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Italie | "On va te casser les jambes" : Fagioli, récit d'une descente aux enfers

Guillaume Maillard-Pacini

Mis à jour 18/10/2023 à 16:36 GMT+2

C'est un récit glaçant. Avant d'écoper de 7 mois de suspension de toute activité sportive pour participation aux paris sportifs, Nicolò Fagioli s'est longuement confié au cours de son interrogatoire avec les enquêteurs, où il a notamment raconté comment, au fil des mois, l'addiction aux jeux a pris le pas sur sa vie. La presse italienne rapporte plusieurs extraits ce mercredi.

Paris illicites : "Ce n'est que le début d'un tremblement de terre en Italie"

C'est la première sanction tombée dans cette vaste affaire de paris illicites qui secoue le football italien depuis une bonne semaine. Mardi, Nicolò Fagioli a écopé de sept mois de suspension de toute activité sportive pour participation aux paris sportifs, comme annoncé par la Fédération italienne de football (FIGC). Si l'international italien encourrait trois ans de suspension, il a vu sa sanction réduite à l'issue d'un accord avec les autorités disciplinaires de la FIGC, grâce notamment à sa collaboration avec les enquêteurs et les mesures sérieuses pour lutter contre une dépendance au jeu. Fagioli, 22 ans, devra en outre participer à "au moins 10 réunions publiques reparties sur cinq mois, au sein des associations de sport amateur et dans la fédération locale de football ainsi que dans les centres de désintoxication pour les addictions au jeu".
Conscient d'être atteint de ludopathie, un trouble du comportement évolutif dans lequel une personne ressent une envie incontrôlable de jouer, selon l’Association pour la prévention et l’accompagnement du jeu pathologique (APAL), le jeune milieu de terrain a accepté ce verdict. "La nuit, je ne dormais plus. Plus le temps passait, plus ma dette devenait une obsession et plus l'argent que je devais ne cessait d'augmenter, je pensais seulement à jouer pour tenter de récupérer le tout", révélait-il en préambule de son interrogatoire devant le parquet fédéral fin septembre. La presse italienne en rapporte plusieurs extraits ce mercredi, dont certains font froid dans le dos.
On va te casser les jambes
"J'avais une dette tellement grande que quand je pariais, je n'encaissais plus rien, confiait-il. On me disait : 'On va te casser les jambes si tu ne rembourses pas ce que tu dois'. L'argent que je gagnais servait uniquement à réduire ce que je devais à ces plateformes." Mais comment Fagioli, titulaire en puissance à la Juve, a-t-il pu tomber dans cette spirale infernale ? "Au début, on joue quand on a du temps libre. On s'entraîne le matin et puis on joue pour vaincre l'ennui, pour ressentir de l'ivresse, a-t-il expliqué durant sa longue confession. Tout a démarré à l'été 2021 lors d'un rassemblement de l'Italie Espoirs. Je voyais jouer Tonali et je lui ai demandé ce qu'il faisait. Il m'a répondu que je pouvais aussi le faire car il n'y avait aucune trace des paris. Puis il m'a fait enregistrer via un compte sur le site en question (...) J'ai entendu dire qu'il avait beaucoup de dettes liées aux jeux (...) Au début, je jouais au casino, pariais sur le tennis, puis le football. J'ai effectué des paris sur des sites illégaux, je me souviens de noms comme 'BETART' ou 'ICEBET'. Il y en avait des autres, mais les noms changeaient chaque mois."
En août 2021, le milieu de terrain est alors prêté par la Juve, le club qu'il a rejoint à 14 ans, à la Cremonese, le club de 2e division où il était devenu, enfant, l'un des grands espoirs du football italien. Il parie à tout moment de la journée, sur toutes les compétitions sportives à travers le monde, sur des matches de foot aussi, mais jamais sur ceux de la Cremonese et de la Juventus. Ce qu'il considérait initialement comme un "loisir" et un "passe-temps" se tranforme en une véritable addiction.
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Nicolò Fagioli (Juventus).

