Les plus populaires
Tous les sports
Voir tout

Départ amer de Ferrari : Sebastian Vettel ou le syndrome des champions déchus

Stéphane Vrignaud

Mis à jour 11/12/2020 à 14:35 GMT+1

GRAND PRIX D'ABOU DABI - C'est la der pour Sebastian Vettel en rouge, ce week-end. L'Allemand pensait entrer dans la légende grâce à Ferrari, en 2015. Six saisons plus tard, il la quitte désabusé comme Nigel Mansell, Alain Prost ou Fernando Alonso.

Sebastian Vettel e la Ferrari hanno deciso di separarsi alla fine del 2020, Getty Images

Crédit: Getty Images

  • Nigel Mansell, une défaite politique
Quand Nigel Mansell débarque à Maranello en 1989, c'est une double révolution, tant pour le Britannique qui n'a jamais piloté que pour des écuries british, que pour la Scuderia qui poursuit son internationalisation.
Rien ne pouvait donc mieux tomber que cette première victoire du pilote de l'île de Man en ouverture de la saison, à Rio de Janeiro, sur la révolutionnaire 640, première machine dotée d'une boîte de vitesses semi-automatique à commandes au volant. "Big Nige" est le plus gros calibre vu chez les Rouges depuis Gilles Villeneuve et Didier Pironi en 1982. Il achève l'exercice à la quatrième place au championnat pendant que son coéquipier Gerhard Berger, plutôt malchanceux, est emporté par une série de onze résultats blancs et le choix d'Alain Prost (McLaren) de rallier Maranello en 1990.

Privé d'essais hivernaux

En fait, Nigel Mansell a fait entrer le loup dans la bergerie et il va le comprendre assez vite. Sa témérité en piste n'est sûrement pas la moindre de ses qualités, mais il ne fait pas le poids face au professionnalisme du Français, son emprise politique, son approche latine.
Pour préparer ce choc, Cesare Fioro, le directeur sportif de Ferrari, lui a peut-être donné le meilleur conseil - "Nigel, fais-nous plaisir, parle italien…" - et délivré la pire des remarques après son speech dans la langue de Dante, lors de la présentation du duo 1990 : "Merci Nigel pour ton excellent discours en anglais !" En prenant le micro après lui, Alain Prost, a captivé l'assistance en parlant comme un Italien d'adoption.
Un fossé s'est créé, et l'Auvergnat va aider ce pauvre Mansell à le creuser. Dès les essais hivernaux, Ferrari prie ce dernier de rester chez lui... L'affaire s'est faite naturellement, dans son dos. Il n'a jamais été un as de la mise au point et Prost, réputé dans ce domaine, n'a jamais rechigné à enquiller les tours chaque hiver.
J'ai été manipulé
D'un coup, Mansell a senti le déclassement et, offusqué, s'en ouvrira dans la presse en fin de saison, après l'officialisation de son retour chez Williams. "Il ne doit pas oublier que c'est grâce à moi qu'il court chez Ferrari, rappelle-t-il (*). J'ai accepté de revoir mon contrat, durant l'été 1989, pour permettre à Alain de venir. Je bénéficiais d'un statut de numéro 1 : j'avais droit au mulet, etc."
Le problème est que s'il avait accepté de renoncer à une partie de son pouvoir, Nigel Mansell rechignait à partager le travail équitablement. Alain Prost s'est toujours étonné de le voir quitter le circuit un quart d'heure après les essais, pour jouer au golf.
"Prost a bien manoeuvré : en trois mois, il a mis tout le monde dans sa poche, il a pris le pouvoir, poursuit-il, écoeuré. Je ne voulais pas combattre sur ce terrain. Je ne suis pas politicien. Je suis arrivé à Phoenix (premier Grand Prix 1990) en pensant avoir mes chances mais j'ai très vite déchanté. J'admire beaucoup Alain Prost pour tout ce qu'il a fait sur le plan sportif, ses victoires, ses titres. Mais en dehors des circuits, no comment. J'ai été manipulé, j'en suis conscient. Plus jamais je ne ferai équipe avec quelqu'un comme Prost", conclura Nigel Mansell, qui n'aura jamais accepté la perspective d'un contrat pour la première fois de sa carrière à la baisse, en 1991.
Nigel Mansell (Ferrari) au Grand Prix d'Allemagne 1990
  • Alain Prost, tombé du camion
Lors de sa première saison en rouge, en 1990, le Français a fait vaciller l'édifice McLaren. Avec cinq victoires, il a disputé le titre à Ayrton Senna, presque jusqu'au bout. Dans une logique de progression entamée par Maranello en 1989, il doit concrétiser en 1991, mais rien ne se passe comme prévu.
Côté technique, l'héritage du génial John Barnard est mal géré, et en coulisses les intrigues ont repris comme au bon vieux temps d'Enzo Ferrari. Et Piero Fusaro, médiocre président, pourrait faire autre chose que jeter de l'huile sur le feu. Alain Prost tout juste arrivé, il s'est mis en tête de recruter Ayrton Senna. Sachant pertinemment que le Français avait fui McLaren pour fuir le Brésilien.
En cette saison 1991, c'est un délitement que vit la Scuderia. Arc-boutée sur son immense palmarès, vivant de soubresauts, de manquements, comme si ça devait faire partie de son histoire, comme si c'était un préalable à son énième retour au sommet…
La politique du n'importe quoi
Mais la 642 made in Steve Nichols est ratée, et même Alain Prost ne peut rien y faire. Il en a décelé quelques maux, à la stupéfaction de son staff. Un jour, il a compris que le diffuseur avait un rendement irrégulier parce qu'un phénomène aérodynamique s'effaçait devant un autre à partir d'une certaine vitesse. Un autre jour, il a eu enfin la réponse à sa suspicion quant aux pneus, moins performants. Une thèse qu'il soutenait jusqu'à ce que Goodyear lui livre l'explication : ses pneus étaient bien techniquement les mêmes, mais ils étaient fabriqués depuis peu dans une autre usine d'outre-Atlantique…
A part ça, c'est "la politique du n'importe quoi" comme il l'appelle. Bref, Ferrari a été rattrapé par ses démons. "Le manque de rigueur, de cohésion est évident, peste-t-il un mois après le début du championnat (*), lors d'une séance d'essais à Imola. Les responsabilités sont mal assumées. De tous les gens venus participer à ces essais, la moitié ne sait pas vraiment ce que l'on doit tester, ni ce qui est prévu." Mais ce qui l'exaspère le plus, c'est que "trop souvent, les décisions prises de façon collégiales par des personnes d'expérience sont remises en question quelques heures plus tard." Dommage pour lui, il a failli travailler avec John Barnard.

