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Comment sauver la F1 ? En redonnant le pouvoir et des responsabilités aux pilotes

Stéphane Vrignaud

Mis à jour 13/07/2019 à 08:49 GMT+2

GRAND PRIX DE GRANDE-BRETAGNE - Bien que polémique, la victoire de Max Verstappen à Spielberg a prouvé qu'une course de F1 peut être passionnante. A condition de donner à tous les pilotes les opportunités que le Néerlandais de Red Bull a su saisir pour offrir quelque chose de différent.

Charles Leclerc (Ferrari) et Max Verstappen (Red Bull) au Grand Prix d'Autriche 2019

Crédit: Getty Images

La victoire de Max Verstappen en Autriche n'a rien solutionné aux problèmes de spectacle dont souffre la Formule 1 depuis longtemps. Elle n'a fait que souligner l'état de panique de certains devant la nécessité de mettre fin à la série de dix victoires de Mercedes. Par n'importe quel moyen. Cela aurait pu être à travers la classe d'un valeureux Charles Leclerc, ce fut malheureusement dans la polémique d'un assaut contestable mené par le Néerlandais, qui se sentait tous les droits sur le Red Bull Ring, transcendé par une marée orange de supporters. Il a été défendu par son équipe - qui a de toute façon toujours été derrière lui - et certains pilotes et observateurs.
Le Néerlandais de Red Bull a fièrement revendiqué "la course à la dure" comme une réalité qui devrait avoir cours depuis longtemps dans le sport. Une panacée, la forme de combat ultime capable de sauver la Formule 1 de sa ringardise, la libérer de ses insupportables règles.
Il avait laissé juste ce qu'il faut de place à Charles Leclerc dans le virage n°3, au 68e tour. Il avait été loyal. Il ne l'était plus au tour suivant, où il avait décidé de freiner deux mètres plus loin pour exclure méthodiquement le Monégasque de la trajectoire, et de la piste. Ni vu ni connu aux yeux des commissaires : à aucun moment il n'a perdu le contrôle de sa machine et il a braqué au maximum. Une exécution clinique d'un cynisme total. J'aurais compris cette manœuvre si elle avait été un assaut de dernier tour. Elle était programmée pour en finir avec la résistance du pilote de Maranello d'un fair play total. Pire, elle fut l'exception à la règle rappelée par Mattia Binotto sur la culpabilité de forcer un autre pilote à sortir de la piste.
"Ce n'est pas comme ça qu'on double", a opposé Charles Leclerc, qui n'a pas perdu son sang-froid pendant que le Batave expliquait avoir rendu service à la Formule 1. Cette attaque fut un mépris pour le sport, une dégradation des lois de le piste - que même ce qui se pratique en kart ne justifie pas - pour servir son besoin de victoire.
Charles Leclerc (Ferrari) au Grand Prix d'Autriche 2019

