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Tribunes fermées, portes ouvertes : Pourquoi la Serie A explose sa moyenne de buts ?

Guillaume Maillard-Pacini

Mis à jour 31/10/2020 à 11:28 GMT+1

SERIE A - Autrefois réputé pour son catenaccio et sa rigueur, le championnat italien a changé de cap. Avec une moyenne de presque quatre buts par match, la Serie A est à elle toute une seule une orgie de buts à chaque journée. Mais comment expliquer un tel changement ? Eléments de réponse avec Ottavio Bianchi, entraîneur historique du Napoli.

La moyenne de buts explose en Serie A

Crédit: Getty Images

Que celui qui a décrit la Serie A, un jour, comme un championnat minimaliste, se dénonce et lève la main. Si vous aimez le beau jeu et les buts à gogo, c'est ici que ça se passe. La rigueur tactique ? Elle est toujours présente, rassurez-vous. Il suffit de lire les témoignages de joueurs francophones, parfois fascinés par les heures passées à étudier des schémas et des circuits de passe. Mais aujourd'hui, l'Italie n'est plus que l'ombre du pays où autrefois régnait la politique du catenaccio. On peut le dire sans sourciller, chiffres à l'appui : la Serie A est actuellement le championnat on l'on marque le plus. Avec une moyenne de 3,8 buts par match, elle devance la Premier League (3,3), la Bundesliga (3,1), la Ligue 1 (2,8) et la Liga (2,1). Prenons par exemple le constat de la dernière journée du "Big 5" :
  • Serie A : 41 buts
  • Bundesliga : 29 buts (18 équipes)
  • Ligue 1 : 26 buts (un match reporté)
  • Liga : 21 buts
  • Premier League : 19 buts
Depuis le début de saison, on ne déplore qu'un seul 0-0 en Italie : Hellas Vérone-Genoa, le 19 octobre dernier. Celui des Gialloblù face à l'AS Rome lors de la première journée avait été finalement transformé en 3-0 sur tapis vert après une erreur de liste de la part du club romain. Si vous décidez de vous poser devant un match italien ce week-end (ou même dans les prochains), votre chance de voir des buts est assez élevée. Et peu importe le match que vous choisissez. Si l'on met de côté le 3-0 sur tapis vert de l'Hellas et celui de la Juve face au Napoli, en plus du match reporté entre le Genoa et le Torino, on compte exactement 180 buts en 47 matches. Une orgie à chaque journée.

Historique

Aujourd'hui, la Serie A voyage donc à un rythme de presque 4 buts par match. C'est actuellement la moyenne la plus haute de l'histoire du championnat. Si les comptes ne se feront qu'en fin de saison, un record vieux de 70 ans pourrait être battu. Pour l'instant, la saison la plus prolifique remonte à 1949-1950 avec 3,33 buts en moyenne : 1265 buts marqués en 380 matches, avec seulement 26 scores vierges (0-0) à déplorer. Le podium est complété par celle 1929-1930 (3,17) et ses 969 buts en 306 rencontres. Autant dire que le millésime 2020-2021 est parti sur de très bonnes bases. Les 0-0 ont presque disparu : on en compte 5 sur les 158 derniers matches.
"Quand je jouais au football, les entraîneurs avaient pour angoisse les "goleada", nous confie Ottavio Bianchi, ancien entraîneur historique du Napoli de Diego Maradona, vainqueur du premier scudetto du club en 1987. Quand j'entraînais le Napoli, certaines équipes venaient nous affronter, prenaient 3-4 buts et repartaient plutôt contentes en affirmant qu'elles avaient montré un beau visage pendant 10 minutes. Mais ça veut dire quoi ça ? Prenez l'exemple de la "Noble art" (combat olympique antique pratiqué à mains nues à l'origine, et réapparu au XVIIIe siècle en Angleterre, ndlr). Si tu combats bien pendant 3 rounds et que ton adversaire te met K.O au quatrième, ça ne sert à rien. Le principe de la boxe, c'est prendre des coups et en donner plus. C'est la même chose pour le football. Si vous voyez un 4-4, c'est qu'il y a eu des erreurs fondamentales. C'est par exemple la différence entre une équipe amateure et professionnelle : le concept d'équipe, c'est être compact, jouer au ballon pour ne pas subir et attaquer. Pour moi, ce n'est pas du spectacle un match qui termine 8-1 ou 13-0. Ce n'est pas le concept du football qu'on m'a appris."
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Lazio-Bologna Serie A 2020-21