L'attaque de trop

Lassé des promesses non tenues, couvertes par des fausses excuses "à tous les niveaux de la pyramide", Prost ne relâche pas la pression médiatique. Il obtient même la livraison pour le Grand Prix de France, en juillet, du modèle 643 prévu pour 1992. "Très différente, plus facile à régler, plus efficace", elle est plus compétitive mais il n'en obtiendra pas plus à son volant la victoire recherchée. Ni même la moindre pole position ou le moindre meilleur tour en course. Son autre grand tort sera alors de charger l'équipe, son management, au plus haut niveau…
Dès lors, Ferrari se mettra en tête de se débarrasser du Français, et le premier prétexte sera le bon. A l'arrivée du Grand Prix du Japon, le triple champion du monde, quatrième, s'agace d'avoir roulé une bonne partie de la course sans direction assistée. "Je n'ai jamais conduit une voiture aussi mauvaise, enrage-t-il. Hier (samedi), avec le plein d'essence, on a vu que la direction se bloquait complètement dans les grandes courbes, c'est un problème mécanique très grave qui s'est amplifié au cours de la saison. Disputer un Grand Prix dans de telles conditions n'est pas possible, je n'avais pas l'impression d'être un pilote de F1, car un bon chauffeur de camion avec de gros bras aurait pu faire aussi bien. C'est très frustrant."
Même si le Français n'a pas vraiment comparé sa Ferrari à un camion, c'est le dérapage que les avocats ferraristes attendaient. Prost sera licencié juste avant la dernière manche de la saison, en Australie.
Alain Prost (Ferrari) au Grand Prix de Grande-Bretagne 1991
  • Kimi Räikkönen, champion sans plus
L'idylle aura duré une saison sur les quatre prévues dans son contrat. En 2007, le Finlandais arrive de McLaren pour remplacer le retraité Michael Schumacher par la volonté de Jean Todt, qui lui voue une réelle admiration. Le pilote est peu communicatif, taciturne. Il n'est pas non plus un fondu de mise au point mais sa capacité à piloter à peu près n'importe quoi est un atout essentiel. Un temps du moins.
A Melbourne, il devient la première recrue vainqueure de son tout premier Grand Prix avec les Rouges depuis Nigel Mansell, en 1989. Un exploit qui en appellera d'autres, jusqu'à la retentissante finale qui fera de lui un champion du monde à la surprise générale, sur le dos des ennemis de McLaren, Lewis Hamilton et Fernando Alonso. A deux manches de la fin, il avait 17 points de retard, avec un maximum de 20 à prendre. Son coéquipier Felipe Massa n'aura pas été ingrat sur ce coup-là, lui offrant sur un plateau sa victoire à Sao Paulo.
Kimi ne m'a pas appelé
En 2008, le Finlandais poursuit sur sa lancée, mène le championnat jusqu'à ce qu'une série de quatre abandons ne le condamne. Son coéquipier brésilien finit la saison en leader de circonstances, et manque de peu le titre au dernier moment, à Sao Paulo.
On se dit que "Iceman" va reprendre la main en 2009 mais il n'en sera rien. Le règlement technique a profondément changé et Ferrari n'a pas vu venir le double diffuseur. C'est là que l'apport d'un champion du monde devrait se faire sentir sur le plan technique... Aldo Costa ne fait pas oublier Ross Brawn, qui roule désormais sous son propre nom, et Kimi Räikkönen récolte dix points lors des neuf premiers Grands Prix. Et sauve à peine les meubles en l'emportant sur son circuit fétiche, Spa-Francorchamps.
A cette date, les planètes ne sont déjà plus alignées. Ni dans les cœurs ni sur le marché des transferts. Chez Ferrari, on est choqué de sa distanciation sociale avec Felipe Massa après l'accident en Hongrie qui a failli l'éborgner. "Kimi ne m'a pas appelé, je l'ai seulement vu sur une vidéo faite par Sky avec tous les pilotes, où ses mots étaient des plus tranquilles", a expliqué le Brésilien, rentré chez lui, à Sao Paulo. "Il m'a adressé une carte à l'hôpital, mais il n'y a pas de problème entre nous. Kimi est une personne différente, il est fait comme ça". Le Pauliste manquera les huit derniers Grands Prix et retrouvera l'année suivante un autre partenaire bien plus encombrant en la personne de Fernando Alonso.

