Formule 1 - Grand Prix du Japon : Suzuka, juge de paix pour les pilotes et les voitures

Antre de Honda, repaire des fans de Formule 1 les plus déguisés du monde, théâtre des affrontements cultissimes entre Alain Prost et Ayrton Senna, Suzuka sera ce week-end bien plus que ce qui en fait un rendez-vous incontournable du calendrier de la Formule 1. L'un des composants de ce que l'on peut appeler le "big five" aussi ; pas aussi prestigieux et anachronique que Monaco, rapide et surchauffé que Monza, vallonné et intimidant que Spa ou historique que Silverstone, mais peut-être le meilleur de tous ceux-là de par ce qu'il réclame en termes de pilotage pur et de qualité dynamiques d'une monoplace.

Si l'on passe outre "l'effet maison" qui touche par réflexe beaucoup de pilotes - Silverstone pour les Britanniques, etc… - Suzuka est bien reconnu comme un must par les artistes du volant, un juge de paix qui ne ment jamais et ne s'offre qu'aux meilleurs. Uniquement des champions du monde depuis son apparition au calendrier, en 1987, excepté Mark Webber (en 2010). Ce qu'aucun autre tracé ne peut se targuer.

Le circuit qui a également consacré le plus de champions du monde (12, à égalité avec Monza) rallie les suffrages à tel point qu'il n'a apparemment aucun détracteur ; à moins que ceux qui le détestent (on insiste : existent-il ?) soient de bons comédiens. Sa nature rapide et fluide, voulue par son créateur John Hugenholtz, suscite génération après génération les commentaires les plus élogieux. Notamment le premier secteur, un enchaînement qui est même un plaisir pour le spectateur : sept virages intimement liés dont il ne faut pas manquer le premier sous peine de le payer au prix fort. Au bas mot une demi-seconde à la sortie du n°8.

"Je dirais que c'est ma piste préférée de toute la saison, avoue Carlos Sainz, vainqueur à Melbourne. Il a tout ce qu'il faut et il exige le maximum de la voiture comme du pilote. Personnellement, je pense que ces pistes où l'on perd du temps quand on franchit les lignes blanches sont les meilleures. C'est exactement ce qui se passe ici et chaque erreur coûte cher, étant donné la proximité des murs. La première série de esses est merveilleuse, et honnêtement il n'y a pas un virage que je ne n'aime pas. C'est une vraie piste de pilote."

Pour ce fameux secteur 1 et pour tout le reste donc - Degner, Spoon, le R130 -, le tracé "old school" de Suzuka, qui possède même la chicane la plus célèbre du monde et certainement l'une des plus complexes à franchir, est autre chose que les Sakhir, Djeddah et autres Melbourne, pourtant pas dépourvus d'atouts. Il mérite encore son statut de premier highlight de la saison parce qu'il fait même la part belle aux pilotes survireurs, ces voltigeurs qui ont besoin d'un train avant fort pour attaquer les courbes d'un coup de volant franc, en contrôlant un train arrière tout près de décrocher... Un cocktail avantageux dans les esses, où une trajectoire précise est vitale autant que la confiance.

Suzuka a donc doublé Monaco au rang de "premier orgasme de la saison" comme le disait Jean Alesi. Pour le plus grand plaisir des pilotes, et des techniciens aussi. Car le développement nippon de 5807 mètres est une prime à l'excellence en matière mécanique, aérodynamique, pneumatique. Le meilleur du pire qui peut être demandé à un bolide. "Suzuka est un fantastique mélange de virages à basse et à haute vitesses, relève Eric Blandin, le directeur technique adjoint d'Aston Martin. Cette combinaison rend la tâche vraiment difficile et offre la possibilité de mieux comprendre les forces et les faiblesses de votre voiture. Si votre voiture se comporte bien ici, elle devrait plutôt bien se comporter sur la plupart des circuits. C'est un endroit spécial pour pousser une voiture dans ses retranchements."

En revanche, le technicien français ne voit pas d'impact à l'avancée de la date du Grand Prix. Le 24 septembre 2023 avait été jusque-là un record de précocité pour cette épreuve programmée traditionnellement en automne. La pluie (prévue ce week-end !), les typhons ont incité ses promoteurs a changer la donne, et ainsi prendre la place de Montmelo dans ce rôle de premier révélateur. Qui conforte la McLaren MCL38, équilibrée en aéro et réactive en matière de liaisons au sol dans les rapides, et inquiète Mercedes. "A l'inverse de McLaren, les virages lents sont un de nos points forts, mais à Suzuka il y a beaucoup de virages rapides et c'est là qu'on pèche cette année donc ce sera compliqué", a avoué George Russell, jeudi. S'il faut parier, ce n'est donc pas a priori sur l'une des W15.

"Nous aurions besoin d'améliorations, surtout sur un circuit comme Suzuka", a insisté Carlos Sainz, à la veille des premiers essais. A l'instar de Ferrari, de nombreuses équipes ont effectivement décidé d'apporter des évolutions, comme Aston Martin, Red Bull, Alpine… Et chacun espère que les progrès réalisés en aéro et en appui bénéficieront à exploitation des pneus, un paramètre très surveillé ce week-end. "Pirelli a puisé dans sa gamme la plus dure (C1, C2, C3), seulement utilisée pour les circuits les plus exigents", signale Callum Frith, l'ingénieur Performance pneumatique chez Ferrari, pour qui les contraintes (latérales), parmi les plus sévères de la saison, génèrent une dégradation élevée. Il mentionne une autre caractéristique unique de Suzuka : son tracé en huit qui met au supplice les enveloppes aux quatre coins de la voiture. Une exception là encore.