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"C’est d’un Napoli-Juve que l’Italie est née" : vu de Naples, comment le choc reflète les divisions du pays

Elio Bono

Mis à jour 13/01/2023 à 18:56 GMT+1

SERIE A - Largement leader de Serie A, le Napoli compte sept points d’avance sur la Juventus Turin, son dauphin. Attendu par tout un peuple, le duel au sommet entre les deux équipes, vendredi soir, trouve un écho dans l’histoire de l’Italie, marquée par des divisions entre un Nord dynamique et un Sud moins riche. Deux pays en un, en quelque sorte.

Higuain, l'un des symboles de la rivalité Naples - Juventus (photo : Elio Bono)

Crédit: DR

“Si tu me trouves une place, je t’offre le meilleur restaurant de poissons de la ville !” A 78 ans, Carlo en a vu d’autres, des Napoli-Juve, “mais celui-là, franchement…”. L’oreille accolée à son poste de radio, il écoute RadioKissKiss, une antenne quasi exclusivement consacrée au Napoli. Les témoignages des tifosi s’y succèdent avec la même ferveur : la réception de la Juventus, vendredi à 20h45, est “le match de l’année”.
L’enjeu sportif pourrait suffire à rendre le rendez-vous incontournable. Leader incontesté de Serie A, le Napoli compte sept points d’avance sur son dauphin turinois. Un succès représenterait, de fait, un pas de plus vers un Scudetto attendu par tout un peuple depuis trente-trois ans. Mais face à la Juve, on serait presque tenté de dire que l’essentiel est ailleurs. “La Roma, l’Inter ou Milan, je peux discuter avec eux, mais la Juve, jamais !”, embraye Vincenzo.
Ce tifoso quinquagénaire vend toutes sortes de produits dérivés du Napoli à la sauvette sur le port de la ville. Au milieu d’un panel azur continu formé par ses écharpes, la Méditerranée et le ciel, on distingue comme une tâche noire. “Ça, c’est mon écharpe ‘Juve Merda’, je l’adore !”, se marre Vincenzo. L’ode aux Turinois se passe de traduction, et sonne comme une devise de la cité en cette semaine si particulière.
Le sac poubelle Juventus (photo : Elio Bono)
Se perdre dans les quartiers espagnols, artères étroites et populaires de Naples, suffit à s’en persuader. Une grande banderole avertit le visiteur profane. "Toi qui es du quartier et supportes la Juventus, tu es indigne !”, y lit-on. Ici, des sacs poubelles ou rouleaux de papier toilette avec l’écusson bianconero sont vendus. Là, un bar expose fièrement une image de Maurizio Sarri en survêtement de la Juve dans une cuvette. "Mais c’est eux qui nous provoquent. Ils disent que le Vésuve nous a salis, alors que nous, on s’en fiche !", jure pourtant Anna, derrière la caisse de l’établissement.
Battre la Juve est mon vœu le plus fort
A sa décharge, Naples n’a pas le monopole de l’anti-juventinismo. "La Juve est le club le plus soutenu en Italie, mais c’est aussi le club le plus détesté, pointe Sébastien Louis, historien spécialiste du football italien et auteur du livre 'Ultras - les autres protagonistes du foot'. La rivalité est donc forte, mais le Napoli a aussi pas mal d’ennemis. Le transfert d’Higuain (de Naples à Turin en 2016) l’a tout de même renforcée”.
Conscients de ce dégoût pas loin d’être unanime - et remplacé, à défaut, par de l’indifférence -, les joueurs en rajoutent une couche dès qu’ils le peuvent. "Battre la Juve est mon vœu le plus fort", disait ainsi le défenseur sud-coréen Kim Min-jae en octobre, peu après son arrivée. "Et nous, on adore ce genre de choses. Kim, c’est un des maillots les plus vendus !”, confirme Luigi, vendeur dans une boutique officielle du Napoli. "Et puis en Italie, il y a toujours eu une opposition entre le nord et le sud, poursuit-il. Votre ‘Bienvenue chez les Ch’tis’, il s’appelle ‘Bienvenue au Sud’ ici !”
Nous y voici. La fameuse "question territoriale", omniprésente depuis l’unité italienne en 1861, figure au cœur de cette rivalité. "Naples est la capitale du sud par excellence, une ville lumineuse avec des supporters passionnés, narre Sébastien Louis. Turin a longtemps été la capitale du Nord, avec Milan. On l’a longtemps vue comme très austère, centrée autour de la Fiat et de la Juve."
Le premier match a été remporté par les Turinois, grâce à Garibaldi
Avant son unité, l’Italie était composée d’une multitude d’Etats. Naples était la capitale radieuse du prestigieux royaume des Deux-Siciles, qui couvrait une partie du Mezzogiorno actuel avant d’être annexée par les troupes garibaldiennes venues du Nord. "C’est d’un Napoli-Juve qu’est née l’Italie en 1860, a osé le Messaggero, dans un article publié jeudi matin. Le premier match, déjà décisif, a été remporté par les Turinois, grâce à un avant-centre né à Nice, citoyen du monde : Giuseppe Garibaldi."
Ce trait humoristique dévoile des plaies que certains habitants de la ville n’ont toujours pas pansées. Pour preuve, il n’est pas rare de voir des ultras napolitains rappeler l’époque dorée de leur cité. "On se réfère à un temps mythique, mais c’est une erreur historique, explique Sébastien Louis. Les supporters inversent les clichés pour montrer que le Sud n’est pas celui qui profite, mais a également eu sa période faste”.
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Diego Maradona, une idole à Naples.

Crédit: Getty Images

Les dynamiques d’une Italie à "deux vitesses", où la réussite économique du nord tranche avec un Sud plus en retard (le PIB y est deux fois inférieur d’après l’Institut national de statistique), se reflètent ainsi véritablement dans cette rivalité. "La Juve est le club qui incarne la réussite par excellence, poursuit l’historien. De son côté, le Napoli - à l’exception de Cagliari en 1970 - est le seul club de Sud qui a remporté le Scudetto."
Les deux stades illustrent à merveille ce clivage. Le Diego Armando Maradona, désuet mais bouillant, tranche drastiquement avec un Allianz Stadium clinquant mais dont le manque d’âme se perçoit jusque dans son nom.
L’aversion est d’autant plus tenace que les Partenopei, sacrés à deux petites reprises - en 1987 et 1990 - ont vu leur destin sur le pré étroitement lié à celui de la Juve. "La rivalité s’installe réellement en 1975, pointe l’historien Sébastien Louis, car le Napoli finit à deux points de la Juventus et perd ses deux confrontations, dont un 2-6 à domicile. Le titre s’est joué là." Plus tard, la tête rageuse de Kalidou Koulibaly à Turin en 2018, lors d’une victoire marquante mais finalement vaine, a marqué la cité.
Entre-temps, le duel a connu son apogée dans les années 80, lorsque Diego Maradona croisait Michel Platini et offrait au Napoli ses heures de gloire. Vendredi, le club retrouve la Juve auréolé, pour la première fois depuis, d’un statut de favori. L’attente y est telle qu’une victoire vendredi constituerait, pour la ville, un événement dont la portée dépasserait la sphère footballistique.
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