Eviter les clones

Aucune surprise là-dedans, Verstappen a toujours vu midi à sa porte. Il n'a pas évolué comme je le pensais. Il reste terriblement court-termiste comme beaucoup de ceux qu'il a contentés. Ça lui est facile d'aller au contact pour sortir un concurrent, au risque de faire lui-même de la casse. J'aimerais le voir en lice pour le titre et assailli à son tour comme il l'a fait. Il n'a jamais été dans cette situation et n'essaie pas de s'y préparer en la jouant virile mais correct. Il est là pour transgresser la règle, l'abolir. Le temps viendra peut-être pour lui de se plaindre de s'être fait pousser dehors par un sans-gêne. Il le fera sûrement avec moins de mesure que Charles Leclerc. Certains lui ont dit "Merci" pour tout ça et brillamment expliqué que si Charles Leclerc avait été la victime de cette histoire, ça arrangeait bien trop de monde par ailleurs. Une triste issue, une manière plutôt moche. Franchement, le sport réclame-t-il ça ?
Malheureusement, on n'a pas vu le plus évident dans ce Grand Prix d'Autriche, ce qui pourrait améliorer les courses. Max Verstappen était dans une stratégie décalée et cela a fait toute la différence. Pour une fois, il n'a pas été l'élément déclencheur de ces vagues d'arrêts au stand qui se déroulent trop souvent sur la même séquence. Le premier domino qui fait tomber les autres. Ordinairement, il rentre le premier pour tenter un "undercut" sur une Ferrari, provocation à laquelle la Scuderia cède de suite, pour pousser à son tour Mercedes à couvrir le risque d'une neutralisation. En quelques tours, tout est réglé et tout le monde finit avec les mêmes pneus. A ce tarif-là, que voulez-vous qu'il se passe ?
Spielberg a été la formidable antithèse de ce schéma stérile que l'on ne veut plus voir. Verstappen a allongé son premier relais de dix tours, ce qui l'a rendu irrésistible dans la seconde moitié de Grand Prix. A coups de dépassements proprement enivrants. C'est vrai, il fut bien aidé par des Mercedes en surchauffe et des Ferrari fourvoyées dès le départ en "tendre". Mais il a fait le job en piste.
Ce genre de numéro devient possible (il était septième au 1er tour) lorsqu'un pilote est sur un plan de course qui ne fait pas de lui un clone de tous les autres. La course entre alors dans une autre dimension. On sent ce pilote, devenu électron libre, capable de déplacer des montagnes, et on se régale de voir jusqu'où il peut aller.
Lewis Hamilton (Mercedes) au Grand Prix d'Autriche 2019

Des temps forts différents pour chaque pilote

Ce Grand Prix d'Autriche fut spectaculaire, haletant, mais il reste loin de ce que l'on a vécu au Grand Prix du Canada en 2012. Cette course fut un modèle de suspense de ce que doit être la Formule 1 moderne avec cinq pilotes sur trois stratégies différentes en lice pour la victoire. Grosjean était sur un arrêt, qu'il retarda au maximum. Sa Lotus usait moins ses pneus sur la piste de Montréal et il faillit être ce jour-là le Verstappen de Spielberg en effectuant une remontée irrésistible de la 8e à la 2e place. Il échoua à 2"5 du vainqueur Hamilton (sur deux pitstops), qu'il aurait peut-être pu dépasser avec quelques tours de plus.
Alonso et Vettel furent les deux déçus de cette course débridée à la victoire. Ils étaient persuadés de pouvoir gagner sur un pitstop, jusqu'à une dizaine de tours de l'arrivée. L'Espagnol de Ferrari s'entêta en piste et passa de la 1re à la 5e place en sept tours. Vettel vécut la même agonie pneumatique, mais il eut la lucidité de rentrer pour sauver un top 4. Le cinquième protagoniste de ce fabuleux épisode ? Sergio Pérez, parti 15e, passé au stand après la mi-course et troisième à 5"2. Magique !
L'idéal serait d'ouvrir ce champ de possibilités à chaque Grand Prix pour avoir des courses dans la course. Des histoires de lièvre et de tortue, des courbes de performances qui se croisent, des temps forts différents pour chaque pilote. Plutôt que des copier-coller. Mais pour cela, il faudrait prendre des mesures radicales comme livrer les pilotes à eux-mêmes pendant un Grand Prix, sans possibilité pour leurs écuries de leur imposer un schéma qui ne fait le plus souvent que répondre à d'autres.
J'ai été effaré d'entendre Charles Leclerc demander à la radio au Grand Prix de chine, à mi-course, s'il devait ménager ses pneus. On lui a répondu qu'il pouvait attaquer. Il ne faisait pas sa course, son ingénieur s'en chargeait à sa place. Le degré zéro de la course pour un vrai contentement de stratégiste... Là, je me suis dit encore une fois qu'il était temps de rendre la course aux pilotes, de les responsabiliser dans les décisions, pour le meilleur comme pour le pire. Ils sont briefés sur la gestion des pneus avant le départ mais il faut souvent savoir s'adapter pendant une épreuve. Allonger ou raccourcir un relais de cinq ou dix tours peut avoir des conséquences décisives comme l'a montré Verstappen en Autriche, et c'est là-dessus que le pilote doit avoir le final cut.
Dans un monde parfait, il devrait aussi pouvoir trancher entre un ou deux arrêts, et avoir pour cela des options pneumatiques le permettant. Faire ses propres paris en somme. Et pour cela, il ne faudrait pas le pointer du doigt à la moindre erreur. Cette dernière ferait partie du deal et gagner ne serait plus forcément une condamnation à être parfait.
A cette fin, couper la radio serait le seul moyen de redonner au pilote la liberté à laquelle il aspire finalement. Et, osons le dire, le seul moyen pour qu'un Hamilton soit battu avec le meilleur matériel à cause d'une mauvaise décision de sa part, d'un plan imparfait, d'une décision moins bonne que celle d'un autre. Informé par panneautage des simples positions et écarts avec ses rivaux, il serait certainement soumis à une part d'aléatoire, mais c'est précisément ce dont le sport a besoin pour fabriquer de l'inattendu. J'ajoute qu'interdire la radio nous éviterait des scènes pénibles de consignes données à Bottas ou Leclerc.
Romain Grosjean (Lotus), Lewis Hamilton, Martin Whitmarsh (McLaren), Sergio Pérez (Sauber) au Grand Prix du Canada 2012

