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Stéphane Clair : "Si quelqu'un est dans un feu, il faudra qu'on l'en sorte !"

Stéphane Vrignaud

Mis à jour 05/12/2020 à 09:11 GMT+1

Directeur du circuit Paul-Ricard, Stéphane Clair a regardé attentivement les circonstances de l'accident de Romain Grosjean (Haas) et l'organisation des secours. Dès le lendemain du crash du Français à Sakhir, il travaillait avec son équipe pour élever les standards au Castellet. Avec pour objectif d'arriver le plus vite possible sur un incident et éteindre un feu au plus près de sa source.

Charles Leclerc (Ferrari) au Grand Prix de France 2019

Crédit: Getty Images

Comment avez-vous vécu cet accident ?
Stéphane Clair : Humainement, ma réaction a été celle vis-à-vis d'un copain qu'on imagine en grand danger, et j'en ai encore des frissons ! Ces quelques secondes d'attente sont horribles quand on est aussi loin et qu'on ne sait pas ce qu'il se passe. Romain est un pilote licencié au Paul-Ricard et on en a d'autant plus d'émotions et d'attachement. Il a désormais pour nous un statut de super héros revenu d'une situation incroyable.
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Accident de Grosjean : Ce qui a fonctionné et ce qui peut être amélioré pour la sécurité

Comment l'avez-vous vécu en tant que directeur de circuit, qui doit se conformer à toutes les normes de sécurité pour avoir le Grade A de la F1 ?
S.C. : Rétrospectivement, je me pose la question de ce qui pourrait arriver sur le Paul-Ricard quand l'activité reprendra sur le circuit, car c'est notre interrogation quasiment après chaque gros accident, ou chaque accident impressionnant. La technologie a évolué, les conséquences sont de moins en moins dramatiques, mais on se souvient de Jules Bianchi, d'Anthoine Hubert, d'autres pilotes, et on aurait pu parler comme ça de Romain.
La réaction a été d'échanger avec mes collaborateurs dès l'accident, et de programmer une réunion le lendemain pour se demander ce qui se passerait si ça nous arrivait. Au sujet de l'analyse de l'accident proprement dit, on constate que tout a bien fonctionné sur le véhicule - la cellule de survie, le halo, le harnais, le siège - et sur les dispositifs de sécurité du circuit. On s'est étonné qu'un rail puisse s'ouvrir, au contraire ! C'est pour ça qu'il y a trois rails superposés. Il faut que le rail s'ouvre car ça permet de dissiper l'énergie du choc, important en nombre de G (53). L'intérêt du rail est qu'il est souple, qu'il peut s'écarter.
La Haas a ouvert le rail puis s'y est encastrée.
S.C. : Romain a eu énormément de chance parce que le museau a servi - je dirais - d'ouvre-boîte, et le halo a permis d'arrêter la voiture. Les choses auraient pu se passer différemment avec une hauteur d'aileron, un angle d'impact différents.
Par ailleurs, nous avons décelé un problème d'extinction d'un feu né d'une rupture des canalisations du réservoir, dans lequel les batteries ont joué un rôle. Là, on se demande comment intervenir et cela pose d'abord la question de l'équipement. Au Castellet, chaque poste est équipé en lutte contre l'incendie, et nous avons deux voire trois véhicules rapides sur le circuit même. Leur mission est de se projeter le plus rapidement possible sur le lieu de l'évènement.
On sait qu'une minute sépare le moment où on prévient les secours de l'arrivée dans le cas où on a un demi-tour de circuit à faire. Et cette minute aurait été certainement fatale à Romain. A Sakhir, on était dans le premier tour, un moment où la voiture médicale était juste derrière le peloton, et dans le troisième virage. On a vu les bons réflexes de l'équipage de la voiture médicale, mais aussi ils n'étaient pas équipés. Ils sont intervenus avec leur moyens, la combinaison ignifugée certes, mais un casque ouvert, sans cagoule ni gants. On se dit que sur cet incident on a eu beaucoup de chance : premièrement qu'un commissaire soit très proche, qu'il puisse s'approcher avec un extincteur, et que la voiture médicale soit là pour recueillir Romain de suite. Mais en vrai, celui qui le sauve, c'est Romain lui-même, qui est capable de se détacher et de sauter par-dessus le rail. Bref, c'est beaucoup d'éléments qui ont permis que ça se finisse bien, mais le moindre grain de sable aurait pu changer l'issue en quelque chose de dramatique.
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Tréluyer : "Nous les pilotes, on aime tellement ça que le risque, ça passe après"

