guardiola : "’Philosophie’ a toujours été un gros mot dans le football anglais, mais l’identité et le style de City sont clairs et le club possède de merveilleux joueurs pour exécuter les plans de Guardiola."

Contrairement à ses voisins européens, la Premier League renouvelle chaque année ses lauréats. "Il faut remonter à 2009 pour voir une équipe conserver son titre", souligne Chick, selon lequel les observateurs "adorent regarder cette équipe de City, loin de générer la même hostilité auprès des fans adverses que les Manchester United, Liverpool et compagnie." Le journaliste anglais prévient toutefois : "Si on assiste à un copier-coller la saison prochaine, City pourrait commencer à fatiguer."

S’il a empoché "seulement" son troisième titre en six ans cette saison, le club mancunien l’a fait avec une domination sans partage sur le reste de la meute, au point de ressembler en tout point aux ogres européens précédemment évoqués. Plus que ses nombreux achats ces derniers mois, sa décision de dépenser 30 millions d’euros sur Danilo, "qui n’a jamais été censé devenir plus qu’une roue de secours", ou 60 millions d’euros sur Laporte, "pour un petit coup de pouce" cet hiver, révèle une certaine voracité.

Une voracité qui écœure, parfois, et lasse, bien souvent. Si Ilaria Bottua (eurosport.it) n’imagine à court terme "aucune possibilité d’inverser la tendance" en Serie A, celle qui pourrait voir la Juventus Turin remporter son septième titre en sept ans, Louis Pillot (eurosport.fr) dresse un constat similaire en France, avec des conséquences directes sur l’intérêt porté par les supporters au championnat.

"Il n’y a eu aucune célébration, ou presque, lors du 7-1 contre Monaco qui a garanti un septième titre au PSG ce weekend, décrit Pillot. Et même si le club a dû composer avec la grève des supporters, c’est un réel problème pour son image et cela contribue à faire passer un titre en Ligue 1 pour quelque chose de banal, pour laquelle les fans de foot ne vibrent plus."

Gonzalo Vazquez va plus loin pour décrire ce qu’il se passe en Espagne avec le mano a mano entre le Barça et le Real. "Comme les deux clubs remportent fréquemment la Ligue des champions ces dernières années, la Liga n’est pas un trophée que leurs supporters attendent", dit-il, lui qui parle carrément d’un "titre camelote en Liga" pour les Catalans si leurs rivaux madrilènes sont encore sacrés sur la scène européenne.

Comme en France ou en Espagne, "les fans du Bayern ne célèbrent même plus leurs titres en championnat", relaie pour sa part Florian Bogner. Et, dans le même temps, les autres supporters commencent doucement à gronder. "La plupart des ultras en ont assez que la ligue devienne aussi commerciale, leur soutire le moindre centime, étire les matches sur quatre jours (du vendredi au lundi), sans rien faire contre l'ultra-domination du Bayern, lâche le journaliste d'outre-Rhin. Pour le moment, tout va bien. Mais on peut sentir que quelque chose est sur le point d'exploser." Le football n'a peut-être jamais été aussi représentatif de la société dans laquelle il s'exprime...