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SERIE A - Plus500 et l'Atalanta interdits d'antenne : un poids, deux mesures

Philippe Auclair

Mis à jour 25/01/2023 à 12:40 GMT+1

SERIE A – La DGCCRF a interdit de diffuser les matches de l'Atalanta en raison de son sponsor principal, une société spécialisée dans "des services d'investissement portant sur les contrats financiers risqués". Une décision bienvenue mais qui en appelle d'autres et pose de multiples questions alors que les instances sportives se montrent très indulgentes sur le sujet.

Ademola Lookman esulta dopo il gol su rigore segnato durante Atalanta-Inter - Serie A 2022-23

Crédit: Getty Images

Le match qui opposa la Juventus à l'Atalanta dans la soirée de dimanche dernier fut parait-il splendide. Palpitant, en tout cas, comme l'indique l'évolution du score: 0-1, 1-1, 2-1, 2-2, 2-3, pour finir 3-3. Mais cela, les fans français ne peuvent l'affirmer que sur la foi des comptes-rendus qu'ils auront lus dans les médias spécialisés et de quelques clips qui ont circulé plus ou moins légalement sur les réseaux sociaux. Bien que programmée par beIN Sports, la rencontre disparut de la grille du réseau quelques heures avant sa diffusion supposée.
La Direction générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des fraudes, ou DGCCRF, était passée par là. Depuis la fin de l'an passé, elle interdit en effet qu'apparaissent sur les écrans des messages publicitaires promouvant "des services d'investissement portant sur les contrats financiers risqués".

Plus500, ses risques et ses controverses

Or l'Atalanta a pour principal sponsor en 2022-23 une société spécialisée dans ce genre de services, Plus500, qui vit le jour en Israël en 2008 et compte aujourd'hui de multiples sièges dans de multiples pays, dont, entre bien d'autres, Chypre, le Japon et le Royaume-Uni, où sa surface financière est telle qu'elle est cotée dans le FTSE250, l'indice boursier du Stock Exchange de Londres. Cela ne signifie pas qu'utiliser cette plateforme de trading soit dépourvu de risques, particulièrement pour des clients français, puisque les investissements de ceux-ci ne seraient pas couverts si, d'aventure, Plus500 faisait faillite. D'où l'injonction formulée à beIN Sports par la DGCCCRF.
Plus500 a aussi connu son lot de controverses. En 2017, la plateforme avait été accusée de retarder volontairement l'exécution des ordres de transaction de ses clients afin de jouer - et truquer - le marché à son avantage, en attendant le moment désiré pour honorer l'ordre donné. En clair, si un de ces clients avait parié, par exemple, sur la hausse de la valeur d'une cryptomonnaie, Plus500 attendait que cette cryptomonnaie pique du nez pour la vendre. Les gains réalisés jusque-là échappaient donc à leur propriétaire, mais pas à leur agent. Selon Luca Salerno, l'avocat mandaté par des victimes présumées de ces pratiques, chacun de ses clients "avait typiquement perdu 10 000 USD en l'espace de deux mois". D'autres actions en justice à l'encontre de Plus500 sont également en cours, dont une en Israël. A notre connaissance, aucune d'entre elles n'a encore fait l'objet d'une décision.
Les réticences de la DGCCRF sont donc compréhensibles. Si, d'un côté, on accepte qu'il est bon de protéger les consommateurs des dangers du tabac et de l'alcool, pourquoi ne pas accepter qu'on fasse de même pour des produits qui, aux yeux des régulateurs, présentent un risque sérieux pour la santé de leurs portefeuilles, si le prix à payer se limite au désagrément de quelques tifosi?
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Lookman esulta per il gol in Juventus-Atalanta - Serie A 2022/2023

Crédit: Getty Images

Une décision bienvenue en attendant d'autres ?