Comment améliorer cela ?
S.C. : L'idée est de rendre nos véhicules d'intervention plus rapides, mais ils embarquent quand même 200 litres d'eau plus du matériel. Nous préparons aussi un dossier dans laquelle nous allons solliciter la FFSA et la FIA pour leur demander si, dans le tour fait par la voiture médicale, nous pourrions inclure une voiture rapide d'intervention-incendie. Mais en l'occurrence, il s'agit d'un accident dans le premier tour, qui aurait tout aussi bien pu se produire à n'importe quel moment de la course. Et là, il n'y aurait pas eu de véhicule médical.
Si nous ne pouvons ajouter un véhicule, nous pourrions embarquer dans la voiture médicale un pompier équipé d'un sac à dos avec un dispositif d'extinction rapide, plus efficace qu'un extincteur car il pulvérise de l'eau avec de l'air comprimé pour étouffer le feu.
Et concernant les commissaires postés sur le circuit ?
S.C. : La question de la formation se pose. Un commissaire est intervenu - et c'est lui le héros -, mais c'est la plupart du temps un bénévole, qui intervient peut-être rarement sur le circuit, en tout cas pas tous les jours. Nous disons Bravo ! pour cette intervention.
Pour ce qui nous concerne, l'enjeu est de former ces commissaires à approcher plus le feu, et de les équiper avec une cagoule et des gants antifeu. Nous apprenons aussi aujourd'hui à nos commissaires à éteindre des feux dans des bacs à gasoil, sur des épaves. Cela va changer. A partir du début d'année prochaine, nous allons ajouter de l'humain. Nous allons travailler avec une petite société locale qui fait de la cascade, qui va aider les commissaires à se projeter dans la vraie situation. Si quelqu'un est dans un feu, il faudra qu'on l'en sorte !
Combien avez-vous de commissaires ?
S.C. : 220, rattachés au circuit, et formés pour l'auto ou la moto ; sachant que la plupart intervient dans les deux catégories.
Valtteri Bottas (Mercedes) au Grand Prix de France 2019
On a vu une voiture médicale sur le circuit dimanche. Combien en avez-vous ?
S.C. : Nous en avons cinq au Paul-Ricard : celle qu'on voit au premier tour, qui suit le peloton au départ et dans laquelle est le médecin chef, et quatre autres un peu moins rapides, postées avec des ambulances, autour du tracé. En course, le délai d'intervention est peut-être de 30" entre un accident et la présence d'un médecin ; toute l'année, pour tous les roulages : amateurs, pro. Et le délai maximal donné à nos équipe médicales est de 1'30". Pour un incendie, c'est 1'30", feu éteint. C’est-à-dire 1'10" avant la procédure de l'extinction. C'est l'objectif pour nos équipes afin d'être performant. On l'a bien vu : dans le cas de Romain c'était 27 secondes.
Autour des circuits, on voit des murs, des rails, des Tecpro (en forme de gros Lego), des pneus. Quelle est la différence ?
S.C. : La FIA a un outil de simulation qui, mètre par mètre, nous permet de connaître la vitesse et l'angle d'impact pour tout véhicule sur un circuit. A partir de ça, elle nous recommande les dispositifs appropriés. Dans une ligne droite, par exemple, rien ne vaut un mur parce qu'on ne peut pas, vu la vitesse, taper à 90°. Un mur permet à une voiture de glisser. Dans les virages, on met des rails, et plus la vitesse est importante et le dégagement faible, plus renforce ces rails par des blocs de pneus ou, si on veut monter en puissance, des Tecpro. Pour les piles de pneus, on a des graduations : on peut aller jusqu'à six pneus attachés entre eux, dont les piles sont solidaires. Les Tecpro remplacent les pneus, avec une particularité : ils sont prévus pour que la voiture s'enfonce sans la renvoyer vers la piste.
On ajoute des couches de pneus, de Tecpro en fonction de la vitesse d'impact ?
S.C. : Oui. Sachant qu'au-delà d'un impact à 60 km/h, on met le pilote en danger. Il y a plusieurs grades en Tecpro et on monte en niveau ou en nombre pour diminuer la vitesse par tranches de 60 km/h. Un véhicule peut arriver jusqu'à 180 km/h et s'il y a trois épaisseurs, la vitesse du choc sera acceptable par rapport à ce que peut encaisser le pilote.
Romain Grosjean tape un rail situé à 10-15 mètres de la piste. Il n'a quasiment pas pu ralentir sa monoplace.
S.C. : Oui, c'est trop court. Si l'angle du rail est trop important avec la piste, la seule idée serait de mettre un mur de pneus (ce qui a été fait depuis l'entretien). Mais qui aurait pu imaginer qu'une voiture sorte là ? Mais c'est en même temps ce qu'on se dit, ce que l'on constate régulièrement. Nous voyons des choses toute l'année sur le circuit et, de temps en temps, que nous pensions impensables. Le risque est inhérent au sport automobile et on ne pourra jamais l'éliminer complètement.
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