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Ayrton Senna : les moments qui ont fait sa légende

Stéphane Vrignaud

Mis à jour 01/05/2014 à 09:58 GMT+2

De sa révélation sous la pluie à Monaco à ses exploits en qualification en passant par l'héroïsme de Sao Paulo et son affrontement avec Alain Prost, Ayrton Senna aura puissamment marqué son époque.

Ayrton Senna (McLaren) au Grand Prix d'Allemagne 1991

Crédit: Panoramic

Grand Prix de Monaco 1984 : la poursuite inachevée

Sous un déluge, au volant d'une Toleman dessinée par Rory Byrne (le futur artisan des succès de Schumacher chez Ferrari) mais faiblement motorisée (par l'artisan Brian Hart), Ayrton Senna s'élance de la 13e place. Il gagne quatre places dans le premier tour, pointe troisième après 16 boucles dans un enfer urbain aveuglant. Il règle le futur champion du monde Niki Lauda (McLaren) et remonte sur Alain Prost (McLaren) à raison de deux secondes par tour. Le Français réclame l'arrêt du grand prix et quand Jacky Ickx déploie le drapeau rouge au 32e des 76 tours, il restait pour Senna sept secondes à combler. Prost ralentit forcément, il le double pour franchir symboliquement la ligne d'arrivée en premier. "J'aurais certainement dépassé Prost mais personne ne peut savoir ce qui ce serait passé. J'aurais peut-être gagné, j'aurais peut-être abandonné", déclare-t-il.
Pourquoi c'est un instant à part : la naissance d'un équilibriste. Une demi-victoire de Prost (la moitié des points distribués) lourde de conséquence aussi. Si le Français avait fini deuxième, il aurait marqué les 6 points de la deuxième place et aurait été champion en 1984.
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Ayrton Senna (Toleman) au Grand Prix de Monaco 1984

Crédit: Panoramic

Grand Prix du Portugal 1985 : la démonstration

La qualif a été une sensation, et de sa première pole position, Ayrton Senna fait aussi bien sur une piste détrempée le dimanche : il se détache, contrôle, surnage quand le futur champion du monde, Alain Prost (McLaren), en aquaplanage, finit dans un rail. "C'est un sentiment unique, comme une drogue. Après l'avoir expérimenté une fois, on s'empresse de le ressentir à nouveau", dit-il.
Pourquoi c'est un instant à part : Ayrton Senna sur une autre planète, Michele Alboreto (Ferrari) à plus d'une minute, le troisième et le quatrième à un tour, le cinquième à deux tours... Quelques années plus tard, le dernier virage du circuit d'Estoril sera nommé "Parabolique Ayrton Senna" parce qu'il était spécialement impressionnant dans ce dernier virage.

Grand Prix d'Australie 1985 : un esprit bagarreur

Avec Keke Rosberg, le contentieux remonte à un assaut accidentel du Brésilien au Grand Prix d'Europe 1984. Adélaïde est la dernière épreuve de la saison 1985. Le champion du monde en 1982 mène dans son style de bûcheron caractéristique, Senna cherche nerveusement l'ouverture. La Williams rentre enfin au stand, Senna, aveuglé par sa hargne, ne peut l'éviter et casse l'aileron avant de sa Lotus. Il poursuit pendant deux tours avant de se résoudre à rentrer. Rosberg l'emporte, Senna ne voit pas le damier, moteur cassé.
Pourquoi c'est un instant à part : tout le tempérament de feu de Senna révélé.

Grand Prix d'Espagne 1986 : la victoire au finish

En qualification, l'as de Sao Paulo a relégué Nelson Piquet (Williams) à 0"8 et se détache dès le début de la course. Mais Nigel Mansell (Williams) revient fort jusqu'à lui ravir le commandement, au tour 40. Le Britannique s'échappe jusqu'à une nouvelle partie d'élastique. Là, c'est au tour de Senna de revenir comme une balle. Ne se sentant pas en mesure de résister, "Big Nige" passe prendre des pneus frais pour les quatre derniers tours. Senna cède 4 secondes par boucle à la Williams et la dernière ligne droite arrive… Mansell déboîte, remonte la Lotus mais Senna garde un capot d'avance.
Pourquoi c'est un instant à part : 0"014 sur la ligne soit la troisième arrivée la plus serré de l'histoire. Une évidence : Senna préférait rester en piste pour se sentir acteur de sa course. Rentrer était pour lui comme un aveu de faiblesse. Côté Mansell, ce sont trois points manqués qui lui feront défaut pour le titre.

