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Marché des transferts : La révolution ? Quelle révolution ?

Philippe Auclair

Mis à jour 13/09/2019 à 13:46 GMT+2

Très prochainement, probablement avant la fin du mois, la FIFA devrait annoncer son plan pour transformer le marché des transferts. Mais le président Infantino et ses sbires proposeront-ils les bonnes solutions pour pacifier le "Far West" ?

Gianni Infantino - FIFA

Crédit: Getty Images

Je fus récemment convié à une conférence organisée à Édimbourg par Lombardi Associates, un cabinet d'avocats-conseils spécialisé dans le sport de haut niveau, et plus particulièrement le football. Ce genre de symposium se résume généralement à une série de présentations et de débats d'un intérêt variable, les délégués ayant pris soin de s'armer d'un stock de cartes de visite si fourni qu'on peut se demander s'ils sont venus dans un autre but que les partager avec d'autres acteurs influents du microcosme. Mais ce ne fut pas le cas à cette occasion.
Le thème de ces deux journées de rencontre y était peut-être pour quelque chose : Le futur des transferts de football et des agents de joueurs. L'identité des intervenants aussi : représentants de haut niveau d'instances telles que UEFA et FIFA, de clubs comme Manchester United et Barcelone, de la FA, de diverses ligues, sans oublier Fabio Capello - que je n'ai jamais vu aussi détendu, voire même franchement blagueur - et le clou du spectacle, Neymar Sr, accompagné du célèbre et flamboyant avocat qui veille sur son fils, Marcos Motta, apparemment élu "cinquième homme le mieux habillé du Brésil" par le magazine GQ. Causeur des plus sympathiques et des plus passionnants, au demeurant.
Premier enseignement : personne n'est encore absolument certain de ce que nous réserve la FIFA, qui devrait pourtant annoncer son plan de "révolution" du marché des transferts d'ici deux semaines, a priori le 25 septembre à Zurich (ce mot, "révolution", était celui que Gianni Infantino avait utilisé lors de sa réélection à la tête de l'instance en juin dernier). Et ce "personne" inclut, si je puis dire, la FIFA elle-même. Comme le confirmèrent deux de ses représentants, son directeur juridique Emilio Garcia Silvero et son directeur chargé du statut des joueurs Omar Ongaro, les discussions se poursuivent entre des parties aux intérêts pour le moins divergents. Des parties parmi lesquelles ne figurent, au passage, ni les agents eux-mêmes - en l'absence d'une organisation internationale qui les représenterait avec la même légitimité que l'ECA est censée être la voix des clubs professionnels ou la FIFPro celle des joueurs - ni les supporters, lesquels méritent bien qu'on les qualifie ici de "spectateurs".

Les garde-fous d'avant 2015 n'étaient pas si mal...

Ce sur quoi tout le monde - agents non compris - s'accorde est que la situation actuelle est un fatras invraisemblable, une foire à tout et au reste dans laquelle les pires escrocs côtoient des opérateurs intègres, un marécage à drainer... Le volume de commissions payées aux intermédiaires lors du dernier mercato estival était de 529,3 millions de dollars (dont 64,9% avaient été payés par les clubs acheteurs), un chiffre communiqué à Edimbourg par Jacques Blondin, le Monsieur Transferts de la FIFA. La somme est colossale, si colossale qu'elle permettrait à elle seule de couvrir l'intégralité des paiements des solidarités en souffrance - ces indemnités que les clubs formateurs sont censés percevoir lors des transferts à venir des produits de leurs académies... et dont 80% ne sont jamais payés. Soit plus de 300 millions de dollars. Le football a décidément un curieux sens de ses priorités.
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Mino Raiola lors de la signature de Matthijs de Ligt à la Juventus Turin