Pour un peu, on applaudirait. Il est grand temps que les clubs de football acquièrent, ou retrouvent, un peu de leur sens des responsabilités sociales et se montrent plus regardants sur l'identité de ceux à qui ils acceptent d'associer leurs noms. Le problème, ici, est que rien n'indique encore que cette injonction de la DGCCRF serve de tremplin à d'autres décisions du même type, qu'il y ait une stratégie en place dont le but serait d'extirper du sport (à tout le moins de ce qu'on en montre à la télévision) des partenaires et sponsors malvenus, voire malfaisants.
Quiconque aura regardé des matches de Liga, de Bundesliga, de Ligue 1, de Primeira Liga ou de Premier League ce weekend aura été submergé par les messages publicitaires de ce genre de partenaires et de sponsors. Sur les maillots. Sur les panneaux lumineux qui clignotent à rendre fou sur le pourtour des terrains. Sur les panneaux virtuels placés de chaque côté des buts, qui permettent aux clubs espagnols (on pourrait prendre d'autres exemples) de faire de la pub pour des opérateurs de paris sportifs hors de leur territoire, ni vu ni connu, alors que ce genre de marketing est interdit en Espagne.

De nombreuses questions pour la DGCCRF

Quid de ces plateformes d'échange de cryptomonnaie qui promettent la lune à leurs gogos de clients? Quid de ces marchands de 'fan tokens' qui, d'un côté, jurent leurs grands dieux que leurs produits ne sont en aucun cas des investissements, mais qui les présentés très exactement de cette façon à un moment ou à un autre, alors que leur valeur réelle a, dans tous les cas, périclité?
Quid de ces bookmakers asiatiques illégaux, souvent liés à la grande criminalité, que les plus grands clubs anglais - mais aussi allemands - sont ravis d'accepter comme partenaires, et dont les messages en mandarin, thaï et vietnamien défilent en presque continu sur leurs panneaux LED pendant les matches, ô combien visibles pour les téléspectateurs français? En quoi ces messages présentent-ils moins de risques que le nom qui figure sur les maillots des joueurs de l'Atalanta?
Ces questions doivent être posées à la DGCCRF - et en toute bonne foi, pas pour présenter un pseudo-argument à la 'Staline en a tué moins que Hitler'. En soi, leur injonction n'avait rien de scandaleux. Elle était conforme à la lettre de la loi. Mais malheureusement, c'est là où le bât blesse : le point de conflit entrait dans le champ de la loi, et ceux qui l'appliquent pouvaient donc agir; que l'image soit floue, la loi elle aussi s'efface et, avec elle, ce qu'elle pouvait avoir de bonnes intentions.
Chaque année, en France, des dizaines, probablement des centaines de personnes se donnent la mort, victimes de leur addiction au jeu, particulièrement à sa forme la plus populaire aujourd'hui, les paris sportifs, quand bien même les réglementateurs français soient parmi les plus stricts d'Europe en la matière, et de loin. Si Plus500 est persona non grata, qu'en est-il de ces entreprises dont on sait qu'elles contribuent à une tragédie sociétale qui continue de s'amplifier?
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Duvan Zapata lors de Bologne-Atalanta - Serie A 2022/2023

Crédit: Getty Images

La loi pour compenser la paresse des instances sportives ?

Laissé à lui-même, le football lui-même ne fera rien. La Fifa montre l'exemple, qui vient de se doter d'un partenaire dans le monde des paris sportifs (Betano, dont l'un des marchés principaux est le Brésil, où ce type d'activité est l'un des facteurs de paupérisation les plus toxiques qui soient) et en recherche activement un autre dans le domaine des NFT. La Confédération africaine de football (CAF) a pour sponsor numéro 1 un bookmaker russo-chypriote, 1Xbet, qui continue de signer contrat de sponsorisation sur contrat de sponsorisation alors que la Cour Suprême des Pays-Bas vient de confirmer la faillite de cet opérateur. Etc, etc, ad nauseam.
Aussi la loi doit-elle se substituer aux instances sportives, qui sont soit complices, soit bien paresseuses. Elle l'a fait pour un match de Serie A. Le premier d'une série? On pourrait imaginer un cas de figure dans lequel les diffuseurs, source principale des revenus de quelque club que ce soit, disent à leurs diffusés: pas question de vous associer à un sponsor dont la nature nous empêcherait de montrer les images de vos matches. Le football serait plus pauvre à certains égards, mais ne s'en porterait que mieux pour cela.
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