Grand Prix de Monaco 1988 : la pole mystique

Ayrton Senna est déjà parti de la pole position à Monaco, sur Lotus en 1986. Mais deux ans plus tard, au volant d'une McLaren, il assomme son coéquipier Alain Prost, et interloque son public en décrivant son exploit... "J'étais déjà en pole, d'abord d'une demi seconde puis d'une seconde et je continuais d'accélérer, raconte-t-il. Soudain j'étais deux secondes devant tout le monde, dont mon équipier. Soudain, j'ai réalisé que je ne pilotais plus de manière consciente : j'étais entré dans une autre dimension. Le circuit était devenu un tunnel dans lequel je m'engouffrais, encore et encore, toujours plus loin. Je me suis aperçu que j'allais au-delà de toute perception consciente. J'étais en train d'accélérer encore et encore et encore. J'étais au-delà de la limite mais toujours capable de la repousser."
Pourquoi c'est un instant à part : Ayrton Senna, ouvertement religieux, prend la dimension d'un pilote mystique. Ça le rend plus insaisissable. Plus étrange pour tout dire.

Grand Prix du Japon 1988 : la délivrance

En pole position, Ayrton Senna manque de caler et voit la moitié du peloton lui filer sous le nez. La McLaren hoquette mais, c'est une chance, la grille de départ est en pente et il finit par la relancer. Onzième à la fin du premier tour, loin derrière le leader Alain Prost, il entame une irrésistible remontée pour finir par gober son coéquipier. Quelques gouttes le perturbent, il réclame l'interruption de la course mais elle va bien à son terme. On lui demande à l'arrivée ce que ça lui fait d'être champion du monde. Il confie qu'il se sent "en paix".
Pourquoi c'est un instant à part : une libération aussi : Ayrton Senna a toujours clamé qu'il consacrait sa vie à la victoire et son objectif ultime.

Grand Prix du Japon 1989 : "Traité comme un criminel"

Au 47e tour à Suzuka, Senna attaque Prost à la chicane. Le Brésilien est arrivé en survitesse et Prost estime qu'il ne serait jamais parvenu à ressortir du virage normalement. De son côté, Prost a clairement braqué sur Senna… Le Français en reste là, le Brésilien rentre faire changer son aileron avant et gagne. Mais il est disqualifié pour avoir coupé la chicane. Prost est ainsi champion. Le Français Balestre, président de l'autorité sportive (FISA), a sorti de son chapeau un article du règlement qui interdit de court-circuiter un endroit. Senna accuse Balestre d'être pro-Prost. "J'ai été traité comme un criminel", dit-il, et crie à la manipulation. "Ayrton a un petit problème, il pense qu'il ne peut pas se tuer parce qu'il croit en Dieu et des trucs comme ça. C'est très dangereux pour les autres pilotes" renchérit maladroitement Prost. "Le fait que je croie en Dieu, que j'aie foi en Dieu, ne me rend pas immortel, ne m'immunise pas, comme cela a pu être dit. J'ai autant peur que n'importe qui de me blesser", rétorque Senna. Déstabilisé, le Pauliste se demande s'il va continuer à courir.
Pourquoi c'est un instant à part : Un point de non-retour. Par rapport à Prost mais aussi Balestre. En appel, sa disqualification est agravée : 100.000 dollars d'amende et suspension avec sursis de six mois.