Crédit: Getty Images

Actuellement, Sassuolo est le club le plus prolifique avec 16 buts en 5 journées. L'Atalanta suit avec 15 buts, puis le Napoli (un match non disputé) avec 14 buts et l'Inter de Conte en 4e place (13 buts). Si les équipes de Roberto de Zerbi et Gian Piero Gasperini sont aujourd'hui devant la meute, c'est pour une raison toute simple : elles font partie des équipes qui pratiquent le plus beau jeu actuellement en Italie. La Dea est désormais (re)connue de tous, notamment après son parcours en Ligue des champions la saison passée. Sassuolo est une équipe qui partage les mêmes valeurs : un jeu dynamique toujours porté par l'avant, du mouvement perpétuel, des circuits de passes répétés à l'entraînement et une volonté de construire omniprésente.
Pour ces deux équipes, également première et deuxième du classement des frappes tentées, le résultat n'est pas important. C'est la manière dont il arrive qui l'est. Un courant de pensée presque révolutionnaire dans un pays où la victoire a souvent primé. En bon gourou, Gasperini a montré la voie. La saison dernière, l'Atalanta a frôlé la barre des 100 buts (98). Il y a deux ans, c'était 77. De quoi en faire à chaque fois la meilleure attaque. Et comment oublier le Napoli de Maurizio Sarri, capable d'inscrire 94 buts lors de la saison 2016-2017 ? "Merci pour les émotions procurées", pouvait-on lire à l'époque sur une banderole des ultras napolitains. Si cette équipe n'a rien gagné, elle reste pourtant dans les mémoires pour le jeu qu'elle produisait. Voilà qui en dit long sur l'évolution de la pensée constatée au fil des dernières années dans le football italien. Comme si une révolution culturelle était en marche.

Le huis clos et la vidéo, ça aide à marquer ?

Si l'on se penche de plus près sur la moyenne de buts en Serie A, on constate également sa différence entre l'avant et l'après confinement. Avant la crise sanitaire toujours d'actualité, elle était de 2,91 buts/match. Après, elle est passée à 3,04 buts/match. Le huis clos décrété aurait-il alors libéré certaines équipes ? Avec les tifosi au stade, la pression est évidemment beaucoup plus grande. Celle du résultat aussi. Encore plus dans un pays où le foot est religion. Prenons l'exemple de l'AC Milan. Outre l'apport indéniable de Zlatan Ibrahimovic, l'équipe lombarde, qui possède l'effectif le plus jeune de Serie A, reste sur 23 matches sans défaite post-confinement et 12 matchs consécutifs à au moins deux buts inscrits. Une première depuis 1916. Face à un public très exigeant comme celui de San Siro, pas simple pour certains jeunes de se libérer. Un pied qui tremble au moment de frapper, des sifflets qui pleuvent si trop d'erreus répétées... Si le huis clos n'est évidemment pas l'unique facteur de ce retour en grâce, beaucoup de joueurs milanais jouent aujourd'hui l'esprit libéré. De plus, le facteur domicile/extérieur est quasiment annulé au vu de la période actuelle.
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Ibrahimovic, Milan-Roma