L'interdiction nécessaire de la radio

Il n'y a pas si longtemps, on avait interdit le coaching en direct et on était malheureusement vite revenu là-dessus à cause de pilotes accros à la radio comme Jenson Button. Sous le prétexte d'impératifs sécuritaires ou de sauvegarde de son moteur Honda moribond - le Britannique avait obtenu le retour au contact permanent avec le stand. Limiter la radio à la pitlane pour permettre aux pilotes rentrant d'annoncer son choix de pneus et l'autoriser pour tout ce qui touche à la sécurité n'aurait pourtant rien d'impossible.
Redonner les pleins pouvoirs au pilote est d'ailleurs ce que préconise Kimi Räikkönen. Pour le Finlandais, il faudrait même que ça commence avant d'entrer en piste. "Si c'était possible, j'enlèverais toute cette télémétrie.Avec moins de data, régler la voiture dépendrait à nouveau plus du ressenti pur, et certaines qualités pourraient faire la différence", selon lui. "La télémétrie dit tout ce qui doit être changé. Si on en revenait à des réglages plus personnels, sans devoir regarder un ordinateur, les choses seraient bien différentes." On sait Iceman pas fan des échanges radio, et ça ne l'a pas empêché de faire carrière.
Les choses bougent-elles ? Les pilotes ont été inclus dans les récentes discussions avec le promoteur de la Formule 1 pour déterminer ce qui serait bon pour le sport à l'horizon 2021. Lewis Hamilton a préconisé des voitures plus légères, donc plus difficiles à maîtriser. Romain Grosjean a estimé que les pilotes savent ce qu'il y a de mieux à faire. Il s'est déclaré déçu par les changements techniques mis sur la table pour l'instant, afin de faciliter les dépassements, et ça n'a rien de surprenant.
Aucun chemin pris depuis 25 ans n'a été concluant. Les bolides chargés en aéro avaient dans les années 90 des capacités de freinage peu favorables aux dépassements. Max Mosley a voulu favoriser les manœuvres en diminuant le grip mécanique (pneus plus étroits puis rainurés) et en réduisant la largeur des bolides. On n'a pas vu de vraie différence. Il a réintroduit les ravitaillements. Une catastrophe. On est reparti dans l'autre sens en 2017 (pneus larges en échange de moins d'aéro) et ça n'a rien changé non plus.
Tout ceci est une quête perpétuelle. En 2009, on avait simplifié les machines pour changer la donne. Le règlement avait été acté fin 2007 et les équipes travaillaient depuis plus longtemps pour préparer ce virage. Deux ans après la mise en application de ce règlement, les voitures n'avaient déjà plus rien à voir avec la philosophie du début. Non, la réponse sur la durée ne viendra pas du règlement technique mais du règlement sportif et il est plus que jamais nécessaire de confier l'avenir de ce sport aux pilotes.
Kimi Räikkönen (Alfa Romeo) au Grand Prix d'Australie 2019
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