Crédit: Getty Images

"En janvier 2022, quand je suis arrivé à Turin, j'étais dans une condition de stress pour la dette accumulée, a poursuivi le milieu de terrain. Au tout début, j'ai parié sur du tennis pour un an. Puis en septembre 2022, j'ai commencé sur le football avec de grosses sommes pour tout récupérer. C'était dans mon habitude de parier sur des matches en cours. J'ai joué par exemple sur un Torino-Milan (...) Puis en prévision d'un reçu que l'on m'avait montré, j'ai également parié sur des matches de C1, comme Porto-Atlético Madrid et Real Madrid-lnter, indiquant qu'ils auraient marqué au moins 3 ou 4 buts."
Assurant que la Juventus, son club, "n'était au courant de rien" et "a toujours prévenu de l'interdiction de parier sur des matches de football" dès les catégories de jeunes, Fagioli ne parvient pas à s'en sortir. Sa dette continue de grimper, sans cesse, au point d'atteindre les 250 000 euros en septembre 2022. Alors, comment rembourser ce qu'il doit à cinq plateformes différentes ? "Parfois, je me chargeais d'acheter des montres de luxe dans une bijouterie à Milan en réglant avec des virements bancaires. Soit je passais les récupérer moi-même pour les donner, soit les titulaires des plateformes allaient les récupérer directement sur place". Une bouffée d'oxygène temporaire avant de repartir en apnée.

Une dette de 3 millions d'euros

"Dans la période successive à septembre 2022, je jouais de manière compulsive face à ma télévision, se remémore le joueur. Je pariais sur n'importe quel évènement, football compris, Serie B (deuxième division italienne, ndlr) et Lega Pro (troisième division). Je jouais avec une telle fréquence et sur tant d'évènements en simultané que je ne me souviens même plus (..) On m'a proposé des paris sur des fautes ou des cartons jaunes, mais je n'ai pas accepté car c'est contraire à mon éthique."
Sa mère, au courant des faits comme certains de ses amis "non footballeurs", tente alors de l'orienter vers le service italien d'accompagnement et de prévention en addictologie (SerT) pour effectuer un parcours de soins et surveiller ses comptes courants. Il le consulte. Mais pour quelques semaines seulement. "J'y suis allé plusieurs fois, et j'ai même eu la sensation de pouvoir m'en passer (...) Je ne parlais de mes paris à personne, ni avec des dirigeants, joueurs ou salariés de la Juventus car je n'avais confiance en personne", ajoute celui qui a connu sa première sélection avec l'Italie en novembre 2022. Soit au beau milieu de son cauchemar.
Submergé par les dettes, et souhaitant échapper à la vigilance de sa mère qui guette ses comptes, Fagioli finit par demander de l'argent à "certains amis" puis "un coéquipier" : Federico Gatti. Le défenseur lui prête la somme de 40 000 euros en octobre 2022. "Je l'ai convaincu en lui disant que mes comptes étaient bloqués et je voulais acheter une montre à ma mère. Je ne lui ai toujours pas rendu l'argent qu'il continue de me réclamer", raconte Fagioli. Radu Drăgușin, désormais au Genoa mais ancien coéquipier de Fagioli, se fait également piéger. "Là encore, 40 000 euros via un virement bancaire à la bijouterie où j'achetais les montres de luxe pour les gestionnaires des plateformes", explique le milieu de terrain, précisant que les deux joueurs en question "n'étaient au courant de rien".
Au pire de son addiction, sa dette atteindra les trois millions d'euros. "Le moment le plus dur fut entre mars et avril 2023, déclare le joueur, dont le salaire net est estimé à un million d'euros par an. J'étais tellement stressé et apeuré que durant Sassuolo-Juventus, j'ai commis une erreur technique avant d'être remplacé. A peine sorti, je me suis mis à pleurer face aux caméras, en pensant à ma dette liée aux paris." Quelques mois plus tard, les enquêteurs du parquet de Turin remonteront jusqu'à lui au détour d'une enquête sur des sites illégaux de paris, mettant ainsi fin à son calvaire. "Maintenant, je précise que j'ai arrêté de parier et que j'ai l'intention de poursuivre mon parcours de soins", conclut Fagioli.
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