Trop cher pour McLaren

Au passage, Kimi Räikkönen s'étonne d'avoir été viré alors qu'il lui restait un an de contrat. Et ironise sur l'arrivée de l'Espagnol : "C'est la première fois que je vois un double champion du monde payant", dit-il. L'ex-Renault arrive avec un gros sponsor mais bien plus que ça : deux titres de champion du monde et une réputation de travailleur acharné. Mais pour une fois, l'insensible Kimi Räikkönen cherche à émouvoir en s'avouant "très triste" de son éviction.
Pas conscient de sa décote, il entreprend alors un retour au bercail, chez McLaren. A Woking, on lui accorde une visite des locaux mais on est effaré pas ses prétentions salariales, peu en rapport avec les réalités du marché, la dépression internationale due à la crise des subprimes. "C'était la F1 avec McLaren ou rien du tout", confirme l'un de ses managers, Steve Robertson. "Kimi et McLaren ont été incapables de parvenir à un accord, il ne pilotera donc pas en F1, au moins l'an prochain."
McLaren a choisi Jenson Button pour trois ans à raison de 6,7 millions d'euros par an, et l'ultime tentative de se recaser chez Mercedes, de retour en Formule 1, ne sera pas pris au sérieux.
picture

Kimi Räikkönen (Ferrari) au Grand Prix du Brésil 2009

Crédit: Getty Images

  • Fernando Alonso ou la défaite d'un système
L'échec de Fernando Alonso chez Ferrari est le plus révélateur que l'écurie ait connu dans son histoire récente. Pendant cinq ans, l'Espagnol a tout essayé, avec la hargne qu'on lui connait, sans parvenir à décrocher le Graal.
En 2010, il est arrivé comme le messie : Kimi Räikkönen vient d'être remercié, Felipe Massa a déjà été le numéro 2 de Michael Schumacher et "Iceman", et c'est une équipe dédiée à sa cause qui se met en mode commando.
Dès la première course en rouge, ce plan est validé puisqu'il l'emporte à Sakhir devant le Brésilien. C'est plus qu'il n'en faut pour assoir son autorité, mais "Nando" en veut toujours plus. Pardon, il veut tout. Dans ce que certains appellent la "Scuderia Alonso", il met chacun devant ses responsabilités, réclame un soutien inconditionnel, sans quoi le doute fera le reste.

Cassure à Hockenheim

C'est ainsi qu'il réclame à Hockenheim que Massa lui offre sa victoire. Il obtient gain de cause à travers une consigne même pas assumée et surtout totalement destructrice pour les deux. Ce jour-là, Massa est définitivement cassé mentalement et ne lui rendra plus que de petits services. Pour s'en convaincre, il suffit de faire les comptes : en s'intercalant, Massa a pris 22 points aux adversaires d'Alonso jusqu'à ce fameux Grand Prix d'Allemagne, et sept après. Alonso a commis une grave erreur en méprisant son numéro 2 : s'il a gonflé son total de sept points à Hockenheim, il en a perdu bien plus par la suite, indirectement. Un Massa au top de sa forme et de son moral aurait certainement encore minoré les scores de Vettel, Hamilton, Webber et Button, et le Toro des Asturies n'aurait peut-être pas perdu le championnat pour trois points.
Mais c'était ça, Alonso chez Ferrari. Un pilote usant, clivant, exclusif, excessif à tout propos. Il n'a d'ailleurs jamais formulé de regrets sur le bilan maladroit qu'il tira de cette première saison, sa "meilleure depuis ses débuts en Formule 1". Y compris les deux années couronnées par un titre mondial chez Renault.