Grand Prix du Japon 1990 : la vengeance

Senna est allé voir les officiels quelques jours avant les essais, avec son coéquipier de McLaren, Gerhard Berger, pour demander à déplacer la pole position de droite à gauche, sur la partie propre de la piste. Et affirme en avoir obtenu l'assurance. Il conquiert la pole position et Balestre refuse tout net de changer le côté de la pole, ce qui se fait pourtant à Estoril par exemple. Pour Senna, c'en est trop : débordé par Prost au départ, il reste pied au plancher et part avec lui dans le décor. Il est champion et tient sa revanche vis-à-vis de Balestre, qui regrette son absence sur place. Sans quoi il aurait imposé un nouveau départ.
Pourquoi c'est un instant à part : le départ le plus célèbre de l'histoire de la F1.

Grand Prix du Brésil 1991 : au bout de la douleur

Alors que son grand prix s'annonce, on se demande si la malédiction va continuer : Ayrton Senna n'a jamais gagné devant son public. Pire, son grand rival Alain Prost a déjà triomphé six fois au Brésil... La victoire se dessine, une fois de plus pour l'idole de la foule, jusqu'à ce que la boîte de vitesses de sa McLaren ne donne des signes de faiblesse à 20 tours du but. La troisième vitesse saute, puis la 5e, la 6e. La 2e et la 4e sont bientôt HS... Abandonner ? Il n'y songe pas. "A sept tours de la fin, j'ai décidé de finir la course en sixième, et de me concentrer sur le pilotage. Mais le physique n'a pas suivi, c'était trop dur : je devais ralentir uniquement avec les freins, alors que le moteur continuait de pousser." Son avance fond sur les Williams de Nigel Mansell et Riccardo Patrese. Sans possibilité de rétrograder sur les gros freinages, il continue de livrer combat à sa mécanique moribonde. Le drapeau à damier libère un cri de douleur glaçant à la radio. Il stoppe dans son tour d'honneur, tétanisé. "Quand j'ai franchi la ligne, j'ai trop levé le pied (il a ralenti pour prendre un drapeau brésilien), et le moteur a calé. Toute la douleur accumulée m'a saisi. J'ai sorti mes bras du cockpit mais je ne pouvais plus me lever. J'ai pleuré de douleur et j'ai ri en même temps." Ses épaules lui font trop mal, il faut l'aider à sortir de sa McLaren. Sur le podium, il soulève avec peine le trophée. Il parle d'un "jour merveilleux."
Pourquoi c'est un instant à part : toute la volonté d'un homme pour la victoire, et pour un peuple. L'instant le plus héroïque.
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Ayrton Senna (McLaren) sur le podium du Grand Prix du Brésil 1991

Crédit: Panoramic

Grand Prix d'Europe 1993 : le funambule de Donington

Ayrton Senna prouve ce jour-là aux Alain Prost et autres Michael Schumacher qu'il pilote est capable de repousser bien plus loin les lois de la physique. Sur une piste anglaise noyée par une pluie torrentielle, il s'élance quatrième derrière Prost, en pole position, Hill et Schumacher. Wendlinger part mieux et il rétrograde cinquième. En moins d'un tour pourtant, il va prendre la tête… A la sortie du virage n°1, il plonge à l'intérieur pour effacer l'Allemand. Beaucoup plus stupéfiant, il choisit de garder de la vitesse à l'extérieur du virage n°3 pour doubler Wendlinger. Il vient juste de passer troisième lorsqu'il s'attaque à Hill au freinage du n°7. Seul devant, Prost ignore le traitement expéditif qui l'attend : dans la descente de la fameuse épingle Melbourne, le n°10, le compte est bon. Senna braque à l'intérieur, irrésistiblement. Mais la maestria du Brésilien ne s'arrête pas là, car il a apprivoisé la piste plus que quiconque. La piste sèche, et les pilotes passent des "slick". Et au retour de la pluie, les leaders rentrent à nouveau. Mais pas Senna, qui étale ses dons d'équilibriste. Après 76 tours, Hill évite l'humiliation d'un tour de retard, mais pas Prost. Senna était dans une classe à part. Les pilotes Williams sont les premiers des naufragés.
Pourquoi c'est un instant à part : La plus grande victoire de Senna sous la pluie.
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Ayrton Senna (McLaren) devant Damon Hill, au Grand Prix d'Europe 1993

Crédit: Panoramic

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