Crédit: Getty Images

On eut confirmation à Edimbourg de certaines des mesures que la FIFA entend mettre en place pour apporter un brin de transparence - je reviendrai sur ce mot - dans le monde si opaque des transferts de joueurs. La dérégulation opérée en 2015 n'eut certainement pas l'effet escompté. Doux euphémisme ! Pour reprendre l'expression d'un des délégués, "c'est le Far West". Les garde-fous, certes imparfaits, qui étaient en place avant 2015, avaient au moins le mérite de limiter un tant soit peu le nombre de cowboys désirant entrer dans la carrière d'agent. Il fallait passer un examen pour obtenir sa licence, par exemple ; et ce n'est plus le cas dans tous les pays. En Angleterre, par exemple, le système d'homologation est si simple qu'il suffit de remplir un dossier et de payer l'équivalent de 550€ pour pouvoir se targuer d'être un agent "certifié par la FA". Résultat, comme l'a confirmé Polly Handford, la responsable du service juridique de la fédération anglaise, ces agents sont désormais plus de 2500 dans son pays. On doit donc s'attendre à la réintroduction d'un système d'obtention de licences bien plus rigoureux. Un pas dans la bonne direction, donc, mais un pas seulement, sur un chemin dont l'horizon est des plus lointains.
Un autre changement, une véritable innovation celle-là, est la création d'une "Fifa Clearing House", dont le principe était acquis depuis un an déjà, une sorte de centre de tri des transferts, une entité distincte dont le rôle sera de s'assurer que toutes les parties reçoivent leur dû lors du transfert d'un joueur, en particulier au titre des indemnités de formation et des paiements de solidarité dont, on l'a vu, la plus grosse partie n'est jamais honorée. Un autre pas, tout comme l'obligation à venir, le 1er juillet 2020, pour toutes les fédérations, de numériser leur gestion des transferts, y compris celui des footballeurs dits "amateurs" - un domaine dans lequel les libertés les plus éhontées sont prises par beaucoup trop de clubs.
Tout cela a du sens, vous en conviendrez. Mais la question que je ne pouvais m'empêcher de me poser au sortir de la conférence - et je n'étais pas le seul - était si toutes ces réformes, pour nécessaires qu'elles soient, aboutiraient à autre chose qu'à vernisser la surface d'un décor hideux. Car dès qu'il était question de sujets plus épineux, les réponses se faisaient moins précises.

Vraies questions, réponses floues

Quels sujets ? Le plafonnement des indemnités versées aux intermédiaires, par exemple. A quand un "arrêt Mino Raiola" ? L'interdiction de la double, voire triple représentation - quand un agent "négocie" au nom du joueur et d'un ou deux des clubs concernés, un cas de figure qui, pour invraisemblable que cela paraisse, n'est pas aussi rarissime qu'on l'imaginerait. La prolifération des mandats de représentation d'une même partie, qui permet à des agents véreux de chasser en meute et de soutirer ainsi le maximum aux acteurs du transfert, une pratique si commune qu'elle est devenue la norme dans certains pays. L'interdiction pour un manager de favoriser l'acquisition de joueurs représentés par son propre agent (voir les allégations sur l'entraîneur Garry Monk faites par Middlesbrough, Leeds et Birmingham City en Angleterre), ou de percevoir un pourcentage des profits réalisés lors de la vente d'un joueur recruté par ses soins (Harry Redknapp en était un spécialiste). Le paiement de toutes les commissions d'intermédiaires par le joueur et lui seul - tant de footballeurs ignorent combien leurs agents perçoivent lors d'un transfert ou d'une prolongation de contrat ! Rien n'empêcherait d'ailleurs le club de compenser ce débours, mais au grand jour cette fois. Cette liste est loin d'être close.
C'est ce que j'essayais de dire lorsque mon tour vint de m'adresser aux délégués (je n'en menais pas large face à un tel parterre, croyez-moi) : le mot "transparence" avait été l'un des plus employés lors des deux journées de discussion, mais de quelle transparence parlait-on, sinon de celle d'une bulle impénétrable ? Et de revenir à un thème que j'ai déjà évoqué ici-même : si les sports US pratiquent la transparence totale dans toutes leurs opérations financières, salaires, primes et commissions compris, ce qui ne semble pas avoir trop nui à la NHL, la NBA, la MLB et la NFL, pourquoi ne pourrions-nous pas adopter un pareil principe en football ? Ne serait-ce pas cela, la vraie "révolution" promise par Gianni Infantino ? Serait-ce que le football a trop à cacher ?
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Gianni Infantino - FIFA

Crédit: Getty Images

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