Le dernier à rester

A sa décharge, il n'aura jamais fait deux bonnes campagnes consécutives à cause d'un matériel inconstant. Il rata encore le titre de peu en 2012 avant que la valse des directeurs techniques et des managers de haut rang ne remettent peu à peu en question l'édifice sur lequel il reposait. L'éviction de son allié de la première heure, le directeur Stefano Domenicali, fut un premier signe. Celle de son ultime soutien, le président Luca di Montezemolo, la preuve qu'il n'était plus la clé de voute du système.
Fernando Alonso ne fut pas remercié, il tira lui-même la conclusion de cette inéluctable fin de cycle au terme de la saison 2014. Visiblement fatigué, avec seulement onze victoires en rouge.
Fernando Alonso (Ferrari) au Grand Prix d'Abou Dabi 2014
  • Sebastian Vettel, la déchéance du pilote-roi
Sebastian Vettel nourrissait le complexe de n'avoir été champion du monde qu'avec Red Bull, une équipe montée sur un plan marketing, loin de l'ADN des écuries historiques. Au-delà des statistiques, il poursuivait la gloire ultime, celle de pouvoir associer son nom au plus grand mythe automobile. Rouler sur les traces de son idole, Michael Schumacher. Partager un peu de sa lumière dans le livre d'or de la Formule 1, il en rêvait.
Au bout de quatre titres au service de la marque de boisson énergisante, il avait été sérieusement ébranlé par Daniel Ricciardo en 2014. On avait mis ça sur le compte de la lassitude, d'une dernière année balancée avant de partir se régénérer ailleurs. On avait tort : la faiblesse de l'Allemand était là. Il n'aimait pas la concurrence, et celle du jeune australien, troisième du Championnat du monde avec trois victoires (contre zéro pour lui), était devenue dès la première année de confrontation plus insupportable que celle de Mark Webber.

Lent déclin

En allant chez Ferrari, où Fernando Alonso venait d'abandonner son poste, "baby Schumi" avait largement de quoi reproduire la success story. D'autant que son ami Kimi Räikkönen, le seul véritable qu'il ait eu dans le paddock, n'était pas porté sur la politique. Avec un tel coéquipier, moins rapide que lui, l'Allemand s'est retrouvé seul au front pendant quatre ans.
Choqué de s'apercevoir que Ferrari pouvait retomber dans ses travers (une deuxième saison vierge de toute victoire en trois ans en 2016), il a rebondi l'année suivante en disputant le titre à Lewis Hamilton, en 2017. Comme Fernando Alonso, il venait de vivre son apogée à l'occasion de sa troisième saison, et le reste n'allait être qu'un lent déclin. Marqué en 2018 par des occasions immanquables en piste et le départ de "Iceman".

Battu par la vitesse de Leclerc

L'arrivée de Charles Leclerc en 2019 était un acte de défiance voulu par feu le président Sergio Marchionne, elle fut dès les premières courses la confirmation de son déclassement. A l'aune de son salaire à peu près huit fois supérieur au Monégasque, l'équipe tenta de protéger son statut de leader à coups de consignes, jusqu'à en toucher les limites de l'évidence imposée par le natif de Monte-Carlo.
Quel fut le point de basculement ? Son coup de volant qui se voulait juste punitif au Grand Prix du Brésil, et qui emporta avec lui l'autre Ferrari. Ce clash insupportable pour Ferrari ne pouvait rester sans conséquences : prévenu de la perte de son statut de pilote n°1 en 2020, et avant le début de la saison, reporté à cause de la pandémie de Covid-19, un appel de son patron, Mattia Binotto, l'informa qu'il n'y avait rien à négocier pour 2021. La suite donna raison à la Scuderia, l'Allemand collectionnant les éliminations en Q2 et les courses les plus anonymes, à part un podium à Istanbul.
Sebastian Vettel (Ferrari) au Grand Prix de Toscane 2020
(*) AutoHebdo
Rejoignez Plus de 3M d'utilisateurs sur l'app
Restez connecté aux dernières infos, résultats et suivez le sport en direct
Télécharger
Partager cet article
Publicité
Publicité