Crédit: Eurosport

"Sans public, les défenseurs sont aussi peut-être moins concentrés et moins attentifs que d'habitude", estimait quant à lui le grand journaliste italien Bruno Longhi sur les ondes de Radio Sportiva. "C'est fort probable que le silence n'aide pas les défenseurs, il enlève de la concentration. Le public représente le premier jugement sur le jeu, il tient éveillé le défenseur, il lui indique le danger. Le silence favorise donc l'assaut et la surprise de l'attaquant", écrivait quant à lui Mario Sconcerti, un autre grand journaliste transalpin, dans les colonnes du Corriere della Sera.
"Le huis clos est un facteur important, estime Ottavio Bianchi. Il y a moins de pression. Je me souviens de joueurs qui, à l'entraînement, étaient très bons. Mais quand ils arrivaient le dimanche devant 80.000 personnes, ils ne touchaient jamais le ballon et tremblaient déjà dans le vestiaire. C'est comme les violonistes ou les acteurs, ils y a ceux qui sont meilleurs avec et sans public." Beppe Bergomi, légendaire défenseur de l'Inter, expliquait pour sa part que l'introduction de la vidéo dans le football favorise également les attaquants. "L'attitude des défenseurs est différente, confiait-il au Corriere della Sera. Ils savent que chaque bavure sera captée par les caméras et qu'ils seront punis. Ils sont obligés d'être attentifs et sages. Ils ont plus peur qu'avant. Le marquage n'est plus au corps. Et cela avantage les attaquants". La saison dernière, la VAR a accordé 186 penalties en 380 matches. Un record en Serie A. Forcément, ça aide aussi à marquer.

La confusion des cinq changements

Autre donnée, autre lecture. L'introduction des cinq changements pourrait également avoir favorisé cette nouvelle foire du but. D'une part, déjà, pour la nouvelle dimension physique apportée dans une rencontre par cette nouvelle règle. Mais surtout pour cette sorte de confusion qu'elle peut créer. Il y aurait presque deux matches en un seul. Comme si la trame initiale se réecrivait et changeait d'épilogue en fonction de ses nouveaux interprètes. Dans la confusion, la tendance à marquer est plus grande. Un entraîneur a potentiellement deux armes supplémentaires pour frapper. Mais encore faut-il les avoir. Les entraîneurs des plus "petits" clubs ont d'ailleurs tendance à se plaindre de cette nouvelle règle.
Prenons un autre exemple pour appuyer la théorie. Avant l'arrivée de cette règle pré-Covid, Bologne affichait un bilan de 23 buts inscrit et 19 encaissés lors des secondes périodes. Avec cette nouvelle règle, la donne a changé : 10 buts marqués et 21 encaissés. En première mi-temps, le bilan est toujours positif avec 11 buts inscrits et 10 encaissés. Sur les 16 journées après l'introduction des cinq changements, l'équipe de Sinisa Mihajlovic a perdu six points après la pause. "Cette règle favorise les grands clubs qui ont un effectif plus pléthorique", se plaignait-il d'ailleurs il y a quelques semaines. Un constat partagé par Claudio Ranieri, l'entraîneur de la Sampdoria.
Pour Ottavio Bianchi, il y a également une différence de préparation dans l'ère du Covid-19. "Il y en a qui ont été bacléesentre les deux saisons, estime-t-il. Et puis maintenant, il y a les joueurs qui entrent en quarantaine, ceux qui en sortent... C'est un autre football. Il y a du stress et de la préoccupation. Les championnats sont faussés, pas seulement en Italie. Les gros clubs ont du mal et ne tiennent plus le rythme de 3 matches par semaine. Changer cinq joueurs, c'est changer une équipe. Les entraînements sont différents, les programmes aussi."
Si le championnat italien a vu sa moyenne de buts exploser en quelques mois, il n'est toutefois pas seul. En Premier League, la moyenne est actuellement de 3,29 buts/match. Une tendance en hausse en comparaison de la saison dernière, terminée avec 2,72 buts par rencontre ou encore celle précédente (2,82). Lors de la deuxième journée, un record de 44 buts avait été enregistré. C'était tout simplement une première dans l'histoire de la Premier League depuis son passage à 20 clubs depuis 1995. On se souvient de plusieurs scores aussi incroyables qu'insensés : Tottenham qui en colle 6 à United (1-6) à Old Trafford, Leicester vainqueur 5-2 à l'Etihad contre City, ou encore la raclée infligée par Aston Villa à Liverpool (7-2). En Angleterre aussi, les tribunes sont fermées. Mais comme en Italie, les portes, elles, sont grandes ouvertes.
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